Cinéma : "Notre façon de filmer, c'est d'abord notre ressenti", clament Hamé et Ekoué, réalisateurs de "Rue des Dames"

Les deux membres du groupe de rap La Rumeur reviennent au cinéma et à la réalisation avec la jolie chronique urbaine "Rue des dames" dans laquelle ils filment à nouveau leur Paris interlope, souvent nocturne et de la débrouille. Entretien.
Article rédigé par Matteu Maestracci
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4 min
Ekoué et Hamé du groupe de La Rumeur, en novembre 2023, à Paris. (THOMAS SAMSON / AFP)

Le rendez-vous a lieu, comme souvent avec eux, dans leurs bureaux de la rue Caulaincourt, dans le 18e arrondissement de Paris, Mohamed "Hamé" Bourokba et Ekoué Labitey (sans oublier le troisième compère de La Rumeur, Philippe, posé non loin dans la pièce) sont quasiment intarissables sur ce film qui leur ressemble, et qui a été assez compliqué à monter et financer dans la foulée du Covid-19.

Sept ans après le remarqué Les derniers parisiens, cette histoire de Mia (excellente Garance Marillier), jeune manucure fauchée, enceinte et débrouillarde, autour de laquelle gravitent plusieurs personnages bigarrés, séduit à nouveau.

Franceinfo : Il y a plusieurs façons de filmer Paris : on peut en faire de la carte postale, par exemple. Mais vous aimez filmer la ville et vos quartiers comme personne et comme on le voit rarement...

Hamé : Oui, après avoir filmé le quartier de Pigalle dans notre premier film, on se décale un petit peu, et le paysage de notre film représente en quelque sorte le paysage intérieur de notre personnage. Et notre rapport à Paris est comme l'attachement à une personne dans une relation, il y a les bons côtés et le plaisir qu'on peut en tirer, et comme dans toute relation ça peut nous faire mal, nous agacer, nous décevoir. Notre rapport à ce quartier qui nous a vus créer de la musique ou du cinéma depuis plus de vingt ans est comme ça. 

Et on finit d'ailleurs par presque préférer les atmosphères que vous créez que le récit lui-même parfois...

Ekoué : Oui parce que ça fait partie du récit justement, c'est notre façon de nous raconter, c'est notre geste. C'est notre définition du récit.

Hamé : Notre façon de filmer c'est d'abord une façon de ressentir, on veut y croire, on veut que ça "sente" vrai. Nous, à travers nos regards et notre sensibilité. C'est ça le premier aiguillon. On ne se pose pas la question de comment notre manière de filmer cohabite avec la façon de faire des autres, on ne fait pas d'histoire de cinéma pendant qu'on raconte nos récits.

Vous ouvrez parfois des portes dans la narration sans y entrer, ce qui est une façon de brouiller les pistes. Comme si vous ne vouliez pas alourdir le récit avec trop d'explicatif ?

Ekoué : Oui c'est exactement ça, comme on le disait précédemment, on veut avant tout créer une atmosphère. C'est un parti pris et aussi quelque part une technique en soi. On puise dans cette force, qui nous vient du rap, ce côté précaire avec juste un stylo sur une scène de créer quelque chose de très "atmosphérique". On voulait que ce soit dans notre cinéma et que ça soit le point de départ de tout.

Hamé Bourokba, Ekoué Labitey et Philippe "Le Bavar", du groupe La Rumeur. (MATTEU MAESTRACCI/ FRANCEINFO/ RADIO FRANCE)

Ce qui frappe, aussi, c'est que dans cette débrouille, il y a beaucoup d'argent donné de la main à la main, littéralement. Et de manière générale, tous les rapports humains que vous montrez se passent hors de tout circuit étatique ou institutionnel : pas de banque, pas de services sociaux et un tout petit peu de système de santé.?

Hamé : Oui et c'est l'histoire de gens qui n'ont pas les codes de l'argent, à peine l'ont-ils touché et ont cru être malins et pousser la bonne porte, une erreur en entraine une autre, et crée des conséquences plus graves. Rue des dames c'est aussi un glissement successif de petites gens, de petits resquilleurs qui n'ont pas ces codes et font ce qu'ils peuvent. Pour survivre, finalement. Et sur la question de l'argent, on aime beaucoup filmer des liasses de billets un peu gras, qui passent de main en main, c'est très photogénique et beau à filmer. C'est de l'argent qu'on ne thésaurise pas, pas de l'argent de bourgeois, de l'argent de bricoleurs et bricoleuses.

Vous travaillez habituellement avec des comédiens qui font partie de votre entourage, comme Slimane Dazi. Comment Garance Marillier a pu aussi bien s'intégrer à cet univers ?

Ekoué : Le cinéma c'est une rencontre, et comment tu arrives à créer une relation artistique entre ton microcosme, et des gens qui n'ont pas forcément les mêmes codes, et qui viennent d'un cinéma un peu plus "classique". La véritable prouesse c'est de les rendre compatibles à cet écosystème, au point que quand on termine le film on pense que ces personnages on pourrait les croiser à l'épicerie du coin. La vraie préparation avec Garance a commencé très en amont du tournage, en pointant cette exigence-là de l'acclimater avec notre nébuleuse, pour un résultat qui nous plait beaucoup.

Rue des dames, réalisé par Hamé et Ekoué, en salles.

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