"Bobigny 1972" : un roman graphique engagé retrace le procès qui a ouvert la voie à la légalisation de l'avortement
Bobigny 1972 s'ouvre sur une course-poursuite nocturne. Gyrophare sur le toit, la voiture des forces de l'ordre sillonne la nuit et les rues d'une banlieue parisienne. Le conducteur du véhicule poursuivi finit par être interpellé. La police l'embarque et l'interroge. Vol de voiture, refus d'obtempérer, délit de fuite, mise en danger de la vie d'autrui... Malgré les nombreux délits commis, le jeune homme semble s'en sortir grâce à un drôle de stratagème : la dénonciation d'une autre affaire.
Le roman graphique de Marie Bardiaux-Vaïente et Carole Maurel, paru le 10 janvier aux éditions Glénat, retrace l'histoire de Marie-Claire Chevalier, une jeune femme âgée de 16 ans lorsqu'elle est violée en 1971 par Daniel P., le fuyard de la course-poursuite, et tombe enceinte. Avec l'aide de sa mère Michèle et les services d'une faiseuse d'anges, l'adolescente avorte. C'est cet avortement clandestin que Daniel P. dénonce aux agents qui l'interrogent lors de sa garde à vue. Marie-Claire Chevalier se retrouve ainsi devant un tribunal pour avoir été jetée en pâture à la police par son propre agresseur.
Morceau de lutte
En faisant le récit du procès de Marie-Claire Chevalier, de sa mère et de deux collègues de cette dernière qui ont aidé la jeune femme à avorter, les autrices mettent en lumière une époque pas si lointaine où les femmes françaises ne pouvaient pas faire le choix de la maternité et encouraient la prison en cas d'avortement. Le roman graphique donne à voir les entraides, les luttes souterraines, les actions d'associations ou encore l'apport précieux des médias. Bobigny 1972 partage les souffrances et les joies militantes.
Alors que l'histoire de cette adolescente ressemble à celle de beaucoup d'autres, son cas marque durablement le droit des femmes. Dans le décor froid du tribunal, entre le bois et les robes noires, sa défense est menée par la très renommée Gisèle Halimi. L'avocate fait notamment témoigner l'actrice Delphine Seyrig et la philosophe Simone de Beauvoir. Leurs prises de paroles militantes et émouvantes assurent une grande couverture médiatique. Marie-Claire Chevalier est finalement relaxée, et ce, malgré ses aveux. Une décision qui joue un rôle clé dans la lutte pour la légalisation de l'avortement dont les autrices rendent méticuleusement compte.
D'hier et d'aujourd'hui
Bobigny 1972 est aussi sombre que nécessaire. La scénariste Marie Bardiaux-Vaïente et la dessinatrice Carole Maurel donnent à voir les événements dans leur entièreté et sans adoucissement. Elles représentent notamment le viol à l'aune du vécu de Marie-Claire Chevalier, un moment de noirceur, d'effroi et de mutisme. Elles ne gomment pas non plus la violence des propos adressés à la jeune fille. Durant les audiences, les mots tenus par le procureur heurtent. Celui-ci met immédiatement en doute l'agression évoquée par l'accusée, plus encore, il n'y croit pas. Paroles du vieux monde ? Il n'en demeure pas moins que les discours tenus dans le tribunal résonnent encore.
"N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant." Ces mots de Simone de Beauvoir sont placés en exergue du roman graphique, comme un rappel. Marie Bardiaux-Vaïente et Carole Maurel font le récit d'un procès historique, mais s'inscrivent aussi dans une lutte restée d'actualité. Bobigny 1972 porte des combats qui, ici ou là, ont encore cours.
"Bobigny 1972" de Marie Bardiaux-Vaïente et Carole Maurel (Glénat, 187 pages, 25 euros).
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