"Avant de mourir, je voudrais…" : à la gare de Lyon, un tableau noir interpelle les voyageurs
Des tableaux ont été installés pour permettre aux visiteurs de rédiger leurs aspirations personnelles à la craie. Certains visiteurs confessent un certain malaise, dans une période marquée par le risque d'attentat.
Et vous, qu'aimeriez-vous faire avant de mourir ? Depuis le début du mois, les voyageurs sont invités à partager leurs aspirations personnelles sur de grands tableaux noirs, installés dans un coin du hall de la gare de Lyon, à Paris. "Fausse bonne idée", "idée macabre"... Certains médias ont jugé l'œuvre provocante en période d'attentats, a fortiori dans une gare où patrouillent les soldats de la mission Sentinelle. Ce mardi 9 août, pourtant, les premiers curieux se pressent avec le sourire, encouragés par quelques propositions fantaisistes : "Je voudrais deux côtelettes avec des frites".
Des voyageurs souvent amusés devant le mur
"Avant de mourir, je voudrais..." Une petite fille se lance, une craie à la main, et complète la phrase répétée au début des centaines de lignes pré-remplies : "Vivre". Après quelques secondes de réflexion, la petite se ravise. Finalement, elle veut "voir des licornes". Sa mère, amusée, n'a pas fait le lien avec le contexte terroriste. "Il va peut-être falloir y penser", poursuit-elle, sans se départir de son sourire. "En tout cas, cela donne à réfléchir." Ni détachée du climat actuel, ni traumatisée.
La plupart des messages réclament des voyages, de l'amour et de la paix. Certains se distinguent tout de même : "Succomber à Napoléon Ier", "voir Lens gagner la Ligue des champions", "faire du Vélib"...
Un agent de la SNCF écrit un petit mot en arabe. Un jour, un touriste lui a fait grief du projet, estimant qu'il offensait les proches des victimes d'attentat. Lemnaouer assure, toutefois, que ces cas sont plutôt rares. Avant même d'installer ces tableaux, la compagnie avait anticipé ces remarques. Une notice précise que "SNCF Gares & Connexions est bien consciente que pour certains cela fait inévitablement écho aux émotions que suscite cette actualité [mais qu']elle ne veut cependant, ni ne peut, y répondre ni même s'y inscrire".
Un concept décliné dans le monde entier
Ce mur est loin d'être une première mondiale. Son concept (en anglais) a été imaginé par l'artiste Candy Chang en 2011, après la perte d'un proche. A l'époque, elle avait recouvert le mur d'une maison abandonnée de Saint-Louis. Un geste fort. Six ans plus tôt, l'Etat de Louisiane avait pleuré la mort de 1 577 personnes après le passage de l'ouragan Katrina. Ensuite, beaucoup de gens l'ont contactée pour créer des murs. Un site les recense aujourd'hui : il y en aurait 2 000, dans plus de 70 pays. En France, les villes de La Rochelle, Belfort, Avignon et Saint-Dié ont déjà fait l'expérience. Tout comme Naples, en Italie :
"Before I die I want to have the key to all the gates" from Naples, Italy. pic.twitter.com/dKQdp2XZOw
— Before I Die (@BeforeIdiewall) 25 juin 2016
"Before I Die est un projet participatif qui invite les visiteurs à contempler la mort, à réfléchir sur la vie, et à partager leurs aspirations personnelles en public", explique Candy Chang. Après avoir lu la presse, Rémi est venu faire un tour, en trottinette. "La mort est taboue en France, donc ça fait réagir, mais c'est différent par exemple en Amérique du Sud. Et puis tant mieux si ces tableaux font réfléchir." Un peu plus tard, trois sympathisants communistes devisent au même endroit, sur les convictions d'une vie : "Moi, je rêve que la société change depuis ma jeunesse."
A l'inverse, la belle-sœur de l'ancien élu a aussitôt pensé aux attentats, au point de lier l'installation des tableaux aux récents événements. "Avec ces craies, cela me rappelle les hommages de la place de la République..." Même sentiment de malaise chez une jeune femme, sur le point d'embarquer pour la région de Saint-Etienne (Loire). "Peut-être suis-je moins habituée à la foule, moi qui viens de la campagne. Mais je pense immédiatement aux attentats avec cette mention, surtout ici, dans une gare bondée."
Un agent efface les messages vulgaires ou haineux
Quand le RER est en retard, les usagers profitent de cette tribune inattendue pour réclamer des trains à l'heure, avant de jeter la craie de colère. Aujourd'hui, par chance, les horaires sont respectés. Un agent de maintenance vient malgré tout contrôler les tableaux, "de façon aléatoire", afin d'effacer les messages haineux et vulgaires. Inscrit deux heures plus tôt par deux adolescentes, le message "Elle a mal aux reins quand je la démonte" n'a pas survécu à son éponge. Récemment, une inscription "Dehors l'islam" a subi le même sort.
Les tableaux resteront installés jusqu'à fin septembre, avant de conquérir, peut-être, d'autres gares. En attendant, toutes les étapes de fabrication sont détaillées à cette adresse (en anglais). Avant Candy Chang, déjà, d'autres artistes ont confié des craies aux visiteurs, à l'image du Français Jean-Luc Vilmouth, dans une œuvre intitulée Café Little Boy, réalisée pour la première fois à Hiroshima. Un espace de libre expression en mémoire du drame et de la mort, où les messages successifs finissent par devenir illisibles. Ici, à la gare de Lyon, les messages sont effacés quotidiennement, afin de laisser la place aux rêveurs suivants.
Parfois, l'œuvre fait mouche. "Cette question me touche beaucoup", confesse Achraf, ingénieur industriel, qui trouve dans Before I Die un écho à sa lecture du moment, Les Sept habitudes des gens efficaces : "Imaginons que tu assistes à tes propres obsèques. Que peux-tu dire de toi ? L'auteur explique de toujours entreprendre les choses en ayant leur fin en tête." La question posée par Candy Chang paraît simple, mais commencer par le terme n'est pas si facile. Alors on sèche, une craie à la main. Achraf s'éloigne, avec un sourire : "Tu trouveras !"
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