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Subodh Gupta à la Monnaie de Paris : une oeuvre de métal et de rêve

Une grande tête de mort ou un arbre en vaisselle d'inox, du pain, des mangues ou des toilettes de cinéma en bronze ont investi les cours et les espaces d'exposition de la Monnaie de Paris qui accueille la première rétrospective en France de Subodh Gupta, un artiste qui part de la vie de tous les jours en Inde pour mieux évoquer l'universel (jusqu'au 26 août 2018).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Subodh Gupta à la Monnaie de Paris, devant une de ses oeuvres ("Jal Mein Kumbh, Kumbh Mein Jal Hai"), le 5 avril 2018
 (Lionel Bonaventure / AFP)

Subodh Gupta travaille beaucoup le métal, assemblant de la vaisselle en inox, imaginant des pièces en laiton qui évoquent le quotidien. Sa place était donc toute trouvée à la Monnaie de Paris, où il a travaillé avec les ateliers pour créer une médaille ornée d'épices reflétant son goût pour la nourriture, et un "kilo de guerre" rappelant le kilo étalon conservé à la Monnaie, qui dit ses préoccupations politiques. L'artiste indien aborde aussi d'autres médiums, comme la vidéo ou la peinture, pour raconter le quotidien et l'universel.
 
Il avait exposé une œuvre à Paris en 2006 pour la Nuit Blanche, et participé à une exposition collective (Paris-Delhi-Bombay) au Centre Pompidou en 2011. Il s'agit de la première grande exposition monographique en France de cet artiste indien dont la carrière internationale a commencé au début des années 2000.
 
Au milieu du passage de l'entrée de l'exposition, un "verre" en inox rempli d'eau à ras bord est posé sur un escabeau en bois. "En Inde, si vous entrez dans une maison, même si vous êtes un ennemi, qu'on ne vous aime pas, on vous offre un verre d'eau, pour établir le dialogue", explique l'artiste.

"Very Hungry God" de Subodh Gupta, 2006, Collection Pinault, Courtesy the artist
 (photo Ginies / SIPA)

Le quotidien et l'essentiel : l'eau, le pain, les mangues

Bienvenue donc dans l'exposition de Subodh Gupta, un artiste indien qui parle beaucoup du quotidien de son pays, pour parler de la vie, de la mort et pour atteindre l'universel.
 
"C'est une aventure d'exposer ici", lance l'artiste, qui se réjouit de l'espace dans lequel il a installé ses œuvres. "Nous avons sélectionné les œuvres les plus importantes de 19 ans de travail", dit-il. "Car je n'ai pas fait que du bon", sourit Subodh Gupta, modeste.
 
Dans la première pièce, on est en plein dans le quotidien et dans l'essentiel : l'eau donc, le pain, avec "Dough", une pâte à pain en bronze saupoudrée de farine, des mangues en bronze. Et la vie de tous les jours de millions d'Indiens, avec une vidéo, "I Go Home Every Single Day", sur le trajet en train entre son atelier de Delhi et Khagaul, le village où il est né en 1964 et où il a grandi dans une famille modeste. "Mon père travaillait dans les chemins de fer, mes deux frères y travaillent, tout comme mes beaux-frères. Je suis un gars du chemin de fer. Et j'adore les trains", raconte-t-il.
Subodh Gupta, "In This Vessel Lie The Seven Seas; In It, Too, The Nine Hundred Thousand Stars (I)", 2016, courtesy of the artist and Hauser & Wirth
 (photo : the artist)

L'univers dans une poêle à frire

Derrière, au centre du grand hall de la Monnaie de Paris, trône tout seul un crâne monumental, assemblage d'ustensiles de cuisine en inox rutilant, caractéristiques des cuisines indiennes. "Very Hungry God", une vanité immense, avait été exposée dans le cadre de la Nuit Blanche 2006 à l'église Saint-Bernard à Paris.
 
Gupta est connu surtout pour ses assemblages d'ustensiles de cuisine. Il a installé sur des tapis roulants, installés sur une grande table, des empilements de ces fameuses boites d'inox qui servent à conserver et transporter la nourriture. L'oeuvre ("Faith Matters") évoque pour lui la route des épices, la route de la soie, le voyage en général. "La nourriture voyage avant même les gens. En Inde, même les plus pauvres mangent des plats chinois", fait remarquer l'artiste.
 
Du quotidien au politique ou à l'universel, il n'y a qu'un pas. Au centre d'une grande peinture sur aluminium, parcourue de fins éclairs de lumière, on voit un cercle : "C'est une poêle à frire", dit l'artiste. "Tout être humain a une poêle à frire et toutes les poêles à frire se ressemblent. En même temps, toute l'histoire d'une famille, l'amour, les colères, se reflètent dans cette poêle.  Quand on la prend en photo, avec ses égratignures, elle ressemble au cosmos. Cette œuvre est une façon de dire : mon cosmos et ma planète se trouvent dans mon assiette, et il faut que vous regardiez dans mon assiette pour trouver le cosmos", dit cet obsédé de nourriture et très fin cuisinier.
Subodh Gupta, "Faith Matters", 2007-2008, à la Monnaie de Paris (avril 2018) courtesy the artist et Hauser & Wirth
 (Ginies / SIPA)

Voyages et migrations

Subodh Gupta ne manie pas que des ustensiles de cuisine. Son obsession des voyages, et en particulier des migrations, le mène aux bateaux et aux aéroports. Une grande barque en bois trouvée, à laquelle des pots en laiton sont suspendus par des cordes, est installée seule au milieu d'une salle. "Jal Mein Kumbh, Kumbh Mein Jal Hai" (L'eau dans le pot, le pot dans l'eau en hindi), une de ses œuvres préférées, "parle de la vie, de la pénurie, des migrations qui se produisent dans mon pays, au Bangladesh, au Pakistan, quand il y a des inondations", explique l'artiste.
 
Il parle de migrations encore, ou plus préciséement d'émigration, quand il crée des caddies d'aéroport en bronze portant une valise ou un paquet bien emballé : des œuvres qui évoquent ces compatriotes croisés dans les aéroports du Golfe. "Je me suis toujours demandé ce qu'il y avait dans leurs ballots si bien ficelés qu'on aurait du mal à les ouvrir. Imaginez que les douaniers leur demandent ce qu'il y a dedans. Ils rapportent leur rêve au pays. Ils pensent qu'ils vont se faire davantage d'argent mais ils récoltent plus d'ennuis que ce qu'ils imaginent", remarque-t-il, en pensant à leurs conditions de travail déplorables.
Subodh Gupta, "Spirit Eaters", 2012, vidéo
 (Courtesy of the artist)

Le mirage du Golfe

"Il y a des années, Chanel m'a demandé de concevoir un projet, une vidéo, et j'ai dit que je ne pouvais pas faire une œuvre sur les produits de luxe."  L'artiste a imaginé une vidéo en diptyque "All Things Are Inside" : d'un côté, on voit la vie dans le Golfe des chauffeurs de taxi et autres travailleurs indiens, leurs logements collectifs, les lits superposés, la vaisselle (toujours !), et les jouets qu'ils emballent dans une couverture pour les rapporter à leurs enfants. A droite, des extraits de films indiens défilent, comme pour évoquer la vie rêvée.
 
Le cinéma, si important dans son pays, Subodh Gupta aime le rapprocher du cinéma italien. Il raconte son émotion quand il a découvert, dans une pièce de la galerie qui le représente à San Gimignano en Toscane tout un tas d'accessoires de cinéma qui lui ont fait penser aux cinémas de son enfance. La Galleria Continua est installée dans un ancien cinéma et tout le matériel était encore là : il a moulé en bronze un vieux projecteur, des bobines… et les toilettes du cinéma, qu'il expose à côté des éléments originaux.
Subodh Gupta, "There Is Always Cinema", exposé à la Monnaie de Paris (avril 2018)
 (photo Ginies / SIPA)

De l'Inde au monde

Gupta parle des mœurs de son pays, de la dot par exemple ("Sister", une vidéo projetée sur une table sous laquelle est installée de la vaisselle), si importante, qui dit tous les contrastes de l'Inde. "Les parents se rencontrent, parlent business, je ne vous dis pas à quel point, c'est comme s'ils allaient s'entretuer." Et dès qu'ils se sont mis d'accord, on dirait qu'ils font partie de la même famille depuis toujours.

Mais il revient finalement à l'universel, dehors, dans les cours de la Monnaie de Paris, avec les colonnes d'"Adda", qui a donné son nom à l'exposition et qu'il considère comme son œuvre la plus importante : "Adda" (traduit par "rendez-vous"), en hindi, c'est un lieu de rencontre, un endroit où on s'assied avec des amis pour parler. Ces colonnes peuvent être celles des temples indiens et aussi celles des édifices romains, grecs ou de n'importe où, pourvu qu'on s'y arrête pour se reposer et échanger.

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