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« Clouzot critiqué » : florilège sur un cinéaste polémique

Si un cinéaste français a défrayé la chronique des années 40 jusqu’à son décès en 1977, c’est bien Henri-Georges Clouzot. Le réalisateur de "L’Assassin habite au 21" (1942), du "Corbeau" (1943), du "Salaire de la peur" (1953) ou de "La Vérité" (1960) a déclenché les fourches caudines de la critique ou son admiration. "Clouzot critiqué" (Seguier) de Claude Gauteur les met dos à dos.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Henri-Georges Clouzot en 1968
 (Kobal / The Picture Desk)
Occupation
Aujourd’hui considéré comme un classique du cinéma français, Henri-Georges Clouzot se démarque de nombre de ses contemporains, notamment pour avoir réalisé des films sous l’occupation nazie, avec la bénédiction de la Continental, à Paris, studio créé par Joseph Goebels (ministre de la Propagande nazie) et financé par le géant de la production allemande Hufa. Il n’était pas le seul, loin s’en faut, mais ses mises en scène et ses scénarios lui ont plus d’une fois valu d’être traité de noms d’oiseaux et au mieux du qualificatif d’« ambigüe ». Toutefois, d’autres l’on défendu bec et ongle, certains ne trouvant pas d’autre solution que de retourner leur veste.

Ayant débuté sa carrière sous l’Occupation, ce sont évidemment des journalistes collaborationnistes qui parlent de Clouzot.  D’abord scénariste en 1941, c’est sa plume que salue Lucien Rabatet en le qualifiant de « nom à retenir ». Jacques Audiberti, que l’on ne qualifiera pas de sensible au régime hitlérien, apprécie également le jeune cinéaste depuis ses débuts et lui restera fidèle.
Sa première réalisation, « L’Assassin habite au 21 » (1942) installe son goût pour les films noirs. Mais c’est « Le Corbeau » en 1943 qui met le feu aux poudres, avec une polémique qui le poursuivra jusqu’à la fin de sa vie. Le film raconte l’histoire d’une enquête pour dépister un mystérieux auteur de lettres anonymes dans un village de province, alors que nombre de Français pratique la délation sous la tutelle nazie en France. Brasillach, collabo notoire, fusillé en 1945, voit dans le film « le chef-d’œuvre de la cruauté et une sorte de chef-d’œuvre tout court ». Le critique et historien du cinéma Georges Sadoul n’est quant à lui pas tendre avec le film, y voyant « une œuvre de propagande antifrançaise ». 
A la libération, le film est interdit et Clouzot banni de la profession à vie. Une fronde de cinéastes lui permettra de revenir sur le devant de la scène en 1947 avec « Quai des orfèvres », qui renoue avec son genre de prédilection, le film noir, aux influences expressionnistes et surtout de Fritz Lang. Mais c’est à partir de ce  film que se forge sa réputation d’être irascible sur les plateaux.
Contradictions
La polémique est lancée et la critique comme coupée en deux, jusqu’à la fin de carrière de Clouzot. « Le Salaire de la peur » divise notamment, malgré son grand prix au Festival de Cannes en 1953 (la Palme d’or n’existait pas encore). « Les Diaboliques » (1955) tout autant, alors que « Le Mystère Picasso » est plutôt rassembleur, mais du bout des lèvres, même s’il est classé comme « trésor du patrimoine cinématographique français ». Les jeunes critiques des « Cahiers du Cinéma », notamment Godard et Truffaut s’attaquent à la « qualité française », à laquelle ils identifient Clouzot. Aussi, ses films divisent toujours.
C’est cette confrontation qu’égraine Claude Gauteur dans ce court livre qui n’en a pas moins demandé de scrupuleuses recherches pour mettre à plat ces polémiques, mais aussi les contradictions de certains critiques. Ainsi François Truffaut, dont on connaît la plume assassine comme critique, revenait sur ses jugements dans les années 70, dans une lettre à Clouzot : « J’ai revu, ces derniers temps, ‘Quai des orfèvres’ et ‘Le Salaire de la peur’ que j’ai vivement admirés (…) ‘Le Corbeau’ dont je connaissais à treize ans le dialogue par cœur et que j’allais revoir l’autre soir avec une anxiété et une curiosité incroyables. C’est un chef-d’œuvre, il n’a pas bougé, c’est un film parfait et profond, et sensible, et fort ».
"Clouzot critiqué"  de Claude Gauteur - Editions Seguier
 (Séguier)
L’ouvrage de Claude Gauteur s’offre ainsi comme une réminiscence de Clouzot, mais également comme réflexion sur l’exercice critique. Trop souvent identifié sous un jour négatif, il fait aussi les éloges des œuvres qu’elle aborde, littéraires, picturales, musicales, ou cinématographique. « Clouzot critiqué » en démontre toute la palette, mais aussi le reniement des prises de position passées, sa justification reposant toujours sur son argumentation. Qualifié de conservateur, Clouzot n'était pourtant pas insensible à l'inovation comme le démontrent ses essais pour son fillm non finalisé, "L'Enfer" (1964) avec Romy Schneider, que sa quête perfectionniste aura empêché de mener à bout.
Clouzot critiqué
De Claude Gauteur
Editions Seguier

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