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[DEAUVILLE] "Lovelace" ou la tragédie derrière "Gorge profonde"

"Gorge profonde" fut au début des années 70 un véritable phénomène aux Etats-Unis et dans le monde, participant grandement à l'expansion de la vague pornographique au cinéma. Avec son budget de 25.000 dollars il devait en rapporter plus de 600 millions en trente ans de carrière. Son actrice, Linda Lovelace confiera le harcèlement qu'elle subit pour le tourner six ans plus tard.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Amanda Seyfried dans "Lovelace" de Rob Epstein et Jeffrey Friedman
 (Hélios Films)

De Rob Epstein et Jeffrey Friedman (Etats-Unis), avec : Amanda Seyfried, Peter Sarsgaard, Sharon Stone, Robert Patrick, Juno Temple - 1h33

Synopsis : En 1972, "Gorge profonde" est un véritable phénomène de société : le premier film porno, avec un vrai scénario, quelques blagues et surtout une inconnue pour héroïne au nom improbable, Linda Lovelace ! Voulant échapper à une famille religieuse stricte, Linda découvre la liberté et la grande vie lorsqu‘elle tombe amoureuse de son futur mari, l'arnaqueur et néanmoins charismatique Chuck Traynor. Consciente de sa nouvelle popularité, Linda se transforme en porte-parole enthousiaste de la libération sexuelle et de l'hédonisme à tout va. Six ans plus tard, elle dévoilera au monde une tout autre histoire, bien plus sombre, bien plus glauque, et dont elle a pourtant réussi à s'échapper…

Supplice
Si les scandales pullulent à Hollywood depuis sa naissance dans les années 15 (voir à ce sujet la réédition du fabuleux « Hollywood Babylone » de Kenneth Anger), le tournage de « Gorge Profonde », un des plus gros succès du cinéma, est particulièrement gratiné. C’est ce que reconstitue ce biopic adapté de l’ouvrage rédigé par son actrice principale, six ans après le tournage, mettant à plat la face cachée d’apparences plus que trompeuses, carrément criminelles.

A l’époque de sa sortie, « Gorge profonde » passait pour une comédie pornographique pleine d’humour, de légèreté, prônant la libération sexuelle, sur un scénario des plus saugrenus, où une femme découvre que son clitoris est situé au fond de sa gorge. On comprendra facilement ce qui en découle, l’actrice ayant des performances buccales impressionnantes. Sous le pseudonyme fort bien trouvé de Linda Lovelace, elle se prêta à une promotion du film sans précédent dans le domaine du Hard naissant, devenant une icône du X, mais aussi de la révolution des mœurs. Derrière la gaudriole, c’est un véritable calvaire, un « supplice » - pour reprendre le titre de ses confidences -, qu’a subit cette jeune femme de 21 ans.

Peter Sarsgaard et  Amanda Seyfried dans "Lovelace" de Rob Epstein et Jeffrey Friedman
 (Hélios Films)

L’éternel retour
Tombée sous le charme d’un « kéké » opportuniste, perclus de dettes avec des ramifications dans la mafia, Linda se fait passer la bague au doigt. C’est alors que le ton change : il est aux abois. La solution : la faire tourner dans un porno révolutionnaire comparé à la production lambda. Propriétaire d’un rade des plus louches, il n’hésite pas à l’occasion de la prostituer, afin de s’acquérir les grâces de mafieux prêts à financer son projet. Harcèlement, passage à tabac, prostitution non consentie, menace par les armes… Linda Lovelace aura tout subi, avant, pendant et après le tournage de « Gorge profonde ». Pour quel résultat ? Peanuts : 1250 dollars, alors que le film rapportant des millions à travers le monde, son « mari » engrangeant la différence, et encore, des glands (sic) par rapport aux investisseurs mafieux.

Histoire terrible, véritablement tragique, d’une femme détruite par un complot machiste et financier, qui auprès du public passe pour libertaire. Une leçon : elle s’en sortirra, mais à quel prix ! Le film de Rob Epstein et Jeffrey Friedman reconstitue avec acuité ce qui relève plus du fait divers que de l’histoire du cinéma, comme au carrefour de deux mondes qui se sont souvent côtoyés. Voir à ce sujet l’ouvrage qui vient de paraître « Hollywood Connection » (Michael Munn, Ed. Vuibert) où les rapports entre « l’usine à rêve » et la pègre sont mis à plat. La reconstitution des seventies est vraiment jubilatoire, les acteurs au diapason. Le parti prix de la mise en scène d’exposer dans un premier temps les faits tels que compris par le public, puis de les reprendre les uns après les autres, pour en montrer la face cachée, est des plus efficaces et percutantes, pour comprendre cette tragédie du XXe siècle qui est sans aucun doute toujours en cours - comme elle l’était avant -, sous un jour ou un autre.  

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