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Bretécher par Pétillon : "Elle est notre Trésor national vivant"

C'est un événement : une grande exposition monographique consacrée à Claire Bretécher se tiendra à partir du 18 novembre à la Bibliothèque publique de Beaubourg (BPI). L'auteur des frustrés n'aime pas tellement parler d'elle-même. Ce sont donc ses amis ou admirateurs qui le font pour elle. Rencontre quelques jours avant l'ouverture de l'exposition avec l'un de ses plus grands fans : René Pétillon.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6 min
René Pétillon, auteur de BD et dessinateur de presse, novembre 2015
 (Laurence Houot / Culturebox)

On le retrouve en face de Beaubourg, dans le café qui porte le même nom. René Pétillon, l'œil qui pétille à l'évocation de Claire Bretécher, sa grande amie "depuis toujours me semble-t-il", dit-il. L'auteur de "L'enquête corse", de "L'affaire du voile", dessinateur de presse au Canard enchaîné, a rencontré Claire Bretécher alors qu'il débutait dans la profession, à Angoulême. Depuis, une amitié "sans nuages". René Pétillon accepte avec plaisir de parler de son amie, même si, confie-t-il, "il faut trouver la bonne distance".

Son regard sur la mère des Frustrés et d'Agrippine, en 10 mots clés

Claire Bretécher
 (Dargaud / Rita Scaglia)

TIMIDE
"J'étais très intimidé", se souvient René Pétillon à l'évocation de cette rencontre. "Elle était déjà une légende. Claire est une grande timide. Et comme moi aussi je suis timide, deux timides qui se rencontrent c'est compliqué. On se tourne autour. On se flaire puis on finit par se rapprocher. Mais ça s'est très bien passé", raconte le dessinateur. "Au début, c'était une relation plutôt professionnelle et puis ça s'est transformé en amitié", poursuit-il. Une amitié de plus de 40 ans "sans un nuage. On n'est pas toujours d'accord sur tout mais il y a une chose sur laquelle on a toujours été d'accord, c'est le métier de dessinateur".

DRÔLE
L'humour, c'est son arme. Claire Bretécher n'est ni une militante, ni une théoricienne. "Elle peut être assez tranchante. Moi par exemple je suis capable de me lancer dans des grands discours 'à haute valeur ajoutée', sur la politique par exemple. Elle, balaie ça d'une phrase, pour dire que ça la bassine", explique René Pétillon. "Elle a un regard politique au sens où elle dessine la société du temps présent, mais si on lui rappelle par exemple que Roland Barthes l'avait qualifiée de sociologue de l'année en 1976, elle lève les yeux au ciel. Même si, à mon avis, elle est secrètement flattée, elle ne le reconnaîtra jamais ! ", sourit René Pétillon. "Elle est comme ça. Elle règle les choses compliquées avec drôlerie. Vite fait et sans réplique. Dans la vie elle est très drôle. Avec elle, j'ai pleuré de rire. Quand elle se met à déconner c'est quelque chose ! "
Claire Bretécher, extrait de "Morceaux choisis" (Dargaud)
JAMAIS MÉCHANTE
Dans ses BD, Claire Bretécher passe au crible ses congénères avec férocité, mais "il n'y a aucune méchanceté chez elle. Au contraire, je pense qu'elle a une indulgence fondamentale pour l'humanité", souligne René Pétillon.

ÉLÉGANTE
"Elle peut dire des horreurs avec beaucoup d'élégance. Elle n'est jamais vulgaire. "
Extrait de "Morceaux choisis" (Dargaud)
PAS MILITANTE
"Je ne dirais pas qu'elle est militante. Elle dit par exemple qu'elle ne se sent pas féministe. Dans la vie, en tant que femme, elle ne se laisse pas marcher sur les pieds, mais je ne la verrais pas militer dans un mouvement par exemple. C'est une artiste qui s'empare de la vie, la sienne, personnelle, et celle des autres, mais qui refuse d'être une porte-parole. Comme beaucoup d'humoristes, elle insiste surtout sur ce qui ne va pas. Si on racontait des histoires sur ce qui va, ce serait ennuyeux ! Et puis pour être militant il faut faire l'impasse sur les côtés grotesques, et les meilleures causes ont des côtés grotesques. Or, elle ne pourrait pas faire l'impasse. Donc c'est rédhibitoire. Être humoriste, c'est une tournure d'esprit, c'est faire rire ses contemporains sans affiche, sans étiquettes. Elle a fait des pages inoubliables sur les manifs, mais je ne la vois pas du tout manifester…"

TRAVAILLEUSE
"Comme tous les grands, elle s'attache à ce que ça ne se voit pas mais elle travaille énormément. Elle fait un gros travail de préparation, sur les dialogues, les personnages, le mouvement, jusqu'à trouver la bonne expression. Des calques et des brouillons, il y en a des caisses. C'est une solitaire, comme tous les dessinateurs de BD. La BD c'est long, c'est fastidieux. Mais il y a aussi des moments de grâce, où tout va bien, où tout tombe facilement. Alors là c'est extraordinaire et on est content d'être là où on est. Mais il y a aussi beaucoup de sueur. Pour Claire, c'est en dent de scie, la muse est capricieuse. Donc quand elle en a marre, elle fait des autoportraits. Elle me dit il faut vraiment être au fond du trou pour faire des autoportraits. Elle n'est pas tendre avec elle-même d'ailleurs. Elle se traite comme elle traite ses personnages".
Extrait de "Morceaux choisis" (Dargaud)
PAS GEEK
"Elle a un téléphone portable. Mais modèle 90. Même le fax ça lui pose un problème. Elle est définitivement brouillée avec la technologie. À un moment, elle a quand même été interpellée par le progrès technique et elle était d'accord pour faire une petite initiation avec moi. Et puis finalement elle a changé d'avis. Elle m'a dit c'est un coup à se brouiller ! Donc elle continue à travailler à la main, à l'ancienne. À la plume et aux encres pour la couleur. Elle travaille encore avec ce qu'on appelle "les bleus" (une mise en couleur sur une page imprimée avec un tracé bleu). Elle est extrêmement exigeante sur le niveau graphique de son travail.

VISIONNAIRE
"Elle a toujours été très en avance sur son temps. Elle avait tout flairé. Elle a traité de sujets à la mode aujourd'hui dès les années 70 : la procréation assistée, le mariage pour tous… Elle s'est moquée de la bourgeoisie de gauche,  qu'on pourrait appeler comme elle  "la gauche sucre de canne". C'était les bobos avant les bobos.  Elle a aussi apporté un regard complètement neuf sur les femmes. À l'époque, dans les BD, les femmes étaient représentées soit comme des mégères, soit comme des bombes. Elle est la première à avoir représenté graphiquement les femmes de tous les jours, avec leurs préoccupations du quotidien. "

INVENTEUSE
"Elle a l'art de piocher dans l'air du temps. Mais elle ne se contente pas de copier la réalité. Elle réinvente. Un langage qui est fait d'expression d'aujourd'hui mélangées avec du vieil argot. Elle a l'art du raccourci, de la syntaxe, qui fait couler le dialogue. Elle a inventé une langue. Et c'est pour ça qu'elle est indémodable. On peut dire, c'est du Bretécher. Elle a aussi inventé une galerie de personnages extraordinaires. Des personnages drôles mais avec une très grande profondeur.
Bretécher, extrait de "morceaux choisis" (Dargaud)
LIBRE
Dans ses BD, Claire Bretécher n'a aucun tabou : le sexe, la famille, la religion… Rien ne lui fait peur. Chez elle, tout sujet est à croquer. "Elle a une très grande liberté d'esprit. Elle est courageuse, elle n'a pas peur des jugements. Pour résumer, c'est un esprit libre".

CONCLUSION : UN TRÉSOR NATIONAL VIVANT
"Si elle m'entend, elle va lever les yeux au ciel. Mais c'est vrai, pour les gens de ma génération, c'est une extraordinaire dessinatrice humoristique et pour les jeunes générations, c'est un modèle… 'Trésor national vivant toi-même', elle va me dire. Mais bon ce n'est pas grave ! J'assume", conclut René Pétillon avec ce sourire malicieux qui traîne toujours dans son œil bleu. 

Il ajoute avant de partir qu'il va aller voir aujourd'hui l'exposition avec Claire Bretécher. "Elle a le trac ! Ça la perturbe, mais dans le fond, ça lui fait très plaisir ! ". 

A VOIR
Exposition Claire Bretécher
du 18 novembre 2015 au 8 février 2016
BPI de Beaubourg

A LIRE
Les frustrés - Intégrale

(Dargaud - 304 pages - 47 euros)
Morceaux choisis
(Dargaud -  128 pages - 19,99 euros)
Bretécher - Les années pilotes
(Dargaud - 224 pages - 29,00 euros)

Et à lire aussi les oeuvres de René Pétillon, éditées entre autres chez Dargaud et chez Glénat.
Couverture de "Palmer en Bretagne", Petillon (Dargaud)

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