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La Cité de la Jarry de Vincennes, le plus grand squat artistique d'Ile-de-France, doit fermer

C'est un colosse architectural de six étages en béton : la Cité de la Jarry. Devenu au mitan des années 2000 un gigantesque squat artistique, considéré comme le plus grand d'Ile-de-France, cet ancien bâtiment industriel aujourd'hui perdu dans un quartier résidentiel cossu, dérange. Il doit fermer ses portes, au désespoir de ses derniers occupants.
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
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L'imposante façade blanche décrépite de la Cité de la Jarry à Vincennes abritait le plus grand squat artistique d'Ile-de-France.
 (Joel Saget / AFP)

Nostalgie pour un lieu unique considéré comme "une verrue" par la mairie

"Voir tout ça se vider, c'est à la fois émouvant et assez désagréable": Antoine, 34 ans, qui avait installé son atelier de scénographiste voici sept ans à la Jarry, se dit "plein de nostalgie" pour ce "lieu unique": 45.000 m2 truffés de dédales de rampes, escaliers et rues circulaires où chaque centimètre de mur est recouvert de graffitis.

La préfecture et la mairie doivent se réunir lundi pour planifier l'évacuation définitive du lieu. "C'est une verrue dans le quartier", assène Laurent Lafon, maire UDI de Vincennes.

Dans la cuisine d'un appartement du squat de la Cité de la Jarry à Vincennes le 15 juillet 2017.
 (Joel Saget / AFP)

 

Une cité ouvrière utopique des années 30

Bâti dans les années 1930, à l'époque des utopies urbaines et sociales, la Jarry se voulait l'exemple "du mieux-être du petit industriel, de l'artisan et de l'ouvrier". Une cité utopique où les ouvriers et artisans disposaient d'un logement et de services (crèches, parkings etc) sur leur lieu de travail. 

La mauvaise gestion des héritiers des deux grandes familles propriétaires du lieu a fait progressivement fuir les entreprises. Les premiers squatteurs arrivent au début des années 90. Les locaux se vident, les difficultés financières s'accumulent, le bâtiment se dégrade: un arrêté de mise en péril est pris en 2004 puis une procédure d'expropriation est lancée.

Après une longue bataille juridique, les communes de Vincennes et Fontenay-sous-Bois, réunies en syndicat intercommunal, rachètent le site pour 25 millions d'euros à l'été 2015. Objectif: tout démolir et construire un lycée.
Dans la cuisine d'un appartement de la Cité de la Jarry à Vincennes, le 15 juillet 2017.
 (Joel Saget / AFP)

 

Un mode de vie alternatif, créatif et mixte

Mais depuis longtemps des artisans, des artistes, des familles voire des marginaux, fuyant la spéculation immobilière de la capitale toute proche, ont investi les lieux, jusqu'à rassembler 300 personnes qui vivent un mode de vie alternatif.
 
"C'était super pratique, tu avais toutes les corporations de métier. Quand j'avais besoin d'un menuisier, j'allais voir mon voisin", raconte Julien, décorateur de théâtre, installé depuis près de dix ans. "C'était une vie alternative, avec de la mixité: des gens bien comme des crapules, et tout ça cohabitait", résume Antoine. "Certains sont venus pour créer ou travailler. D'autres pour faire du trafic ou tout simplement sauver leur vie", observe Charles, carreleur.

En attendant d'être délogés par la police, une dizaine d'irréductibles "Jarryssois" profitent des dernières heures pour dénicher des trésors abandonnés dans le capharnaüm des ateliers ouverts aux quatre vents.

Les plus illustres occupants, comme le peintre allemand Peter Klasen, artiste majeur du mouvement de la Figuration narrative qui travaille sur le thème de l'industrie, ont mis leurs toiles à l'abri.

Certains savent déjà qu'ils trouveront un point de chute, d'autres comme Ousmane, tee-shirt "Jarrystan" sur le dos, n'ont "nulle part où aller". Il en veut à la mairie "qui a tout fait pour que ça ne marche pas".
Un résident de la Cité de la Jarry travaille dans son atelier, le 15 juillet 2017.
 (Joel Saget / AFP)

 

Le projet de reconversion mixte de Jean Nouvel n'a pas été retenu

Julien regrette, lui, le projet retoqué de Jean Nouvel. L'architecte mondialement connu proposait de mixer lycée, logements, bureaux et ateliers. "Irréaliste" et "farfelu", balaye le maire Laurent Lafon.

Jérôme, doyen de la Jarry où il est arrivé en 1990, aurait rêvé d'une reconversion sur le modèle des Frigos de Paris: cet ex-squat, devenu lieu de création artistique, a redonné une seconde vie aux anciens entrepôts frigorifiques de la capitale, tombés en désuétude dans les années 1970 après l'ouverture du marché de Rungis.

"Ça fait tellement de fois qu'on nous dit que c'est la fin que je n'y crois plus. En septembre, on sera encore là", parie Michael, 44 ans, plombier autoproclamé du squat.  
 

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