Un siècle avant Photoshop, la presse retouchait déjà les photos
Dans les archives de grands quotidiens américains, le réalisateur Raynal Pellicer a déniché 110 photographies de presse, retouchées et publiées entre 1910 et 1970. Décryptage d'une pratique dont l'usage n'a rien à voir avec les technologies modernes.
Que la régie publicitaire de la RATP se rassure, elle n’a pas été la première à censurer des cigarettes sur des photographies, et cela, bien avant la loi Evin. Dans Version Originale - La photographie de presse retouchée, de Raynal Pellicer, on découvre une photo d’Humphrey Bogart amputée de sa cigarette, publiée par le Baltimore Sun, en 1949. Si dans ce cas, le recadrage n'a qu'une vocation esthétique, il témoigne néanmoins d’une pratique usitée dans la presse, bien avant l’apparition des logiciels de retouche de type Photoshop. L'ouvrage du réalisateur français rassemble ainsi 110 photographies de presse, retouchées et publiées entre 1910 et 1970.
Une pratique aussi vieille que la photographie
Selon André Gunthert, enseignant-chercheur spécialiste des cultures visuelles, "le premier daguerréotype est divulgué en 1839 et la première photo retouchée attestée date de 1841 (…) La retouche remonte donc au début de la photo et en a toujours accompagné la production". Lorsque la presse commence à remplacer les illustrations par des photos dans les articles, à la fin du XIXe siècle, elle crée en parallèle un poste de retoucheur. Sa mission est de sublimer le rendu de ces photos, voire de supprimer les informations qui nuieraient à la lisibilité de la maquette du journal. Tout le talent du retoucheur consistant à ce que ces retouches ne soient jamais décelées.
Une contrainte technique autant qu'esthétique
Les défenseurs de la retouche de l'époque ont des arguments. Il s'agirait surtout de pallier la teinte jaunâtre et l’effet buvard du papier journal. Pourtant, dans bien des cas, la gouache et les ciseaux servent à supprimer un arrière plan disgracieux ou effacer une main mal placée. Si ces retouches peuvent aujourd’hui paraître grossières, le rendu une fois imprimé est très naturel. Il y a un siècle déjà, on considérait que l'objectif des retouches était d'améliorer l’image pour l’impression, pas de la truquer pour tromper le lecteur.
Une pratique déjà taboue
Plus qu'une pratique méconnue, la particularité de l'ouvrage Version Originale - La photographie de presse retouchée de Raynal Pellicer est de dévoiler des images crayonnées, annotées et barbouillées, non seulement inédites, mais que l'on aurait jamais dû voir. Car à l’aune de la photographie, on garantissait déjà les clichés "sans retouche". Un bon photographe ne devait pas avoir besoin de retoucher ses clichés.
Retoucher, c'est tricher ?
Pour Robert Pledge, co-fondateur de l’agence Contact Press, il faut distinguer une retouche destinée "à rehausser et améliorer le rendu d’une image après impression d'une retouche visant à en détourner le sens". Mais la vraie question est celle de la frontière. Lorsqu'on supprime un arrière-plan pour mieux détacher son sujet, est-on toujours dans la retouche ou déjà dans le trucage ? Les récentes polémiques autour du gagnant du World Press Photo ou le dernier hors-série du magazine Réponses Photo, Où s’arrête la photographie ? ne cessent de pousser les professionnels à s'interroger sur le sujet. Si ces 110 photos n’apportent pas de réponse, elles sont le témoin de l’ampleur d’un phénomène, dont la pratique a juste été simplifiée avec l’apparition de la technologie moderne.
Version Originale - La photographie de presse retouchée de Reynal Pellicer (éditions de La Martinière) - 231 pages - 42 €
Les photos de cet ouvrage sont exposées dans le cadre des Rencontres photographiques d’Arles (Gard), jusqu’au 22 septembre 2013.
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