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"L'Arabe du futur 4", de Riad Sattouf : de plus en plus fort

"L'Arabe du futur 4" (Allary Editions) est arrivé. Riad Sattouf nous embarque une fois encore entre la Bretagne et la Syrie. Cette fois c'est le grand saut dans l'adolescence et ses premiers émois, sur fond de décomposition du couple parental. Ce 4e tome, qui s'achève sur un coup de théâtre orchestré par le père, est le plus émouvant des quatre, même si l'on continue à rire en le dévorant.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Riad Sattouf publie "L'Arabe du futur 4 - Une jeunesse au Moyen-Orient (1987-1992)
 (Renaud Montfourny)

Quand démarre ce nouvel épisode de "L'Arabe du futur", on est en 1987, Riad a 10 ans. "J'étais assez mignon", résume-t-il en préambule. Il vit en Bretagne avec sa mère et ses deux petits frères. Riad n'a pas vu son père depuis 6 mois, en poste en Arabie Saoudite comme maître de conférences en histoire contemporaine à l'université de Ryiad. Sa mère a refusé de le suivre. "Moi j'ai fait 5 ans de Syrie, je fais pas l'Arabie Saoudite!"

"L'arabe du futur 4", page 7
 (Riad Sattouf (Allary Editions))
Ils vivent dans une maison de location au Cap Frehel, qu'ils doivent quitter quand les propriétaires viennent en vacances. La mère cherche du travail, a bien du mal à en trouver, se débrouille avec l'argent que leur envoie le père, pas grand-chose, même s'il raconte à Riad qu'il est en train de faire fortune en Arabie Saoudite.

"J'étais tellement beau"

Riad va à l'école du village, où il est élu 1er plus beau garçon de la classe. "Cela me faisait plaisir, même si je trouvais ça normal : j'étais tellement beau." Il commence le foot, se fait des copains. "Mon père ne me manquait pas mais je pensais souvent à lui." Riad parle avec son père au téléphone de temps en temps, sans grand enthousiasme, et ne comprend plus quand il lui parle en arabe.

Riad aime passer des moments avec sa grand-mère bretonne, attentive et bienveillante. Il adore manger des galettes complètes, lire des magazines ou des fiches Safari sur les animaux, et surtout dessiner, dessiner, et encore dessiner (un atout, en plus de sa grande beauté, pour séduire les filles à l'école). Il est très bon élève et fait le bonheur de ses professeurs, et de sa mère.

Le retour du père

Bref, la vie ordinaire et plutôt heureuse d'un petit garçon de 10 ans. Mais un jour, sans prévenir, son père rentre à la maison. Il a changé. Désormais versé dans la religion, il critique la France, se vante des millions qu'il gagne en Arabie Saoudite, sans pour autant en faire profiter sa famille. Il est devenu raciste, antisémite… L'ambiance se crispe.
"L'arabe du futur 4", page 98
 (Riad Sattouf / Allary Editions)
Après un voyage en Syrie pour rendre visite à la grand-mère malade, la famille est à nouveau éclatée : le père rentre en Arabie saoudite, la mère et les enfants retournent en Bretagne. Nouvelle coupe de cheveux (la coupe de Tone Crouze), retour à l'école, premiers émois, première colo, entrée au collège. La mère tombe malade et le petit Riad entre définitivement dans l'adolescence. Un saut qui s'accompagne de la lente et irrémédiable décomposition du couple de ses parents, avec en point d'orgue un incroyable coup de théâtre orchestré par le père.

La fin de l'innocence

Ce 4e opus de "L'Arabe du futur" est un pavé. Plus épais que les trois premiers tomes, il est aussi sans doute le plus fort, et le plus émouvant. Pourquoi ? Peut-être parce qu'il aborde l'adolescence, cette période de grands bouleversements chère à l'auteur ("Les Pauvres aventures de Jérémie", "La vie secrète des jeunes", "Les beaux gosses"…). 

Le petit Riad perd ses bouclettes blondes en même temps que ses illusions. Il faut faire avec ce nouveau corps, faire cohabiter les effets ravageurs de la montée d'hormones avec une tendresse persistante, affronter les moqueries des enfants du collège, accepter de regarder le monde tel qu'il est : non le père Noël n'existe pas, non les pères ne sont pas des héros, oui, les parents peuvent mourir, oui, pour faire les bébés, le papa met son zizi dans le trou de la maman… ("J'avais compris tous les secrets")

Fort ce quatrième tome, parce qu'avec la radicalisation du père et la décomposition du couple parental qui l'accompagne, c'est une guerre des mondes qui commence. Jusque-là trait d'union entre deux cultures, les parents incarnent désormais l'incompatibilité de deux modes de vie irréconciliables.

Du grand art, qui touche à l'universel

Le jeune Riad entre donc ici dans l'âge où l'on découvre que les adultes peuvent avoir des comportements incohérents, des réflexions idiotes, des raisonnements absurdes, des idées stéréotypées. Et dans ce domaine, si le père récolte la plupart du temps la palme, les autres personnages prennent aussi leur part. Le jeune Riad se contente de poser des questions innocentes, mais toujours judicieuses, qui mettent en lumière la sottise des adultes.
"L'Arabe du futur 4", page 19
 (Riad Sattouf / Allary Editions)
L'adolescent, yeux écarquillés, traverse toutes les tempêtes en observateur. Et c'est toute la force de la méthode Sattouf, qui atteint ici une sorte d'apothéose. Le dessinateur exprime les sentiments les plus complexes dans une savante juxtaposition de dessins et de textes, et une maîtrise parfaite de la narration, qui d'une histoire personnelle embrasse l'universel. La 2e élection de Mitterrand, la guerre du Golfe, le chômage… C'est à la fois une histoire intime que Riad Sattouf nous raconte, mais aussi, par petites touches, en filigrane, l'histoire contemporaine sociale, économique, religieuse, de la France et du Moyen-Orient des années 80 et 90.

Comme en plus, on s'est attaché à ce personnage, qu'il fait maintenant partie de la famille, on vit littéralement cette avancée dans le temps avec lui, on rit et on pleure, et on referme le livre complètement remué, abasourdi par le coup de théâtre final.

Cette rentrée 2018 est un véritable festival Riad Sattouf. La sortie du 4e opus de "L'Arabe du futur" (les trois premiers tomes se sont vendus 1,5 million d'exemplaires dans le monde entier) s'intercale entre le lancement début septembre de l'adaptation des Cahiers d'Esther en série animée sur Canal +, et l'ouverture de la grande exposition qui lui sera consacrée à partir du 14 novembre à la BPI de Beaubourg (jusqu'au 9 mars 2019).
 
"L'Arabe du Futur 4" (1987-1992), Riad Sattouf
(Allary Editions – 288 pages – 25,90 euros)

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