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Comment "Deadpool" est devenu "Deadcool"

L'adaptation ciné des aventures de cet outsider de la galaxie Marvel, en salles mercredi, suscite un véritable engouement. Pourtant, ce personnage irrévérencieux est loin de bénéficier de la notoriété des Avengers ou des X-Men.

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Extrait de "Deadpool" de Tim Miller, dans une bande-annonce présentée au Comic-Con de San Diego (Californie), le 11 juillet 2015.  (JOE LEDERER/AP/SIPA / AP)

Deadpool, Batman vs. Superman, Captain America : Civil War, X-Men : Apocalypse, Suicide Squad, Docteur Strange... Si vous voulez aller au cinéma cette année, mieux vaut aimer les super-héros. Dans l'univers archi-concurrentiel des détenteurs de super-pouvoirs (dont celui d'enrichir les studios ciné), où DC Comics, Marvel, Fox et Disney se battent à coups de franchises, Deadpool, l'outsider méconnu du grand public, arrive sur grand écran, mercredi 10 février. 

Antihéros dans l'âme, il est lourdingue, trash et politiquement incorrect. Super-héros dans la chair, il dispose d'un pouvoir d'auto-guérison, le corps moulé dans une combinaison rouge et noir. A ce jour, il s'est surtout imposé, contre toute attente, comme l'un des films immanquables de ce début d'année. Comment ce second couteau malpoli et méconnu de la galaxie Marvel est-il devenu le plus cool des super-héros ? 

Il a promis du sang, du sexe et des blagues 

Avec une seule balle, Deadpool (Wade Wilson, dans le civil) vient d'éclater la tête de trois costauds, qui s'effondrent tels des dominos. Détendu, le héros retourne ses armes en direction de son visage. Il hume l'extrémité des canons encore fumants et lance, cochon : "Hum, ce soir, je me tripote." 

Présentée en juillet au Comic-Con de San Diego (Etats-Unis), le festival incontournable de la culture pop, la bande-annonce de Deadpool a été unanimement acclamée. Avec ses blagues graveleuses, ses effusions de sang et son vocabulaire fleuri, "on dirait qu'il s'agit du premier film qui parle le même langage que son public", s'emballait The Hollywood Reporter.

Avant même la diffusion de ces premières images, l'acteur qui incarne le héros, Ryan Reynolds, et le réalisateur, Tim Miller, se réjouissaient d'avoir tourné un film qui sera, aux Etats-Unis, interdit au moins de 17 ans non accompagnés (interdit au moins de 12 ans en France) et, cerise sur le gâteau, interdit en Chine. S'il ne s'agit pas du premier film de super-héros à bénéficier de cette classification (Blade, Watchmen et Kick-Ass en ont été victimes, rappelle Forbes), Deadpool en a fait son principal argument de vente.

Et pour cause : le héros, né il y a vingt-cinq ans sous le crayon de Rob Liefeld, se distingue par son humour trash. A l'heure où les films de super-héros sont accusés de manquer d'audace, Deadpool surjoue l'irrévérence pour faire la différence. 

Les succès critiques et commerciaux des Gardiens de la galaxie (2014) et de Ant-Man (2015), deux films aux budgets raisonnables selon les standards actuels, ont convaincu les studios. Après le règne du très-propre-sur-lui Spider-Man ou de Monsieur aimable-comme-une-porte-de-prison, alias Batman, l'heure est venue pour les super-héros relax et audacieux. Ainsi, le bide de 2015, Les Quatre fantastiques, s'est vu reprocher, entre autres, son manque total d'humour, tandis qu'un réalisateur indépendant a décroché la mission de rendre Thor plus funky d'ici à 2017 (c'est Taika Waititi, l'homme qui a gagné notre confiance éternelle en faisant ça). C'est dans ce contexte que Ryan Reynolds et Tim Miller, qui portent à bout de bras Deadpool depuis 2005, assurent sortir "le film dont ils ont toujours rêvé", et ce "avec le budget 'coke' de n'importe quelle superproduction hollywoodienne." 

Il a misé sur le marketing viral

Malgré ses qualités, Deadpool ne changera sans doute pas l'industrie du cinéma. En revanche, la stratégie marketing déployée par la Fox pour assurer sa promotion relève du coup de maître. De la fausse interview sortie de nulle part le 1er avril 2015, au spot publicitaire tant attendu à la mi-temps du Super Bowl, dimanche 7 février, la stratégie virale a pleinement fonctionné.

En ligne, d'abord. Ryan Reynolds a publié, en mars 2015, sur son compte Twitter, une première photo de son costume. La pose choisie parodie une photo culte de Burt Reynolds, avec qui il n'a aucun lien de famille, datée de 1972.

"C'est malin de la part de Fox de ne pas sous-estimer les fans de super-héros et de se moquer ouvertement du genre, décryptait alors le site spécialisé AdWeek. Les adultes fans de comics veulent qu'on leur parle comme à des adultes. Nous savons à quel point notre amour des super-héros est ridicule, mais nous les aimons quand même. Nous les aimons intelligents, d'actualité, allégoriques." Dont acte. 

En parodiant la culture pop, son absurdité comme sa futilité, la campagne, menée par un Ryan Reynolds au taquet sur les réseaux sociaux, a fait de cet anti-héros Marvel une authentique star du web.

Même lorsque la promo se déploie IRL (dans la vraie vie, selon la formule consacrée), elle cultive la viralité du net. Ainsi, à la mi-janvier, l'humoriste et acteur américain Patton Oswalt a tweeté la photo d'un panneau publicitaire où le mot "Deadpool" apparaît en rébus à l'aide d'émojis (dont le célèbre émoji "caca", qui se dit "pooh" en anglais). "Ces pubs sont tellement bêtes qu'elles relèvent du génie", a encore constaté Adweek, s'extasiant face à la rencontre parfaite d'un langage moderne et d'une com' à l'ancienne. 

Autre coup de maître : la fausse bande-annonce. Ironisant sur la date de sortie du film aux Etats-Unis, le week-end de la Saint-Valentin, le studio a dévoilé un montage et une affiche présentant Deadpool comme un drame à l'eau de rose.

Que Deadpool câline les joueurs de Manchester United, qu'il vous propose de piéger vos amis sur les réseaux sociaux via son propre générateur de faux titres putassiers, ou qu'il organise un concours de beauté absurde pour son avant-première, il démontre à chaque fois sa maîtrise de ce qui fait (ou non) rire les internautes. En moins d'un an, cette stratégie s'est érigée en modèle. Imité par Captain America : Civil War et sa tentative ratée de parodier l'application Friends Day de Facebook.

Il nous flatte (en même temps qu'il nous trompe)

Deadpool s'emploie à "briser le quatrième mur". Ce concept, qui remonte jusqu'à Diderot, consiste à créer un lien de connivence entre le héros et le spectateur, à qui il s'adresse directement : ce super-héros sait qu'il est un personnage de fiction. Du coup, il se permet de regarder vers la caméra, d'analyser l'action en direct, etc.

Dès la première bande-annonce, cet aspect "méta", qui contribue au charme du comic, est pleinement exploité, permettant au film de porter un regard critique sur ses propres clichés. "C'est vrai que le genre explore beaucoup d'archétypes de la même manière et la question de la lassitude se pose, mais je pense que ça fait partie des raisons pour lesquelles Deadpool a gagné autant de popularité, (...) son aspect méta est hyper important", analysait Ryan Reynolds dans GQ en septembre.

Détournant une phrase tirée de Spider-Man, les premiers teasers de Deadpool affichaient : "Un grand pouvoir implique une grande irresponsabilité." Dans le même esprit, le générique d'ouverture, plutôt que de faire défiler le nom des acteurs, annonce la présence d'"un parfait idiot", d'"une ado en colère" et d'"un type en image de synthèse" dans ce film, "réalisé par un pantin surpayé". 

Surtout, cet aspect "méta" permet à Ryan Reynolds de faire reluire une casserole qu'il traîne depuis 2011 : Green Lantern, son premier film de super-héros et navet retentissant. Deadpool n'hésite pas ainsi à lancer des sous-entendus quant à la piètre qualité de ce long-métrage. Emmené sur un brancard, sur le point de subir les opérations qui feront de lui un être hors du commun, Wade Wilson supplie : "Pitié, ne me mettez pas un costume vert... ni en image de synthèse !" Le spectateur, qui aura compris la blague, n'en sera que plus flatté.

Il n'y a pas de quoi. Deadpool tient-il ses promesses ? Pas vraiment, nuancent quelques critiques. Certes, le film ironise et pointe du doigt les travers du genre, mais ses créateurs les appliquent plus qu'ils ne les remettent en question, fournissant une énième "histoire des origines" (soit, un scénario qui explique la genèse du super-héros). "Deadpool n'est pas le film anticonformiste qu'il prétend être", titre Indiewire dans sa critique. Sanglant ? Oui. Drôle ? De même. Mais certainement pas aussi révolutionnaire qu'attendu. Pour Uproxx, le film "n'arrête pas de nous rabâcher à quel point il est sur le fil, malin et foufou, mais ce que l'on voit à l'écran, c'est bel et bien un bon vieux film de super-héros". Un film dont l'audace pourrait avant tout séduire les ados, charmés par un blockbuster génialement bête et méchant qui, comble du cool, leur est interdit. 

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