Cinéma. Fanny Ardant dans "Lola Pater" : "Qui vous a dit que j'étais une femme ?"
Dans "Lola Pater", qui sort en salle mercredi, Fanny Ardant interprète un transgenre algérien. Pour franceinfo, l'actrice revient sur ce rôle dans "une histoire romanesque", sur la tolérance et son nouveau métier de metteuse en scène et son rapport au théâtre.
Dans Lola pater, de Nadir Moknèche, qui sort en salles mercredi 9 août, Fanny Ardant joue le rôle d'un transgenre. À la mort de sa mère, Zino (Tewfik Jallab) décide de retrouver son père, Farid (Fanny Ardant) mais, 25 ans plus tôt, ce dernier est devenu Lola... Pour franceinfo, Fanny Ardant évoque ce film touchant sur la question du genre.
Franceinfo : Pourquoi Nadir Moknèche n'a pas choisi un acteur transgenre pour incarner le personnage de Farid-Lola ?
Fanny Ardant : Dès le départ, Nadir voulait faire du cinéma, prendre l'histoire particulière de cet homme qui était devenu femme et qui allait retrouver son fils. Et ce n'était pas un document. C'était une histoire romanesque. Qui dit histoire romanesque, dit acteur ou actrice. Le champ est plus vaste. Ce n'est pas qu'on veut parler de la réalité. On parle de la vérité des personnages. Quand vous voyez un documentaire, quelqu'un peut dire : "Oui, mais ce n'est pas comme ça moi." Tandis que, quand vous prenez la forme romanesque, vous savez que c'est "Il était une fois". Et, curieusement, vous pouvez vous identifier à Hamlet ou à Médée alors que vous ne vous identifierez jamais à un documentaire. Et puis, qui vous a dit que j'étais une femme ? Donc, on joue sur l'ambiguïté aussi. Ce qui va se jouer dans l'histoire de ce film, c'est le rapport amoureux avec le fils : est-ce que le père et le fils vont pouvoir se retrouver même dans cette équation-là ?
Le fait que cela se passe dans une famille d'origine algérienne complique-t-il encore la chose ?
Sûrement. Le fait que lui soit un Algérien, qu'il ait dû fuir Alger où il était danseur étoile à l'opéra et qu'il arrive parce qu'il sait qu'il ne sera jamais libre, oui. Il y a une forme de prise de pouvoir aussi. Souvent quand on dit : "Oui, mais alors il est très égoïste cet homme qui a abandonné son fils", il y a aussi : "Je ne me laisserai pas dicter ma vie par quiconque." Et par la loi, et par la religion, et par les convenances on va dire. Donc, c'est quelqu'un qui choisit sa vie.
Ce qui est subtile, c'est que le fils est d'une génération qui n'est pas confrontée à ce problème de tolérance par rapport à ses origines. Mais, en même temps, il est d'une génération -au sens global du terme- qui est peut-être beaucoup moins tolérante et ouverte que ne l'était celle de ses parents...
Peut-être que, quand on est confronté à des choix qui vont être payés durement, on est plus tolérant. Curieusement. Donc, peut-être que pour la deuxième génération, tout est plus soft, tout est plus émoussé. Vous savez, c'est cette phrase : "Prends garde à la douceur des choses." Parce que, dans la douceur des choses, on vit bien mais peut-être qu'on va perdre son individualité ou ce qui faisait vraiment vous, le disque dur de votre ordinateur.
Ce fils est-il aussi confronté à cela selon vous ?
Le fils tient de son père quand même. C'est pour cela qu'il est tellement ému, le père, de rencontrer son fils, à part le fait qu'ils aiment la musique tous les deux, qu'il est devenu accordeur. Donc, ils ont ces marques de fabrique qui sont très bizarres. Pourquoi on lègue ça ? Et [le fils] a quelque chose de rebelle. Même avec l'imam. Il y a quelque chose de solitaire dans mon fils. Moi, quand je tombe en face de mon fils, c'est comme si je tombais amoureux de mon fils. J'aime tout ce qu'il est. Il est beau. Un peu insolent. Il a ce côté viril. Il a un côté qui a envie de foutre un coup de tournevis à son père. Curieusement, ça ne choque pas Lola parce qu'elle aussi, elle a du se castagner tôt. Le fait aussi que ça s'appelle Lola Pater, c'est-à-dire qu'il y avait quelque chose comme de biblique... "Je suis ton père". Donc, quand il lui balançait une claque, ce n'est pas que, tout d'un coup, "Ah, ça va être un père complètement..." Non, non, non, ça reste un père avec des cheveux comme Dalida.
Fanny Ardant, aujourd'hui vous réalisez. Vous avez fait de la mise en scène. Pourquoi ? En aviez-vous envie depuis longtemps ou bien est-ce que, quand on est actrice, on subit un peu et qu'il y a des moments où on a envie de prendre la main ?
C'est obscure les raisons pour lesquelles on a envie de faire quelque chose. Quand on m'a demandé de faire cette mise en scène à l'opéra, au Châtelet [En mars 2016, Fanny Ardent a signé la mise en scène de Passion, l'opéra de Sondheim, au théâtre du Châtelet à Paris], c'était comme si c'était invraisemblable. Par contre, si vous me demandez : "Vous faites souvent des choses dont vous êtes incapable ?" Je peux vous répondre : "Oui". Donc, on va toujours à son point de rupture.
Je peux mettre en scène l'opéra mais pas le théâtre. C'est bizarre hein ? Je pense que c'est parce que je suis une actrice de théâtre donc ça me rendrait fou. Qu'est-ce qui vous empêche de sauter sur scène en disant : "Finalement, c'est moi qui vais le jouer" ? Dans l'opéra, vous pouvez vous enfuir tandis que le théâtre, c'est le verbe. Tout le temps, je continuerai le théâtre comme actrice parce que j'ai un amour-haine. Quelquefois, dès que j'ai fini de jouer au théâtre, je dis : "Je n'irai jamais plus". Et puis, ça revient parce je crois que c'est un endroit, comme je le dis souvent, où on se purifie. Le théâtre c'est quand même quelqu'un qui, au milieu d'un salon, se lève et dit : "Je vais vous raconter une histoire". Le théâtre ne mourra jamais parce qu'il y aura toujours un type dans le noir qui se lèvera et qui vous dira une chose qui vous enchante.
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