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Alfred Hitchcock et Bernard Herrmann en week-end à la Philharmonie de Paris

La Philharmonie de Paris consacre ce week-end à Bernard Herrmann, compositeur de musique de films qui œuvra à huit reprises pour Alfred Hitchcock. Deux de ses oeuvres sont données en ciné-concert : "Psychose", samedi 3 février et "Vertigo" le lendemain. L’occasion de revenir sur ce compositeur majeur, qui ne se limite pas au maître du suspense, mais s’étend à nombre d’autres chefs-d’œuvre.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Bernard Herrmann et Alfred Hitchcok sur le tournage de "L'Homme qui en savait trop" 1955
 (DR)

Sources

Dès que l'on parle de musique de films, Bernard Herrmann apparaît comme un monstre. Un compliment qui le place aux côtés des Saint-Saëns (compositeur classique de la 1re musique originale de film en 1913), ou Prokofiev, également compositeur classique qui écrivit pour Eisenstein. Puis vinrent Max Steiner ("King Kong" 1933, "Autant en emporte le vent" 1939), et depuis Miklos Rosza ("Ben Hur" 1960), Alex North ("Cléopâtre" 1964). Herrmann aura, lui, comme principaux héritiers : John Williams ("Star Wars" 1977), John Barry (James Bond 1962), ou Jerry Goldsmith ("Alien"), certainement son plus grand dépositaire. Sans citer les autres…

Bernard Herrmann se situerait entre Max Steiner et Miklos Rosza ou Alex North, qui sont assez proches. Entre les deux, intervient "Citizen Kane", film monstre lui-même, d’Orson Welles (autre monstre) en 1941, qui changea la face du cinéma… et de la musique de films. Et pour cause, Welles travaillait avec Herrmann chez Columbia, où il officie dans les années 30 aux musiques des adaptations wellesiennes de "Dracula", "L’Île au Trésor", ou la fameuse "Guerre des mondes" à l'âge d'or de la radio.

Seul maître à bord

Dès le générique de "Citizen Kane", tout est là. Les cuivres et les bois profonds accompagnent le long plan séquence (2mn40), tout en fondus enchaînés (novateur à l’époque) et résument le film à venir. Non plus dans un style romantique typiquement européen, mais dans une interprétation autre. Herrmann reviendra à des formules plus attendues par la suite, selon une veine rappelant Steiner, en phase avec l’action. Mais, ici, la magie opère. Toujours, éternellement : "Rosebud". Un plan et une musique Inoubliables.
Le compositeur ne reniera jamais ses sources classiques, restant avant tout symphonique (sauf exception), en lien avec elles et conventionnelles avec la musique hollywoodienne. Lyrique. Mais il imposera progressivement son détachement, en innovant. Il s'imposera face au "classicisme" de ses commanditaires. Pourvu d’une forte personnalité, sachant de quoi il parle : le maître, c’est lui.

Hitchcock

C’est de sa collaboration avec Alfred Hitchcock sur huit films à partir de 1954 (les dates correspondent parfois à celles des compositions, pas des sorties du film et divergent d’un an) que vient la réputation de Bernard Herrmann comme compositeur incontournable de la musique de films.

Les titres ? "Mais qui a tué Harry ?" (1954), "L’Homme qui en savait trop" (1955), "Le Faux coupable" (1956), "Vertigo" ("Sueurs froides" 1956), "La Mort aux trousses" (1957), "Psychose" (1960), "Les Oiseaux" (1963) et le dernier, "Pas de printemps pour Marnie" (1964), le véritable testament d’Hitchcock au cinéma. Pas celui d’Herrmann…
L’on observe à la lecture chronologique des titres que la qualité augmente, tant pour "Hitch" qu’Herrmann. "Vertigo" constitue un sommet, tant pour le réalisateur que le compositeur. Dès ce moment, les cordes deviennent plus prégnantes par rapport aux cuivres jusqu’alors dominants. Herrmann deviendra le magicien de l’alliance des deux et la source d’inspiration première d’un John Barry (James Bond), allié à des thèmes pleins d’harmonies sensibles, évocateurs. Mais surtout de Jerry Goldsmith, héritier direct.

L’on trouvera ainsi une continuité entre "Vertigo", "La Mort aux trousses", "Psychose", "Pas de printemps pour Marnie". Et pourquoi pas entre les huit titres ? Et d’autres, tels que "Cape Fear" ("Les Nerfs à vif", J. Lee Thompson 1962), sans doute une de ses partitions les plus abouties. Reprise intégralement par Martin Scorsese dans son remake mésestimé de 1992, sous la direction d’Elmer Bernstein.
"Psychose" est un cas. La partition (composée intégralement pour une cinquantaine de musiciens à cordes) est la plus connue d’Herrmann en raison de la fameuse scène de la douche. Avec son staccato incontournable. C’est Herrmann qui l’a imposé à Hitchcock qui n’en voulait pas. Tout comme la scène fut mise en image par Saul Bass (génial graphiste, réalisateur de génériques et des premiers story-boards du cinéma). De ces trois alliés résulte l’une des scènes les plus fortes du cinéma.
La contribution d’Herrmann aux films d’Hitchcock ne s’arrête pas là. Un livre n’y suffirait pas. Les deux se sont inspirés mutuellement. En conflit permanent, ils ont accouché, ensemble, des plus belles partitions du cinéma.

Fantastique

Parallèlement à la période "hitchcockienne", Bernard Hermann a composé pour nombre de films fantastiques, où son art de l’ambiance et de la dramaturgie font merveille.

Dès 1953, il compose la musique du "Jour où la Terre s’arrêta" (Robert Wise), classique de la S-F des années 50, faisant usage de couleur dissonantes, d’instruments atypiques rappelant la scie musicale, pour évoquer la nature extraterrestre de l’intrigue. Sa partition prédit Jerry Goldsmith qui œuvrera beaucoup pour le genre ("La Planète des singes" -  1967, "Alien" – 1979, "Poltergeist" – 1982…).
Cette contribution d’Herrmann au fantastique s’incarne dans la "fantasy" des films de Ray Harryhausen, génie des effets spéciaux, dont la patte est telle que l’on se souvient plus de lui que des réalisateurs, mineurs, qui le servaient. A l’origine de ses films, il en était le coréalisateur, prenant le pas sur le metteur en scène, tant son génie était immense. Héritier de Willis O’Brien (le créateur de King Kong en 1933), voici quelques titres auxquels participa Herrmann : "Le 7e Voyage de Sinbad" (1958), "Les Voyages de Gulliver" (1960), "L’Ile mystérieuse" (1961), "Jason et les Argonautes" (1963, son chef-d’œuvre), ou "Le Voyage fantastique de Sinbad" (1973).
Mélange d’inspiration des contes des milles et une nuit, de Jules Verne (pour lequel Herrmann signera la musique de "Voyage au centre de la Terre – 1960), cette veine offre à son génie de renouer avec l'épique, par l’aventure, qu'il sert toujours avec un sens mêlé de mystère, de romantisme et de rêve.

Taxi Driver

C‘est là que la course s’achève. Brian De Palma, cinéphile, fou d’Hitchcock, fait appel à Herrmann pour "Sœurs de sang" (1973), alors que le réalisateur est encore inconnu. Puis, en 1975. Martin Scorsese, lui aussi réalisateur cinéphile, fait appel à Bernard Herrmann pour composer la musique du film qui va le propulser au sommet, Palme d’or à Cannes en 1976 : "Taxi Driver". Herrmann meurt d’une crise cardiaque un mois avant la sortie du film, encore sur table de montage. "Taxi Driver" lui est dédié. Chef-d’œuvre, le film comme la musique.
Pour sa dernière partition, Herrmann innove encore. Il créé une "Suite Taxi Driver" sur laquelle s’ouvre le film, inquiétante, toute faite de tension par les percussions et l’orchestration puissante qui, bientôt enchaîne sur un thème jazzy au saxophone. Ce qui ne lui est pas coutumier, mais colle parfaitement à l’atmosphère du New York nocturne du film.

Sublime, la partition de "Taxi Driver", après "Psychose", reste la plus connue de Bernard Herrmann. Le chant du cygne d’un génie qui regrettera toujours de n’avoir été reconnu que par sa contribution au cinéma, et non ses compositions "hors champ" : un opéra et de multiples compositions pour orchestre.
Cette dissonance reflète la réception de la musique de films en général : un art en porte-à-faux, entre l’image et la musique, entre un public ambigu, populaire et érudit, dont souffrent le genre, comme les compositeurs. Toutefois de moins en moins. Le vent va dans leur sens, la réception s'élargissant de plus en plus au regard du succès public que rencontrent les concerts nombreux qui leur sont consacrés. 

Le week-end Hitchcock/Hermann de ce début février à la Philharmonie de Paris y contribue. Nombre de performances, de concerts, de festivals, de CD... confirment la tendance. Bernard Herrmann n’a pas besoin d’être "reconnu" au regard d’une musique dite "savante", la sienne l’est trop pour ceux qui n’y connaissent rien.

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