"De Méliès à la 3D", une exposition spectaculaire à la Cinémathèque
Invention sans avenir
Souvent identifié au mariage de la photographie et du théâtre, le cinéma serait plutôt la rencontre de la peinture et du roman sur une table de montage. Art, le 7e, le plus technique qui soit - caméra, micro, spot, électricité, ordinateur, projecteur… -, c'est aussi le plus hétérogène puisqu'il allie image, son, mise en scène, direction d'acteurs, musique, montage… A l'origine, ce qui n'était pas encore considéré comme un art, est une invention technologique. Issu d'un long processus qui remonte au XVIIe siècle avec les recherches sur l'optique, la lanterne magique est son lointain ancêtre, en inventant les premières projections collectives d'un spectacle visuel. Le cinéma du futur, lui, sera immersif, avec dès aujourd'hui la réalité virtuelle. Entre les deux, c'est tout une histoire…Le commissaire de l'exposition Laurent Mannoni a décidé d’ouvrir l'exposition avec la caméra de Méliès, la vraie, qu'il a bricolé lui-même, à partir d'un projecteur de la marque anglaise Paul. Les frères Lumière, desquels il était proche (leurs bureaux étaient dans le même immeuble parisien) lui avait refusé de lui vendre un de leurs appareils, lui affirmant que leur invention n’était qu’un gadget sans avenir. Emotion devant cette machine faite de rouages, de poulies et de bois, quand on pense aux innombrables fééries que le magicien de Montreuil en a tiré, comme un lapin d'un chapeau.
De nombreuses et splendides affiches du début du cinéma environnent la relique. Puis ce sont celles de films ayant marqué l'évolution des techniques cinématographiques, comme "Autant en emporte le vent" (1939) qui incarne la flamboyance du Technicolor, ou "La Tunique" (1953), premier film en cinémascope.Cache aux trésors
C'est ensuite une véritable caverne d'Ali-Baba qui s'ouvre à nous, avec en fond la projection d'un extrait du "Mépris" (1963) de Jean-Luc Godard sur la musique inoubliable de George Delerue. Pourquoi "Le Mépris" ? Parce que cette adaptation de Moravia se déroule sur le tournage fictif d'un film de Fritz Lang, et qu'y figurent, au côté du metteur en scène de "Métropolis" (1926) ou "M. Le Maudit" (1931), des monstres sacrés : Brigitte Bardot, Michel Piccoli et Jack Palance. Sans oublier la magnifique caméra Mitchell entre les mains du cadreur Raoul Coutard. Mythique.Ouvrant l'évolution chronologique des techniques cinématographiques, est exposé d’entrée le Kinétoscope de Thomas Edison, le premier procédé de diffusion de "photographies animées" sur pellicule, mais réservé à un seul spectateur à la fois. Les vitrines alignent les premières caméras qui ont fait le tour du monde, avec les nombreuses innovations successives qui marquent la naissance du cinéma pour améliorer le procédé Lumière. C'est l'âge d'or du muet. Il est étonnant de constater que ces appareils, dont l’un fonctionne à air comprimé, sont très maniables, légers, aisément transportables. Alors que plus on avance dans le temps, plus les caméras deviennent de lourdes gorgones mécaniques. Godard reviendra à cette maniabilité originelle en 1976, demandant la fabrication d'une caméra assez petite pour tenir dans la boîte à gants de sa voiture.
On remarquera également la caméra ayant servi à "Océan" (2009) de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud, en forme de torpille pour frayer au milieu des bans de poissons. Figure également celle de "Microcosmos" (1996) de Claude Nuridsany et Marie Pérennou avec son très impressionnant téléobjectif à grande focale, pour filmer les insectes. Mais la plus émouvante demeure la caméra Technicolor qui servit à "Autant en emporte le vent" (1939) et au "Magicien d'Oz", tous deux de Victor Fleming, avec son triple magasin, pour contenir les trois pellicules (magenta, bleu, verte) et son complexe système de prismes, à la base du révolutionnaire procédé de filmage en couleur.
Son et machinerie
La révolution majeure des techniques cinématographiques demeure l'apport du son à partir de 1927. Le cinéma parlant va bouleverser le processus de réalisation, la mise en scène, comme le jeu des acteurs, mais aussi la salle de cinéma qui va devoir se transformer en auditorium. L'exposition comporte à ce titre de nombreux appareillages de captation et de restauration du son, très remarquables. Comme le système par disques synchronisés qui accompagnait les projections du "Chanteur de Jazz" (1er film sonore de 1927) d'Alan Crosland, avec Al Jolson, ou le "chronomégaphone" Gaumont à deux pavillons de 1911. A voir également, les haut-parleurs utilisés durant les projections de "Citizen Kane" (1941) d'Orson Welles.L'innovation est constante dans l'histoire du cinéma, participant ainsi à l'histoire des techniques. Comme le cinéma pour tous, dès les années 20, avec les différentes déclinaisons du Pathé Baby qui permettait aux familles de projeter des films, privés ou de studios, à domicile, mais aussi dans les écoles. Autre invention, majeure celle-là : la Louma, immense perche télescopique à l'extrémité de laquelle se positionne la caméra, et qui permet la réalisation de travelling aériens fluides et élégants. Roman Polanski en fut le premier utilisateur pour "Le Locataire" (1976). Dans le même ordre d'idée, la Steadycam, dont on trouve un prototype exposé. Son usage inaugural s'effectua sous la gouverne de Stanley Kubrick pour "Shining" (1980). Le système hydraulique harnaché au cameraman permet la réalisation de travellings d'une souplesse inégalée (le tricycle dans les couloirs de l'hôtel Overlook, la poursuite dans le labyrinthe), mettant à l'index le lourd système de rails, ou de chariot Dolly, jusqu'alors usités.
La télévision n’est pas ignorée, dont les premières recherches remontent aux années 20, pour se concrétiser en 1926 avec une première démonstration publique par l’Ecossais John Logie Baid. Plusieurs énormes et impressionnantes caméras de plateau sont exposées. Mais également un magnifique scopitone, variation des juke-boxes des années 60, très répandu dans les cafés, qui diffusait à la demande les ancêtres des clips d’aujourd’hui.
Immersion
La possibilité de visualiser des images en relief obséda les chercheurs dès l’invention de la photographie (1839), puis du cinéma à partir de 1915. La commercialisation véritable du procédé due attendre les années 50, avec des films très efficaces tels que "L’Homme au masque de cire" (1953, André de Toth) ou "L’Etrange créature du lac noir" (1954, Jack Arnold). Mais c’est dans les années 2000 que la 3D connaît un immense succès, depuis "Avatar" (2009, James Cameron). Soulignons que la plupart des films diffusés en 3D sont en réalité tournés en 2D, puis "gonflés" par numérisation, ce qui donne un résultat décevant. Seuls quelques films ont le privilège d’être réalisés en 3D, tels que le susnommé "Avatar", "Gravity" (2009, Alfonso Cuaron), "Hugo Cabret" (2011, Martin Scorsese), ou "Le livre de la jungle" (2016, Jon Favreau), aux résultats très impressionnants.La fin de l’exposition est comme un point d’orgue, avec l’expérience de la réalité virtuelle. Réalisé en partenariat avec Google, Ex Nihilo et Novelab, la Cinémathèque a commandé un court métrage d’animation de huit minutes permettant au visiteur de faire l’expérience "immersive". Muni d’un léger appareillage cartonné, le Kinoscope, dans lequel est glissé un Smartphone diffusant le programme, le spectateur se retrouve au cœur d'un espace virtuel à 360°, où défile une évocation ludique de l’histoire du cinéma. Encore balbutiante et réservée à un public des plus retreints, nul doute que la réalité virtuelle est le cinéma de demain. Une mise en bouche vraiment bluffante.
Mais le procédé demeure une expérience individuelle (comme au temps du Kenitoscope d’Edison), et non collective, comme le voulaient les frères Lumière. Nul doute que dans un avenir proche, la solution sera trouvée. Reste également à connaître l'impact du virtuel sur les deux heures d’un film. Toujours est-il que l’exposition de la Cinémathèque est, elle, à visiter sans modération.
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