Picasso, Matisse, Klee, Giacometti : focus sur quatre trésors de la collection Berggruen présentée au musée de l'Orangerie
Difficile de choisir tant la collection du marchand d'art Heinz Berggruen, présentée jusqu'au 27 janvier 2025 au musée de l'Orangerie, à Paris, est riche. Né à Berlin en 1914, mort à Neuilly en 2007, ce juif exilé aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale fut l'un des acteurs majeurs du marché de l'art. C'est à Paris, sur la place Dauphine, qu'il ouvrit en 1948 sa première galerie-librairie avant de déménager rue de l'Université.
Cet homme passionné a rencontré et exposé les plus grands artistes de son temps. Guidé par ses propres goûts, il est aussi devenu son "meilleur client", se constituant au fil du temps une collection personnelle exceptionnelle qu'il avait choisi de resserrer sur l'art du XXe siècle. À sa mort, près de 500 œuvres lui appartenaient en propre dont la moitié était signée de la main de Picasso. Il a cédé sa collection en 2000 aux musées nationaux de Berlin pour un montant d'environ 250 millions de marks (plus de 128 millions d'euros). Elle était estimée à près d'un milliard de marks.
Le "Grand nu couché" de Pablo Picasso
"Cela valait la peine de vivre au XXe siècle pour avoir rencontré Picasso", disait Heinz Berggruen, empruntant les mots du poète Paul Éluard. Près de la moitié des toiles présentées dans l'exposition est signée du maître espagnol. Il y a des tableaux iconiques : des natures mortes cubistes, un sublime Arlequin assis de la période rose, des dessins, des portraits de femmes et d'hommes, des sculptures… Le Grand nu couché, une huile datée de 1942, est peut-être la toile la plus impressionnante, du moins en termes de taille : environ 2 m de largeur sur près de 1,30 m de hauteur. C'est la plus grande œuvre de la collection de Berggruen. À Paris, sous l'occupation nazie, Picasso revient à un vocabulaire cubiste marqué. Avec sa palette sombre et le traitement fracturé du thème classique du nu, le peintre traduit en peinture les horreurs de la guerre. Heinz Berggruen, chassé de Berlin par la montée du nazisme, l'achète en 1947 et souligne qu'il s'agit d'"une peinture sévère, pas facile à vivre". À l'opposé de ce tableau poignant, on trouve aussi dans l'exposition une toute petite œuvre datée de 1940, également réalisée par Pablo Picasso sur un paquet de cigarettes ! L'ingénieux espagnol a plié, collé et superposé le buste et les jambes d'une femme assise. Et pour représenter sa chaise, il a utilisé une allumette.
"Nu bleu, sauteuse de corde" d'Henri Matisse
Le marchand d'art possédait de nombreuses œuvres de Matisse, de techniques et d'époques différentes. Il a raconté avoir rencontré le peintre au début des années 1950 en cherchant tout simplement son numéro de téléphone dans l'annuaire. Entre le jeune galeriste débutant et le vieux maître déjà reconnu, s'est nouée une étroite collaboration. Berggruen s'attachera notamment à présenter le travail de gravure de l'artiste. Il a aussi organisé une exposition exclusivement consacrée aux papiers découpés, une invention de Matisse qu'il contribuera à faire reconnaître. Le superbe Nu bleu, sauteuse de corde présenté au musée de l'Orangerie est une figure découpée dans du papier gouaché bleu. Elle s'inspire de la danse acrobatique exécutée par un modèle vêtu d'un collant noir. Avec la série des Nus bleus, Matisse cherchait, avec l'aide de ses ciseaux, à rendre sensible l'agilité et la dynamique du corps en mouvement. L'exposition présente d'autres toiles remarquables du peintre français : Intérieur à Étretat (1920), Intérieur d'atelier à Nice (1929), Le Cahier bleu (1945) et Éléments végétaux (1947).
Le "Paysage en bleu" de Paul Klee
Tout au long de sa vie, Heinz Berggruen n'a cessé d'acquérir des œuvres de Paul Klee qu'il surnommait "le magicien" sans jamais avoir eu la chance de le rencontrer. La collection actuelle du musée Berggruen en compte 62 sur les presque 10 000 recensées par l'artiste. Cet acheteur compulsif en avait bien plus encore et il a pu faire de généreuses donations au Centre Pompidou et au Metropolitan Museum de New York. Heinz Berggruen a exprimé son attachement, sa réceptivité au style volontaire, sensible et poétique de son compatriote, exilé comme lui. Un art figuratif, mais qui côtoie de près l'abstraction, notamment dans ses travaux sur les paysages. Dans son livre, J'étais mon meilleur client paru en 1997, il écrit que le monde de Klee est pour lui "un monde de mystères, de fantasmagories et de rêves, un monde magique sans jamais être arbitraire". Ce petit tableau coloré de 1917, mélange d'aquarelle, de crayon, de stylo et d'encre, est un prêt de la famille Berggruen. Le galeriste a eu quatre enfants, tous liés au monde de l'art.
"La Place" d'Alberto Giacometti
Un chat en équilibre sur un mur, une immense femme debout au cœur de l'exposition... le sculpteur suisse est une autre figure fascinante, bien que plus discrète, de la collection Berggruen présentée à Paris. Ce bronze daté de 1948-1949 fait comme un arrêt sur image. Giacometti s'inspire des passants qu'il observe sur une place, depuis la terrasse d'un café et tente de recréer leurs trajectoires, leurs mouvements. Ces silhouettes longilignes, typiques du style de l'artiste, sont figées, mais celui qui les observe à le sentiment de les voit marcher. Un mouvement immobile des corps.
Exposition "Heinz Berggruen, un marchand et sa collection"
Musée de l'Orangerie, Jardin des Tuileries, à Paris, jusqu'au 27 janvier 2025
Tarif normal à 12,50 euros, tarif réduit à 10 euros
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