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BD : "Varto", le génocide arménien dans les yeux des enfants

L'année 2015 marque le centenaire du génocide des Arméniens. "Varto" fait le récit en BD de la tragédie arménienne, longtemps restée taboue. On y découvre l'histoire de Varto et de sa sœur, Maryam, deux enfants arméniens qu'un adolescent turc Hassan est chargé par son père de conduire en lieu sûr pendant la Première Guerre mondiale. Un récit poignant, à travers le regard innocent des enfants.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
"Varto", Gorune Aprikian
 (Stéphane Torossian / Steinkis)
L'histoire : 1915. Première guerre mondiale en Turquie (Empire ottoman). L'armée subit des revers à Suez puis dans le Caucase. Les troupes turques s'en prennent alors à la population arménienne, désignée comme menace intérieure. Les premières déportations commencent dès la fin du mois de mars 1915. Le 24 avril, les Jeunes Turcs organisent une grande rafle dans les rues de Constantinople. Puis sur tout le territoire de l'Empire ottoman où vivent des Arméniens (entre 2 et 3 millions de personnes), le scénario se répète : arrestations, expropriations, déportations, exécutions. On tue les hommes. On arrête les femmes et les enfants et on les déporte. Vols, viols, spoliations, femmes et enfants vendus comme esclaves, massacres…
 
C'est à ce moment-là que commence l'histoire de "Varto", de Gorune Aprikian et Stéphane Torossian (Steinkis). En Turquie de l'Est. Le père d'Hassan est malade et demande à son fils de prendre soin de Varto et Maryam, les enfants de Garabed Basmadjian, son ami arménien. Comme beaucoup d'hommes de son peuple, le père des deux enfants a été arrêté. Hassan doit conduire Varto et Maryam en lieu sûr, chez leur oncle. Commence alors un périple dangereux à travers les montagnes, un paysage hostile où rôdent les bandits, les chiens errants, les soldats et les survivants faméliques et hagards des déportations. Hassan commence ce voyage avec réticence, puis ses sentiments évoluent au fil du voyage. Cent ans plus tard, les descendants d'Hassan et des deux enfants, pour certains vivant en France, pour d'autres restés en Turquie, tentent de se retrouver…

"Montrer l'ampleur du cataclysme sans perdre sa dimension intime"


Gorune Aprikian aborde la question du génocide sans discours politique. Le personnage d'Hassan, jeune Turc plongé malgré lui dans une histoire qui le dépasse pourrait devenir un collaborateur actif du génocide, comme bon nombre de ses congénères, mais son père l'amène à faire un autre choix. En face de lui, deux enfants impuissants, incrédules face à l'inimaginable barbarie. L'auteur voulait raconter cette histoire de l'intérieur, "montrer l'ampleur du cataclysme sans perdre sa dimension intime". C'est pourquoi il a choisi de la raconter du point de vue des deux enfants et d'Hassan, "qui ignorent ce qui se passent et découvrent petit à petit l'étendue du génocide".
  (Stéphane Torossian)
L'auteur tenait aussi à traiter le sujet dans une vision porteuse de réconciliation. "Quand nationalisme et fanatisme sont évacués, nous (Turcs et Arméniens) découvrons à quel point nous sommes proches, a quel point nous sommes presque de la même famille", ajoute-t-il.


La rage


Producteur et scénariste de cinéma, Gorune Aprikian a d'abord écrit cette histoire pour le cinéma. "La bande dessinée est un art dramaturgique majeur, auquel je suis sensible depuis toujours", explique-t-il. Pour donner forme à son projet, l'auteur s'est associé à Stéphane Torossian peintre et illustrateur d'origine arménienne, qui s'est livré pour la première fois à l'exercice de la BD. "J'avais besoin d'un guide qui trace ma route", explique-t-il. C'est donc un troisième Arménien d'origine, Jean Blaise Djian, scénariste de BD, qui l'aide à "tracer sa route" pour mettre en images "Varto". Le résultat est étonnant : des peintures en noir et blanc, faisant penser aux affiches de cinéma ou couvertures de la collection Livre de poche des années 50-60, et dont la noirceur et la force du trait soulignent le drame du génocide arménien. "Dès le début de mon travail, je savais que je devais éviter le piège de me laisser submerger par l'émotion afin de dessiner de façon vraisemblable, explique l'illustrateur, mais il ajoute avoir quand même éprouvé la rage d'Hassan quand il sauve ces enfants de la brutalité de ses compatriotes".
 
Un livret documentaire de 13 pages clôt l'ouvrage, qui replace le génocide dans son contexte historique, présente des photos, et l'inscrit dans l'histoire contemporaine. 
 
Varto Gorune Aprikian, dessins de Stéphane Torossian, mise en scène Jean-Blaise Djian (Editions Steinkis – 128 pages – 20 euros).


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