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"Control freak", amateur de thé... Christopher Nolan, le cerveau qui se cache derrière les films les plus réfléchis d'Hollywood

Le cinéaste britannico-américain, célèbre pour sa relecture très sombre de la saga Batman, s'attaque au film de guerre avec "Dunkerque", qui sort mercredi.

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Le réalisateur Christopher Nolan dirige l'acteur Kenneth Branagh sur le tournage de son dernier film, "Dunkerque", le 8 juin 2016 à Dunkerque (Nord). (SIPA)

"Je ne veux pas que les gens sachent quoi que ce soit sur moi." Pas facile de tirer le portrait de Christopher Nolan, comme l'a appris à ses dépens un journaliste du Hollywood Reporter en 2015. "Je ne plaisante pas. Plus vous en savez sur celui qui fait les films, moins vous pouvez simplement les regarder." Le journaliste insiste, tente de savoir si le cinéaste a au moins un hobby quand il n'est pas sur un plateau. Le golf ? La natation ? "Je ne veux pas entrer dans les détails là-dessus." L'intervieweur bat en retraite. "Je ne suis ni un golfeur, ni un nageur", finit par concéder son interlocuteur.

Le Britannico-Américain de 46 ans est devenu un des cinéastes les plus populaires du monde, avec des succès comme Inception, Interstellar ou la renaissance de la trilogie Batman. Pourtant, savez-vous seulement à quoi il ressemble ? Loin d'un Steven Spielberg ou d'un Martin Scorsese, Christopher Nolan est encore un visage méconnu. Pas sûr que ça le dérange, lui qui se caractérise surtout par son perfectionnisme extrême dans son rôle d'homme de l'ombre. Alors que son dernier film, Dunkerque, sort mercredi 19 juillet et est annoncé comme un de ses meilleurs, franceinfo dresse le portrait du "control freak" (ou maniaque du détail) le plus puissant d'Hollywood.

Un réalisateur hyper impliqué

Le discret Christopher Nolan ne manque pourtant pas de charisme, et tous ses acteurs témoignent de son implication. Sur le plateau de The Dark Knight, il tente de rassurer Anne Hathaway au sujet d'une cascade, pour laquelle elle doit monter sur un échafaudage qui s'effondre sur 10 étages : "Ça a l'air haut, mais il ne tombe pas à une vitesse si importante", lâche-t-il. Comment-le sait-il, demande l'actrice, qui raconte l'anecdote au New York Times"Eh bien, je l'ai fait moi-même", répond le réalisateur. Qui explique, dans le Telegraph, pourquoi il a tenu à enfiler une combinaison et venir nager avec ses acteurs et son chef opérateur pour les scènes aquatiques de Dunkerque "Vivre ça ensemble, plutôt que de rester assis sous une tente à regarder un écran vidéo, est vital pour ce genre de film, si vous voulez maintenir le moral des troupes et placer le spectateur au cœur de l'action."

Christophe Nolan parmi ses acteurs avant le tournage d'une scène de "Dunkerque", dans les rues de la ville, le 25 mai 2016. (SARAH ALCALAY / SIPA)

En 2013, lui et son équipe sont en Islande, à la recherche de paysages assez surnaturels pour servir de décors aux escapades interplanétaires d'Interstellar. Tentant d'atteindre un glacier prometteur, ils se retrouvent face à un lac à l'eau glaciale, sans autre issue apparente. Alors que ses collaborateurs tergiversent, "Chris a enlevé ses chaussures et ses chaussettes", raconte son chef opérateur Hoyte Van Hoytema au Guardian"Et il s'est avancé dans l'eau, le regard fixé sur ce gigantesque morceau de glace." Toute son équipe en fait autant, inspirée par la volonté de leur chef.

C'est un homme qui a une mission. Il met tout son temps et son énergie au service de cette mission.

Hoyte Van Hoytema

cité par "The Guardian"

Une mission qu'il tire de sa passion pour le cinéma, développée par un père publicitaire au gré de ses allers-retours entre Londres et Chicago lorsqu'il était enfant. Une expérience qui lui permet d'épater ses camarades de cour de récré britanniques en leur racontant Star Wars en avant-première.

Passionné par la bobine depuis sa première Super 8

Le film de George Lucas est un de ses deux chocs de jeunesse, avec 2001, l'Odysée de l'espace de Stanley Kubrick, découvert au cinéma à 7 ans : "Je ne me souviens pas avoir été concerné le moins du monde par ce que ça voulait dire, ou si c'était compliqué", s'amuse-t-il dans une interview au Hollywood Reporter. "Je me souviens juste de la sensation viscérale de voir des vaisseaux spatiaux, de découvrir d'autres mondes et d'être emmené dans d'autres dimensions." Le petit Christopher Nolan ne tardera pas à se faire offrir une caméra Super 8 et à faire ses premiers petits films, en mêlant ce qu'il tourne à des images de la conquête spatiale. Quand il réalise son premier long-métrage, Following, c'est en tournant sur ses week-ends, une dizaine de minutes chaque semaine pendant trois ou quatre mois, avec un groupe d'amis et ses maigres économies.

Ses budgets ont bien changé aujourd'hui – Interstellar a coûté 165 millions de dollars – mais pas son attachement au moindre détail. Quand le New York Times le rencontre, avant la sortie du film, il fait le tour des cinémas new-yorkais pour vérifier lui-même que le film sera projeté correctement. Le Guardian l'observe lors de la post-production du film, en pleine dispute avec l'équipe technique sur l'écart de luminosité entre deux images. "Pour un œil de profane, il ne semblait y avoir aucune différence", admet le journaliste. Et devinez ce que Christopher Nolan trouve "le plus amusant" dans la confection d'un film ? Pas le tournage, ni l'écriture de scénario, mais "le mixage sonore", explique-t-il au Hollywood Reporter.

Passionné par la technique, il est l'un des derniers à défendre la pellicule avec autant de ferveur, et à oser tourner avec des caméras à l'ancienne, comme pour Dunkerque. Il s'explique :

Après tout, David Lean [le réalisateur de 'Lawrence d'Arabie'] a tiré des caméras 65 mm dans le désert, et je ne vois pas pourquoi nous n'aurions pas la même ambition.

Christopher Nolan

au "New York Times"

Lorsqu'il apprend que le dernier fabricant de pellicule celluloïd, Kodak, va mettre la clé sous la porte, il est horrifié. "Il appelait des réalisateurs qui n'en avaient rien à faire, devait ignorer leur apathie, et essayait de leur expliquer à quel point c'était important, raconte Quentin Tarantino. J'aurais voulu leur mettre un coup de poing dans la figure. Mais lui, étant britannique, essayait d'être diplomate."

"Tout était dans sa tête"

Son attachement aux méthodes à l'ancienne n'est pas un caprice de diva : Christopher Nolan est même un cinéaste efficace, dont les quatre derniers films (avant Dunkerque) ont fini par coûter moins cher que leur budget initial, une économie sans doute aidée par sa détermination à utiliser le moins possible d'effets spéciaux. "Quand les réalisateurs créent des combats aériens avec des avions en image de synthèse, ils violent les lois de la physique", écrit Christopher Nolan : le péché suprême aux yeux du réalisateur, qui a utilisé de vrais avions d'époque dans Dunkerque, créé les trous noirs d'Interstellar à partir des travaux de vrais physiciens, et mis en scène un Batman le plus réaliste possible.

Katie Holmes et Christian Bale, sous son costume de Batman, écoutent les consignes de Christopher Nolan sur le plateau de "Batman Begins", en 2005. (SIPA)

Christopher Nolan a le souci de l'efficacité jusqu'au bout des ongles : "Il a décidé depuis longtemps que choisir une nouvelle tenue à porter chaque jour était une perte d'énergie", et s'est choisi un uniforme, costume impeccablement taillé et grand manteau, qu'il porte par tous les temps et dans toutes les situations. Old school, il n'a jamais eu d'adresse e-mail : "Parce que je n'ai jamais pensé que ça me servirait à quoi que ce soit". Et refuse d'acheter un téléphone portable : "Parce que ça me laisse le temps de penser. Quand vous avez un smartphone et dix minutes à tuer, vous vous mettez juste à lire des trucs", explique-t-il au Hollywood Reporter. N'a-t-il aucun vice caché, aucune addiction ? Si, le thé, qu'il boit de façon compulsive au point d'en garder une flasque dans son manteau sur tous ses tournages. Une manie très British dont il se moque dans cette vidéo très étrange où il fait face à Al Pacino, une tasse à la main.

Les films de Christopher Nolan sont à l'image du personnage : des constructions complexes et pensées jusqu'au moindre détail, "mi-horloger mi-showman", résume le site Indiewire. Quand il se fait remarquer, en 2000, c'est par la chronologie inversée de Memento, un thriller au personnage amnésique. Quand il évoque Inception et son concept de rêves dans les rêves dans les rêves, on sent Leonardo DiCaprio un peu perdu : "Le script est très bien écrit, mais il fallait vraiment avoir Chris en personne pour qu'il essaie d'expliquer certaines des choses qu'il tourne dans sa tête depuis huit ans." Qu'un film aussi déroutant puisse être financé et attirer de telles stars en dit long sur le statut de Christopher Nolan à Hollywood, et la capacité de persuasion de ce "cerveau", qui impressionne ses producteurs : un ancien président de Warner Bros se souvient d'une visite sur le plateau de Batman Begins, où le réalisateur dirige, dans des décors colossaux, une scène impliquant des hélicoptères et des centaines de figurants "sans aucune note. Tout était dans sa tête".

Performant au box-office, pas aux Oscars

Mais, si le succès public de Christophe Nolan n'est plus à prouver, il échappe encore aux récompenses : il n'a été nommé que trois fois aux Oscars, jamais comme meilleur réalisateur, et n'y a rien gagné. Certains critiques le considèrent comme un cinéaste malin mais trop cérébral et trop froid. Sa trilogie Batman, à l'origine de toute une vague de super-héros aux aventures toujours plus sombres et moroses, donnent parfois envie de lui demander, comme le fait le personnage du Joker : "Pourquoi tant de sérieux ?" Une critique qui le touche. "Je peux vous dire que quand on a projeté Inception pour les premières fois, les gens sortaient en pleurant. Les gens ne se rendent pas compte de la subjectivité de ce jugement", lance-t-il, un peu amer, au Hollywood Reporter.

L'acteur Matthew McConaughey et Christopher Nolan sur le tournage d'"Interstellar", le 29 octobre 2013. (SIPA)

Christopher Nolan n'aime pas parler de sa vie, mais assure qu'il a aussi un cœur. Il explique qu'aujourd'hui, il fait des films qu'il aimerait voir avec ses enfants, et que sa paternité a influencé le scénario très mélo d'Interstellar. Il est un peu mal à l'aise de voir certains de ses fans disséquer les rouages de ses scénarios de façon obsessionnelle : "Mon expérience est que les gens qui se laissent emporter par mes films – qui ne les traitent pas comme une grille de mots croisés ou comme s'ils passaient une interro à la fin – sont ceux qui en profitent le mieux." 

Sa dernière œuvre, Dunkerque, est encore une construction complexe, fragmentée entre trois histoires qui s'imbriquent, mais lui préfère évoquer l'épisode historique qu'il raconte, "une histoire qui est dans ma chair depuis longtemps". Plus jeune, avec sa productrice, devenue depuis sa femme, il avait lui-même traversé la Manche jusqu'à Dunkerque. "La mer était déchaînée. (...) J'en suis sorti avec un plus grand respect pour la réalité" du sort des soldats britanniques lors de cet épisode, raconte-t-il au TelegraphComme pour prouver qu'il sait, parfois, sortir de son esprit.

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