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Mangas : actions en justice ou plateformes légales, les éditeurs cherchent la solution efficace contre le piratage

Le phénomène du piratage est mondial et en très forte augmentation depuis la pandémie. Il s’accélère aussi avec le développement de la consommation de mangas sur les écrans.

Article rédigé par franceinfo Culture - Cédric Cousseau
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Les éditeurs cherchent la solution pour contrer le piratage de leurs oeuvres (MATTHIAS SCHRADER / DPA)

Le marché du manga explose, notamment en France où 28 millions d'exemplaires se sont écoulés en 2021, attisant les convoitises et les pratiques illégales. Quatre grandes maisons d'édition japonaises de mangas ont ainsi annoncé cette semaine porter plainte contre une entreprise américaine qu'elles accusent d'héberger des sites proposant leurs œuvres piratées. L'un de ces sites distribuerait à lui seul près de 4.000 mangas, enregistrant 300 millions de vues par mois.

Parmi les éditeurs à l’initiative de cette action en justice, figurent Shueisha, à la tête des séries les plus vendues à travers la planète, telles Dragon Ball, Naruto ou One Piece. Ensemble, les quatre plaignants entendent réclamer plus de 3 millions d'euros de dommages et intérêts.

Un montant très symbolique, tant le piratage de mangas sur internet est devenu massif. Il aurait entraîné un manque à gagner d'au moins 6 milliards d'euros en 2021 pour les éditeurs nippons, selon des estimations le mois dernier d'ABJ, une organisation de défense de leur propriété intellectuelle.

Les mangas les plus lus sont aussi les plus piratés. (MAUREEN SUIGNARD / RADIO FRANCE)

"Dès qu’un site ferme, un autre apparaît aussitôt"

Le fléau sévit également en France, deuxième nation du manga après le pays du Soleil Levant. Il se développe avec la lecture sur les smartphones et tablettes. Certains lecteurs n’ont pas toujours conscience de consulter des sites illégaux. D’autres ont des démarches hors-la-loi qu'ils ne peuvent ignorer lorsqu'ils s’échangent des fichiers piratés (appelés aussi “scans”) ou des adresses URL vers des sites cachés de stockage.

Le piratage a des conséquences. "Si Dragon Ball avait été complètement piraté dans les années 90, jamais Shueisha n’aurait eu l’argent ou le soutien nécessaire pour lancer une série comme One Piece, estime Benoit Huot, responsable éditorial mangas chez Glénat. Le fait de consulter du contenu piraté nuit à la créativité mais aussi à tous les professionnels du secteur que sont les éditeurs, auteurs, libraires, magasins, entrepôts, livreurs…"

Les éditeurs organisent la riposte. Ils tentent par l’intermédiaire de leurs services juridiques ou de sociétés spécialisées de faire fermer les sites frauduleux. "Des actions qui mettent du temps, des mois voire des années, à se concrétiser. Et dès qu’un site ferme, un autre apparaît aussitôt", constate Christel Hoolans, directrice général de Dargaud-Lombard qui représente l'éditeur de mangas Kana.

Les particuliers peu condamnés

Les lecteurs sont en revanche rarement inquiétés comme pouvaient l'être ceux qui téléchargeaient des films illégalement il y a quelques années et qui recevaient plusieurs courriers d’alerte de la Hadopi avant d’être sanctionnés. "Il faudrait des armées de juristes pour être derrière tout le monde", poursuit Christel Hoolans.

Pourtant, la loi est du côté du secteur puisque pirater est un délit qui relève du pénal prévoyant 300.000 euros d'amende et 3 ans d'emprisonnement. "Télécharger une œuvre pirate est une atteinte au droit d’auteur, constitutive du délit de contrefaçon", éclaire Maître Farah Bencheliha, avocate en droit du numérique et de la propriété intellectuelle.

"Les risques sont faibles car les éditeurs concentrent d'abord leur action envers les plateformes illégales qui ont un grand pouvoir de diffusion. La question est en fait complexe puisque la loi diffère en fonction de la nationalité de l'auteur." La seule chose permise est la copie d’une œuvre pour un usage privé mais encore faut-il que la source de la copie soit licite.

Des éditeurs s’en remettent également au Syndicat national du livre (SNE) qui dispose de ses propres juristes. "Nous signalons à nos adhérents l'existence de sites pirates et nous avons mis en place une solution technique permettant d'automatiser la recherche de liens vers des contenus illicites pour les faire supprimer et les déréférencer. Enfin, dans certains cas, nous engageons des recours, selon la voie, pénale ou civile, qui nous semble la plus appropriée. explique Julien Chouraqui, directeur juridique au SNE. Mais il est difficile de faire face à la rapidité d'internet et des réseaux."

Le manga Dragon Ball (JOEL SAGET / AFP)

Des plateformes légales à la conquête des lecteurs

Encore faut-il aussi trouver le moyen de faire basculer les lectures pirates vers la légalité. C’est pourquoi Kana, et neuf autres éditeurs comme Akata et Ki-oon, ont décidé fin janvier de rejoindre Mangas.io. La start-up française se déploie depuis 2020 et revendique 30.000 créations de comptes. Elle apparaît comme le Netflix du manga. Son principe : proposer contre un abonnement mensuel de 6,90€ des œuvres en illimité, complètes ou en prépublication. 150 licences sont répertoriés. 

Son fondateur Romain Regnier estime selon ses propres études "que pour un livre lu légalement, cinq le sont illégalement en France". Pour lui son modèle est vertueux. "Depuis que le service existe, 60% des utilisateurs nous disent moins consommer de "scans" depuis qu'ils ont un abonnement. Cela montre un mouvement et que lorsqu'une solution légale existe, le piratage diminue". La plateforme rémunère également les auteurs. 

"Le chemin a été long avant d'y proposer notre catalogue car les échanges avec les ayant droits au Japon ont mis plusieurs années, souligne Christel Hoolans de chez Kana. Même si la lecture en numérique est désormais plus importante que sur papier au Japon, certains auteurs et éditeurs ne souhaitent pas être publiés en ligne, d'autres ne veulent l’être qu’au Japon et pas à l’étranger. Ce n'est pas simple..."

Le site Mangas.io (DR)

Des millions de liens à traquer

De son côté, Glénat a lancé en septembre sa propre plateforme : Glénat Manga Max. Le site est lui gratuit et propose les premières planches de 175 séries. Deux aventures, One Piece et Sakamoto Days le sont en "simultrad", c’est-à-dire qu’un nouveau chapitre publié au Japon est tout de suite disponible en français. Une manière d'aller plus vite que les pirates et leurs traductions illégales, dopés par l'impatience de lecteurs à poursuivre la lecture de leur série préférée.

Le site Glénat Manga Max (Glénat)

L’économie du livre numérique légal n’en est qu’à ses débuts. Car le livre numérique représente aujourd’hui entre 1 et 5% seulement des ventes, tous genres confondus. Le manga n’est pas le seul univers concerné par le piratage puisqu'en dehors de celui-ci le SNE a déjà agi à l’encontre de près d’un millions de liens pirate et contribué à déréférencer auprès de Google plus de 4 millions de liens pirates ou de fishing, ces sites qui visent à obtenir des données personnelles en échange de la promesse d'accéder à des livres.

Le Syndicat national du livre dit enfin suivre de près la suite qui sera donnée à la plainte des éditeurs japonais de mangas aux Etats-Unis pour observer comment "la justice défend avec efficacité le droit d’auteur et voir en conséquence s'il est nécessaire de faire évoluer le droit."

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Le Fait culture - Un Netflix du manga pour contrer le piratage en ligne
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