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Avant de découvrir "1917" de Sam Mendes, petite histoire du plan-séquence au cinéma

Le film, qui sort mercredi au cinéma, est construit comme un plan-séquence de deux heures sans coupe apparente. Retour sur l'histoire de cette technique pleine de défis, qui révèle souvent le talent des réalisateurs.

Article rédigé par Jules Boudier
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
L'acteur Mark Strong sur le set de "1917" de Sam Mendes en juin 2019. (ANDREW MILLIGAN / MAXPPP)

The Player (1992), scène 1. Une secrétaire répond au téléphone, se fait réprimander par sa supérieure, recul de la caméra, et c'est parti pour 8 minutes, sans raccords, de découverte du décor et des personnages. Passant d'un dialogue à l'autre, on est tout de suite imprégné par l'ambiance des bureaux de ce studio hollywoodien. Comme une illusion de liberté de se mouvoir, de découvrir la scène par soi-même, d'être un personnage parmi les autres... 

Pas étonnant que Sam Mendes, qui voulait offrir avec 1917 une expérience immersive dans l'enfer des tranchées, ait appliqué cette technique. Et ce à l'intégralité de son film. Même si, naturellement, le film n'est pas vraiment filmé en une fois, l'action se déroule sans coupe, changement d'angle ou contrechamp. 

Cette illusion est amenée par des transitions très subtiles entre des plans qui peuvent tout de même atteindre six minutes. Pendant deux heures, c'est comme si nous incarnions un soldat britannique aux côtés de George MacKay et Dean-Charles Chapman.

"Temps réél", "temps humain"

Qu'est-ce qu'un plan-séquence ? Un plan est tout simplement un bout de film qui se situe entre deux coupes ou raccords, et une séquence est une scène qui se déroule dans un seul lieu et qui comprend une action ou un dialogue par exemple. Logiquement, un plan-séquence est une séquence filmée en un seul plan, sans raccords.

Pour Giusy Pisano, professeure de cinéma à l'ENS-Louis Lumière, l'intérêt de cette technique vient "de la continuité, du temps réél. Le plan-séquence nous permet de sentir le temps humain". "Dans la vrai vie, on ne coupe pas" ajoute-t-elle en riant, "voilà pourquoi le plan-séquence est très utilisé dans le cinéma réaliste".

Cette professeure, spécialiste du cinéma néoréaliste italien (très adepte de cette technique) estime que le plan-séquence est l'une des techniques fondamentales du cinéma. "C'est une des premières choses que j'enseigne à mes élèves" explique-t-elle, "et le principal conseil que je leur donne, c'est d'étudier les lieux bien avant, de penser l'action et la trajectoire des acteurs bien en amont". Le plan-séquence est un défi technique majeur pour les réalisateurs, et souvent une manière de démontrer leur talent.

Le XXe siècle, La Corde et le défi de la pellicule

Si les origines de cette technique remontent à l'aube du cinéma (les premiers films des frères Lumière sont des plans-séquences), c'est Alfred Hitchcock qui est considéré comme le premier à en avoir fait vraiment usage. Tout particulièrement, son film La Corde (1948) est le premier à avoir été intégralement tournée en plan séquence. Le film, dont l'action se déroule en huis-clos avec peu de personnages, s'y prêtait à merveille.

Bien sûr, à l'époque, la contrainte de la pellicule (dix minutes de tournage continu maximum) a obligé le "maître du suspens" à innover. Des passages de personnages devant la caméra et autres subterfuges lui ont permis de raccorder huit plans séquence de dix minutes tout en donnant l'illusion d'un seul et même plan de quatre-vingt minutes. Au cours du dernier siècle, à part Hitchcock, pratiquement aucun réalisateur reconnu ne s'est engagé dans le défi de réaliser un long-métrage en un seul plan-séquence.

Mais la technique en soi a été utilisée en long et en large dans le cinéma analogique, avec quelques exemples mythiques comme la scène d'ouverture de Soy Cuba (1964) de Mikhaïl Kalatozov ou la présentation des personnages dans Les Affranchis (1990) de Martin Scorsese, en passant par l'inquiétante déambulation dans les couloirs de Shining (1980) de Stanley Kubrick. Sans oublier l'un des plus célèbres, la scène d'ouverture de La soif du mal (1958) d'Orson Welles.

Le passage au XXIe siècle et la magie du numérique

L'arrivée des caméras numériques offre une nouvelle liberté aux réalisateurs souhaitant s'adonner au "one take" (une prise). Alexandre Sokourov est le premier à relever le défi en 2002, avec L'Arche Russe, grâce à une caméra numérique reliée à un disque dur. Tourné en une seule prise au musée de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg, le film raconte l'histoire de la Russie (rien que ça) et a requis des mois de répétition. Plus de 850 acteurs et 1.000 figurants ont du refaire quatre fois les 96 minutes de film avant de réussir la prise.

Mais le film en "one take" par excellence est Victoria (2015) de l'Allemand  Sebastian Schipper. 2h14 sans interruption pendant laquelle l'équipe de tournage suit l'actrice Laia Costa à travers la vie nocturne berlinoise. Trois prises ont été nécessaires pour réussir ce pari technique salué par l'ensemble de la communauté cinéphile.

Mais même avec l'arrivée du numérique, certains grands réalisarteurs continuent à "tricher" comme Alfred Hitchcock, en utilisant la post-production et des techniques de tournage pour créer l'illusion d'un film en "one take". Birdman (2015) d'Alejandro Iñárritu, et aujourd'hui 1917 de Sam Mendes sont de bons exemples de "faux" films en plan-séquence, qui permettent d'utiliser les avantages de cette technique (temps réél, continuité) sans les inconvénients qu'elle apporte. 

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