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L'hôtel de Banksy, le "Walled Off", dévoile ses trésors à Bethléem

La dernière installation provocante du street artist Banksy est un hôtel, aménagé par ses soins. Un établissement aux prix et aux couchages variés (du dortoir à la suite présidentielle) dont les fenêtres donnent sur le mur de séparation construit par Israël en Cisjordanie occupée. Le "Walled Off" hôtel accueillait lundi ses premiers clients.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
L'entrée du Walled Off Hotel de Banksy à Bethléem avec le mur de séparation à droite.
 (Luay Sababa/XINHUA/SIPA)

Neuf chambres décorées avec soin, poésie et ironie

Le "Walled Off Hotel" offre "la pire vue d'hôtel au monde", selon Banksy. Il est situé à seulement quatre mètres du mur et toutes ses chambres donnent sur ce symbole de l'occupation israélienne sur laquelle le célébrissime artiste de street-art était venu peindre en 2005. L'établissement, dont les réservations ouvraient le 11 mars, affiche pourtant déjà presque complet pour les trois prochains mois, avec une clientèle internationale, selon son directeur Wissam Salsaa.

Dans un ancien immeuble résidentiel vidé de ses occupants, Banksy a reconstitué avec son équipe un hôtel à l'intérieur un peu suranné. Un faux singe en livrée rouge accueille le visiteur. Les neuf chambres sont toutes décorées et aménagées avec soin et un sens du détail poussé, y compris dans le choix des livres sur les étagères, et ornées de nombreuses oeuvres de Banksy, données au profit de la communauté locale. 

Le lit bien gardé de la "suite présidentielle" du Walled Off  Hotel de Banksy à Bethléem.
 (Dusan Vranic/AP/SIPA)

Au-dessus d'un des lits, un soldat israélien et un manifestant palestinien se livrent à une bataille d'oreillers, dont les plumes parsèment le mur. Dans la chambre "Budget", une peinture montrant une nature morte fleurie est grillagée.

Les prix sont très divers selon les chambres. Il faut débourser 30 dollars pour passer la nuit dans un des lits superposés façon lits de camp du dortoir. Et 965 dollars pour la chambre la plus chère, la suite présidentielle, équipée "de tout ce qu'un chef d'Etat corrompu a besoin", écrit Banksy sur le site de l'hôtel, et notamment un jacuzzi dont le réservoir d'eau, comme en ont chez eux de nombreux Palestiniens, est troué d'impacts de balles. Une galerie à l'intérieur de l'hôtel expose aussi des oeuvres d'artistes palestiniens.

Au dessus du lit de la chambre "Artist" du Walled Off hotel à Bethléem, une oeuvre de Banksy.
 (http://walledoffhotel.com/)

 

Le piano-bar est une pièce maitresse

La pièce du piano-bar concentre l'esprit provocateur du lieu. Le décor s'inspire de l'époque coloniale, avec ses ventilateurs hors d'âge, ses canapés en cuir et "ses airs d'autorité imméritée". Des angelots au plafond sont équipés de masques à oxygène. Dans une niche, une statue se couvre le visage contre les gaz lacrymogènes qui serpentent autour d'elle.

Aux murs, parmi plusieurs oeuvres de Banksy, un triptyque de marines montre au premier plan, sur le sable, des gilets orange de sauvetage comme ceux que portent les migrants tentant de rallier l'Europe par la mer.

Quant au piano, il joue tout seul, des partitions interprétées spécialement pour lui par Elton John, qui avait joué à distance restransmis sur des écrans lors de l'inauguration (voir la vidéo ci-dessous), mais aussi Trent Reznor de Nine Inch Nails, le compositeur de musiques de films Hans Zimmer (Interstellar, Inception etc), Flea des Red Hot Chili Peppers et  3D de Massive Attack (dont on retrouve le logo dans la cheminée du piano-bar,  une petite provocation ?).
 

 

Un hôtel et une performance politique

La dernière oeuvre de Banksy est un véritable hôtel mais elle a tout d'une performance politique. Avec cet établissement fourmillant de signes, Banksy invente le manifeste dans lequel on peut séjourner. Son nom, Walled Off Hotel, joue à la fois sur le nom d'une chaîne d'hôtel de luxe (le Waldorf) et sur les mots Walled Off qui signifient "emmuré", "cloisonné" en anglais.

L'objectif du célébre artiste britannique est clairement d'attirer l'attention sur le mur et sur la réalité de l'occupation israélienne et sans doute aussi de "faire entendre la voix des Palestiniens", comme l'affirme son directeur Wissam Salsaa.

Mais Banksy, qui a financé cet hôtel sur ses deniers et dit vouloir réinjecter tous les profits dans des projets locaux, se défend de prendre ainsi parti pour un camp ou l'autre. Il entend surtout, explique-t-il sur le site de l'hôtel, marquer à sa façon le centenaire de la prise de contrôle de la Palestine par les Britanniques (Déclaration Balfour de 1917), "qui a conduit à un siècle de confusion et de conflit".

Dans une niche du piano-bar,  une statue se protège des gaz lacrymogènes...
 (http://walledoffhotel.com/)

"Cela fait exactement cent ans depuis que l'Angleterre a pris le contrôle de la Palestine et a commencé à ré-arranger les meubles avec des résultats chaotiques", explique Banksy. "Je ne sais pas pourquoi, mais il me semble que c'est le bon moment pour rappeler ce qui arrive lorsque le Royaume Uni prend une énorme décision politique sans en comprendre pleinement les conséquences". Brexit, vous avez dit Brexit ?

"Le Walled Off Hotel" n'est aligné sur aucun mouvement politique ou groupe de pression", indique encore le site de l'hôtel. "L'objectif est de raconter l'histoire du mur de chaque côté et de donner l'opportunité aux visiteurs de la découvrir par eux-mêmes". Y compris les Israéliens qui ne connaissent pas ce côté-là du mur et sont les bienvenus à bord.  

Les visiteurs sont aussi invités, si l'envie leur en prend, à s'adonner au graffiti sur le mur de séparation. "Ce n'est pas légal", précise le site du Walled Off. Mais, rappelle-t-il, "le mur lui-même reste illégal selon les lois internationales"...

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