Festival de la BD d’Angoulême : "Lebensborn", Isabelle Maroger revient sur les maternités nazies

Isabelle Maroger signe avec "Lebensborn" un roman graphique d’une rare puissance sur son histoire familiale, une enquête bouleversante sur les cliniques nazies. Grand coup de cœur. Portrait.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 2 min
Couverture de l'album "Lebensborn" d'Isabelle Maroger. (BAYARD GRAPHIC)

"Pendant longtemps, je ne me sentais pas à la hauteur de ce projet", confie Isabelle Maroger, dans un café à Angoulême. La jeune quadra vient de publier une bande dessinée très remarquée : Lebensborn (Bayard Graphic) et sort d’une séance de dédicaces. Pudique, l’autrice revient avec authenticité sur un projet qu’elle a porté pendant des années. "J’ai su la vérité quand j’étais étudiante à Pau dans une école de dessin, j’avais 20 ans". Il a fallu encore vingt ans pour que l’album soit enfin entre les mains des lecteurs.

"Ça devient rare comme race"

Tout commence dans un bus lyonnais. Alors qu’elle se promène avec son bébé, Isabelle Maroger se fait interpeller par une femme qui la complimente pour ce bel enfant blond aux yeux bleus. Et d’ajouter : "ça devient rare comme race"... Sous le choc, la Franco-Norvégienne, elle-même grande, blonde et aux yeux bleus, décide de raconter enfin sa famille, et de se raconter aussi. L’histoire familiale rejoint la grande histoire. La vérité, donc. Sa mère est née dans un Lebensborn, ces maternités mises en place par les nazis pour produire à la chaîne de purs Aryens. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les soldats allemands étaient encouragés à mettre enceintes les femmes aryennes et de les diriger ensuite vers des cliniques spécialisées. Ceux qui réussissaient percevaient une prime. La grand-mère norvégienne d'Isabelle Maroger est tombée amoureuse de l'un de ces soldats et a accouché de sa fille dans une de ces maternités. 

"Plus de 15 000 enfants sont nés dans des Lebensborn, principalement en Allemagne et en Norvège, mais aussi en France. Cela fait partie de l’histoire", observe Isabelle Maroger. Aller vers l’histoire est une tâche ardue, le passé ne passe pas toujours. La rencontre en Allemagne avec son grand-père biologique, ancien SS, ne s'est pas déroulée comme elle l’espérait. D'autant que le lecteur découvrira que la famille paternelle de l'autrice vient du camp opposé. "J’ai toujours été fière d’avoir été du bon côté de l’histoire, d’être issue d’une famille de résistants", dit-elle. 

L’intime et l’universel

Comment narrer l’histoire ? "Longtemps, j’ai pensé à suivre le quotidien de ma grand-mère dans les années 1940. J’ai éprouvé du mal à sentir les dialogues. Ensuite, j’ai pensé à raconter l’histoire par le regard de ma mère", révèle Isabelle Maroger. Avant de se décider à se mettre en scène elle-même. "Mon personnage un peu candide permet d’explorer cette histoire". La jeune bédéiste a aussi dû faire face au scepticisme de certains éditeurs. "L’un d’eux m’avait dit : tu es faite pour faire du gag, de la légèreté. Il a voulu m’imposer un autre dessinateur". Isabelle Maroger s’accroche. C’est son histoire.

L’intime est universel. Avec bienveillance, sensibilité et intelligence, Isabelle Maroger nous emmène dans un voyage personnel, une quête d’une vérité enfouie. Elle a su interroger un passé douloureux, mais aussi un présent fébrile. Elle ne cache rien au lecteur, pas même sa relation complexe avec sa mère. "Ma mère a adoré le livre, elle l’offre à tout le monde". Lebensborn, grand coup de cœur, un roman graphique à mettre entre toutes les mains. Isabelle Maroger, une autrice à suivre. 

Couverture de l'album "Lebensborn" d'Isabelle Maroger. (BAYARD GRAPHIC)

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