Cet article date de plus de cinq ans.

On vous raconte l'histoire d'Astérix le gaulliste, ou comment la droite drague l'irréductible Gaulois depuis soixante ans

De Charles de Gaulle à Nicolas Sarkozy, en passant par Georges Pompidou, Jacques Chirac et Michel Debré, la droite française a toujours eu un faible pour le héros moustachu. Sans que cet amour ne soit vraiment assumé, et encore moins réciproque.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15min
Des bulles d'Astérix sur le fronton de l'Assemblée nationale, le 28 octobre 2009.  (MIGUEL MEDINA / AFP)

2019 après Jésus-Christ. Tout l'espace culturel – surtout depuis la retraite de Michel Sardou et la mort de Johnny Hallyday – est occupé par la gauche. Tout ? Non, un petit village gaulois résiste encore et toujours à l'envahisseur. Car Astérix et ses compagnons du petit village gaulois font l'objet d'une cour assidue de la droite française depuis six décennies – lui et Obélix soufflent leurs soixante bougies mardi 29 octobre – de par les thèmes traités, la période historique choisie et une certaine ambiguïté politique. Car Astérix n'est pas qu'une BD, c'est une certaine idée de la Gaule.

La Gaule et la France du général de Gaulle 

Forcément, Goscinny et Uderzo ont mâché le boulot aux exégètes de tous poils en choisissant les Gaulois comme thème. A partir de la seconde moitié du XIXe siècle, tous les régimes politiques s'emparent de nos ancêtres de l'Antiquité. C'est Napoléon III (au pouvoir de 1852 à 1870) qui décide de l'emplacement d'Alésia. C'est la IIIe République (qui lui succède de 1870 à 1940) qui fixe les canons de la représentation de la société gauloise, avec le druide comme digne ancêtre de l'instit', VRP de la République aux quatre coins de l'Hexagone.

Goscinny et Uderzo usent leur fonds de culotte sur les bancs de l'école à ce moment-là, et les personnages qu'ils créent quelques décennies plus tard ne doivent rien au hasard. "Panoramix descend en droite ligne de cette vision laïcarde", souligne ainsi Nicolas Rouvière, maître de conférences en littérature à l'université de Grenoble, auteur d'Astérix ou les lumières de la civilisation (entre autres). "Il incarne la rationalité quand le devin [dans l'album éponyme] symbolise la superstition et la croyance aveugle dans le vaste panthéon des dieux gaulois."

Nos ancêtres les Gaulois constituent en ces temps un formidable outil de légitimation des régimes. L'idée que la France n'a pas commencé à exister avec Clovis, mais préexiste avant l'arrivée des rois est un argument de poids pour ceux qui ne peuvent pas s'appuyer sur des dynasties à rallonge pour justifier d'exercer le pouvoir. De figure républicaine, le Gaulois devient figure de droite à partir de la fin du XIXe siècle, puis figure de la droite rance quand Vichy prend à son compte leur héritage. "Le maréchal Pétain faisait prêter serment aux légionnaires devant la statue de Vercingétorix, à Clermont", souligne Nicolas Rouvière.

Les auteurs d'Astérix, Albert Uderzo et René Goscinny, posent avec l'effigie de leur personnage, le 16 novembre 1967 à Paris. (KEYSTONE-FRANCE / GAMMA-KEYSTONE)

Le petit Gaulois apparaît dans les pages de Pilote quelques mois après l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle et de sa Ve République. Deuxième grille de lecture dictée par l'époque. "On aimait bien le général bien sûr", avance Albert Uderzo dans une interview dans le documentaire Carte blanche à Uderzo. "Mais [les accusations de propagande gaulliste], ça nous gênait un peu quand même." Et pourtant. Astérix véhicule pendant une dizaine d'années l'idée d'une France non alignée face à l'URSS et les Etats-Unis, d'un pays qui a résisté à l'occupant – dans le jargon savant, on appelle ça le résistancialisme et le général de Gaulle en est le principal promoteur – et qui combat toutes les formes d'impérialisme.

Chaque album est alors passé à la loupe. Ainsi, certains ont décelé un aigle américain sur la voile d'une galère romaine dans Le Tour de Gaule, galère coulée par nos Gaulois gavés de potion magique sans autre forme de procès. "Il y a une dimension gaulliste, sans que ce soit volontaire. C'est davantage le résultat d'une ambiance globale", avance Pascal Ory, auteur d'une biographie de René Goscinny. "Très vite, les médias ont assimilé notre travail à de Gaulle, racontait d'ailleurs Uderzo dans un entretien accordé en 2005 au magazine Lire. Tout simplement parce que nous parlions de la Gaule, et de la résistance d'un petit village contre l'envahisseur."

Franchement, croyez-vous que de Gaulle avait besoin de nous pour mener sa politique ?

Albert Uderzo

dans le magazine "Lire" en 2005

Une lecture franco-française n'explique pas non plus le succès du personnage en Allemagne – pas spécialement épargnée dans Astérix et les Goths, dénonciation manifeste du nazisme – et encore moins en Indonésie, où la représentation du village autonome face au pouvoir central parle beaucoup aux habitants, souligne Pascal Ory.

La droite est tombée dans la marmite

Si les auteurs n'ont pas réalisé – consciemment au moins – une BD de droite, ce courant politique ne s'est pas fait prier pour s'en emparer. Le général de Gaulle donne aux membres du gouvernement des surnoms finissant en "ix" lors d'un Conseil des ministres (le même général aura la balourdise de gloser : "Mon seul rival international, c'est Tintin"). Georges Pompidou conseille aux auteurs d'envoyer Astérix chez les Helvètes, ce qu'ils feront, mais en laissant passer quelques albums entre deux, on a sa fierté quand même. Michel Debré correspond avec Albert Uderzo du temps où il occupe le ministère de la Défense : "Grâce à [Goscinny et Uderzo], nous redevenons gaulois, et fiers de l'être", écrit ainsi le ministre* qui recevait les albums d'Astérix dédicacés à chaque nouveauté. Une pratique qu'un Hergé ne réservait qu'au roi des Belges, et dont on ignore jusqu'à quand elle s'est prolongée pour le petit Gaulois. "Astérix permet à des gens très différents de se rassembler. Comme le gaullisme, avance Simon Laplace, auteur d'un article intitulé "Astérix est-il de droite ?". Pour reprendre la phrase de Malraux, Astérix, comme l'UDR [un des nombreux noms du parti gaulliste du temps du général], c'est le métro à 5 heures du soir."

Jacques Chirac, lui, développe une relation particulière avec Albert Uderzo. Le dessinateur lui réalise une affiche et une BD pour soutenir la candidature de Paris aux Jeux olympiques de 1992. Le maire de Paris, Premier ministre un temps, représente un soutien de poids pour débloquer des subventions pour le Parc Astérix (pour lequel l'Etat n'a pas autant déroulé le tapis rouge fiscal que pour Eurodisney). En 1995, le discret Albert Uderzo figurera au sein du comité de soutien au candidat Chirac, quand René Goscinny a toujours entretenu le flou sur ses convictions politiques – selon sa fille, il avait une certaine tendresse pour le Mendès France des années 1950, avant son départ au PSU, ce qui ne nous avance guère.

Une potion magique pour gagner des électeurs ?

Utiliser Astérix à des fins électorales a forcément titillé des deux côtés de l'échiquier politique. René Goscinny confie dans un entretien de 1968 repris dans le livre Goscinny raconte les secrets d'Astérix : "De nombreux candidats aux législatives nous ont demandé l'autorisation d'utiliser Astérix pour leur campagne électorale. Nous avons répondu : 'Tous les candidats, ou aucun.' (...) Un candidat dont j'ai oublié le nom s'est servi d'Astérix sans notre autorisation. Comme je n'ai plus de nouvelles, je pense qu'il a été battu par un candidat qui s'est peut-être servi de Tintin."

D'un parti séparatiste suisse aux nationalistes jurassiens, Astérix a été mis à toutes les sauces électorales, sans constituer une potion magique pour la victoire. L'exemple le plus fameux remonte à 1998, quand l'ancêtre des actuels Républicains, le RPR, groggy après la dissolution loupée du président Chirac cherche un second souffle. Au sommet du parti, on cogite pour remobiliser les troupes. Emerge alors chez les publicitaires conseillant le parti l'idée d'une affiche représentant une bagarre de Gaulois avec écrit : "Gauloises, Gaulois, vous en avez marre d'avoir la droite la plus bête du monde ? Nous aussi !" "Il nous fallait à la fois une campagne de deuil et de reconstruction. Le message, c'était à la fois 'on a merdé' et 'il ne faut pas se morfondre'", raconte Jérôme Doncieux, alors chez l'agence de pub Euro RSCG, qui a concocté l'affiche avec Franck Tapiro (alors chez Havas) et le dessinateur Régis Vidal. 

Philippe Séguin et Nicolas Sarkozy présentent la nouvelle affiche du RPR au Palais des Congrès, le 14 mai 1998. (PATRICK DURAND / SYGMA)

Aucune référence directe à Astérix, même si, de la bagarre devant des huttes au toit de chaume jusqu'à l'inclinaison de la police de caractères, l'allusion est transparente. L'année précédente, l'hebdomadaire Valeurs actuelles ne s'était guère embêté en reprenant directement une bagarre issue des albums où les poissons volent bas.

Par précaution, Nicolas Sarkozy a tenté de joindre Albert Uderzo. En vain. Dévoilée en fin de congrès du RPR, l'affiche fait un triomphe. "On avait complètement retourné la salle, se souvient le publicitaire. C'était un triomphe, un éclat de rire général, un tonnerre d'applaudissements." Une félicité de courte durée : le lendemain, Europe 1 et France 2 font réagir Uderzo, qui digère mal le fait d'avoir été mis devant le fait accompli : "Ce personnage ne peut pas être mêlé à ça." 

Pour éteindre l'incendie, certains feraient le mort. Pas Nicolas Sarkozy, adepte de la "théorie du cyclone" : "Quand il y a un cyclone, on fonce au cœur de la tornade." Le publicitaire Jérôme Doncieux se retrouve avec son patron le lendemain matin, dans la plus grande discrétion, au siège des éditions Albert-René, qui éditent les albums d'Astérix. Sur le canapé d'en face : Albert Uderzo. "Il nous a dit que notre campagne était géniale, mais qu'on ne pouvait pas utiliser le visuel en l'état. Sarkozy l'a coupé : 'Aidez-nous à l'améliorer'. Et Uderzo a donné son accord." Quelques échanges de fax plus tard, une version édulcorée de l'affiche est finalisée. Et ce qui devait être une campagne limitée à décorer les permanences du RPR s'est transformée en une campagne d'affichage massive.

La figure de Nicolas Sarkozix

L'analogie entre Astérix et Sarkozy – "Ils sont tous les deux bagarreurs, ombrageux, tenaces, courageux, pas très grands aussi", sourit Jérôme Doncieux – sera un des points que chercheront à mettre en avant les publicitaires. Comme dans cette tribune parue dans Libération en 2004. Cinq ans ont passé, le temps au jeune loup de la droite de se remettre d'une gamelle aux européennes de 1999. Le texte, assimilant Jacques Chirac à Abraracourcix et Sarkozy à Astérix, passera relativement inaperçu. Même sort pour une saillie de Luc Chatel sur RTL en 2011 – si Nicolas Sarkozy est comparé à l'irréductible Gaulois, François Hollande s'y fait traiter de Babar, "dont les histoires emmerdent les enfants"

Il n'y a pas que la droite républicaine pour faire les yeux doux à Astérix. Ceux qui ont suivi la campagne des élections européennes 2009 se rappellent peut-être d'un déplacement surréaliste de Jean-Marie Le Pen sur le parking du Parc Astérix, en Picardie, entouré de gardes du corps affublés des casques en plastique vendus dans les boutiques de souvenirs. Celui qu'on surnomme "le Menhir" se voit en Obélix du Parlement européen : "Le président de la République [Nicolas Sarkozy à l'époque] a été à Eurodisney. Lui préfère le parc américain, moi je viens dans le parc gaulois, c'est toute notre différence." Le patriarche de l'extrême droite française n'a sans doute pas connaissance du seul dessin politique d'Uderzo, qui représentait un Astérix donnant un vigoureux coup de pied dans une marmite où est écrit "Potion maréchal", dénonciation claire des remugles de Vichy.

Vous vous souvenez de Simon Laplace, notre auteur de l'article "Astérix est-il de droite" ? Quand il l'écrit, en 2014, il émarge aux Républicains, derrière son mentor Bruno Le Maire. Et cinq ans plus tard, il est élu LREM à Niort (Deux-Sèvres). Une bonne occasion de lui demander s'il y a du Astérix dans Emmanuel Macron et réciproquement. "Astérix, c'est très 'en même temps'", commence-t-il, en prenant l'exemple de la générosité des Gaulois qui avalent des kilomètres pour aider la veuve et l'orphelin, sans que jamais un nouveau-venu ne s'installe au village. Avant de se raviser. "Astérix n'est pas clivant, et porte des valeurs qui parlent à tout le monde. On peut y chercher à valider ses propres convictions."

Un gilet jaune décoré aux couleurs d'Astérix, le 2 mars 2019, lors du 16e samedi de mobilisation, à Toulouse (Haute-Garonne). (ALAIN PITTON / NURPHOTO)

D'où le fait que les faucheurs d'OGM comme José Bové aient pu être comparés aux irréductibles Gaulois en 1999, avant d'avaler leur moustache de travers quand ils ont découvert que le banquet du village se tenait dans un McDonald's pour une affiche de l'enseigne de fast-food dix ans plus tard. Des zadistes aux libéraux, en passant les "gilets jaunes", chacun voit Astérix à sa porte. Allez donc voir l'arrière-boutique de l'article de Wikipedia sur la série, où chaque phrase est contestée par les tenants de chaque camp.

Autre preuve avec ce sondage lors de l'élection présidentielle de 2012, où les sondés étaient invités à dire pour qui votent les héros de BD : si Tintin est un homme d'ordre et Gaston Lagaffe un hippie vendu aux bobos, 42% des sympathisants socialistes pensent qu'Astérix aurait voté Hollande quand 38% des sondés proches de l'UMP mettaient le guerrier gaulois dans leur camp.

* Source : Centre d'histoire de Sciences Po ; archives de Michel Debré, correspondance (1951-1996), cote Arch. nat., 98AJ/11/212

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.