Zbigniew Dłubak, une figure clé de la photographie polonaise, exposé à la Fondation Cartier-Bresson
Zbigniew Dłubak est "très très célèbre dans son pays, c'est une figure clé de la photographie de l'après-guerre en Pologne", souligne Karolina Ziebinska-Lewandowska, conservatrice pour la photographie au Centre Pompidou et commissaire de l'exposition de la Fondation Henri Cartier-Bresson. L'exposer à Paris "a d'autant plus de sens que Zbigniew Dłubak a habité en France pendant vingt ans", à partir du début des années 1980. Et cette exposition est une occasion unique pour le découvrir.
Zbigniew Dłubak (1921-2005) était à la fois peintre et photographe, à une époque où la photographie était encore très traditionnelle en Pologne et où les deux milieux étaient très séparés : "Ma thèse, c'est que c'est parce qu'il était entre les deux, ou plutôt dans les deux domaines, qu'il a pu changer le champ photographique en Pologne", dit la commissaire. Il a créé dans les deux domaines sans qu'il y ait de lien entre les deux (pas de photographie préparatoire à une peinture par exemple), même s'il a pu être intéressé par un même type de forme pour les deux à un moment donné. L'exposition est centrée sur ses photographies mais elle montre aussi quelques dessins et peintures.
Zbigniew Dłubak est une personnalité forte et engagée dès sa prime jeunesse, qui a eu une vie des plus mouvementées. Adolescent déjà, il est membre d'associations socialistes et il est exclu du lycée pour cette raison. Il se forme tout seul chez lui au dessin et à la peinture. Pendant la guerre, il entre dans la résistance. Il s'initie à la reproduction photographique pour faire de faux papiers. Arrêté, il est déporté dans les camps d'Auschwitz puis de Mauthausen où il rencontre des artistes avec qui il arrive à faire des expositions éclair clandestines sur les lits des baraques. Au camp, Dłubak travaille dans un atelier de photographie. A son retour à Varsovie, il se lie avec le milieu artistique d'avant-garde.
L'exposition de la Fondation Henri Cartier-Bresson est une "petite rétrospective", selon les mots de la commissaire, car elle aborde le travail de Dłubak depuis ses premières années jusqu'à la fin de sa carrière. Mais, compte tenu des espaces limités de la Fondation, elle se concentre plus particulièrement sur deux périodes, celle de l'après-guerre et celle des années 1970.
Des gros plans qui font surgir le magique du réel
Les premières photographies de Dłubak, exposées au premier étage de la Fondation, sont influencées par le surréalisme. En 1947-1948, il prend de très près de petits objets et leurs ombres, créant des images auxquelles il donne des titres poétiques. Ainsi un alignement de vis devant une bille devient "Les rues sont pour le soleil et non pour les hommes".Il réalise surtout des gros plans assez oniriques, où le réel est quasi méconnaissable. Avec une bague macro, il zoome sur un sol craquelé, une flaque gelée, des brindilles, la peau d'une main, des poussières qui deviennent des formes, des matières indéfinissables. Ses photographies relèvent d'un "réalisme de l'extrême proximité", pour emprunter au titre d'un texte d'Eric de Chassey, historien de l'art et directeur général de l'Institut national d'histoire de l'art, publié dans le livre qui accompagne l'exposition ("Dłubak, un héritier des avant-gardes", Editions Xavier Barral). Le magique ou le surréel, il ne l'invente pas, il va le chercher dans la réalité.
"Il s'est toujours questionné sur la nature de la photographie : est-ce qu'elle représente l'univers ou pas ? La réponse était négative : elle crée des images, elle ne représente pas, il en a été convaincu assez tôt", souligne Karolina Ziebinska-Lewandowska.
En 1948, Dłubak participe à une exposition historique d'art contemporain à Cracovie, organisée entre autres par Tadeusz Kantor. Il pense que la photographie doit être intégrée dans les expositions d'art contemporain. Mais c'est à ce moment précis que le réalisme socialiste s'impose : le catalogue de l'exposition est saisi et détruit, la manifestation est interrompue.
La photographie s'émancipe du cadre
L'exposition de Cracovie "a influencé des photographes beaucoup plus âgés que lui qui se sont mis en 1948 à faire de la photographie abstraite" : le travail de Dłubak a donc marqué une époque, souligne Karolina Ziebinska-Lewandowska.Juste après la guerre, Zbigniew Dłubak n'a pas eu les moyens de peindre. Dans les années 1950, il se remet à la peinture et délaisse un peu la photographie. Quand il y revient à la fin de la décennie, il s'éloigne de ses premières créations et s'interroge toujours sur le rapport de la photographie à la réalité : il crée la série "Existences", plus réaliste, composée de fragments de son appartement et de son atelier. Ces images sont exposées au deuxième niveau de la Fondation Cartier-Bresson, avec ses séries sur le corps humain.
Il s'agit essentiellement des nus féminins, qu'il décompose : il poursuit sa réflexion sur la photographie avec la série "Gesticulations" initiée en 1970 dans laquelle il utilise l'intégralité des 12 poses du film moyen format pour transcrire les mouvements de son modèle, mouvement d'un corps sans tête, des mains, les exposant en bandes, superposées.
A la même époque il s'est mis à sortir la photographie de son cadre : lors d'une exposition en 1967 à Varsovie il expose la première installation photographique de l'histoire de l'art polonais ("Iconosphère") avec des images suspendues au mur qui bougent et bruissent dans l'air d'un ventilateur, ou avec des photographies de nus à l'échelle humaine. A partir de là, il exposera ses photos collées ou épinglées au mur, contrecollées sur de la toile.
Retour au poétique avec "Asymétrie"
Le régime s'est durci entre 1949 et 1956 mais les années qui suivent, jusqu'à la loi martiale de 1981, les milieux artistiques sont assez libres. "Dans le bloc communiste, la Pologne est le pays le plus libéral avec la Yougoslavie", souligne Karolina Ziebinska-Lewandowska, qui y voit une "stratégie de la politique culturelle" pour que les artistes s'occupent d'art et pas de politique.Dans les années 1960-1970, Zbigniew Dłubak est bien établi, il est rédacteur en chef d'une revue, Photographia, il est membre du parti communiste. Mais en même temps il participe à des expériences novatrices, il cofonde une galerie expérimentale qui organise plusieurs expositions de deux semaines par an. Sa série géniale des "Tautologies", mise en abîme de l'image dans l'image, dont il extrait un fragment, un tuyau de radiateur, une poignée de fenêtre, qu'il replace dans le cadre à la même échelle et qu'il rephotographie, date de cette époque.
Ses convictions socialistes sont sincères et au moment de la loi martiale, en 1981, il s'exile. Marié avec une Française, il s'installe à Meudon, en région parisienne. Il revient alors à des images poétiques frisant l'abstraction avec sa série "Asymétrie", sans doute la plus belle, où il joue avec les flous de profondeur de champ, prenant par exemple des troncs d'arbre en contreplongée quasi verticale.
"Dłubak, un héritier des avant-gardes"
Le livre publié à l'occasion de l'exposition, "Dłubak, un héritier des avant-gardes" (Editions Xavier Barral), sous la direction de Karolina Ziebinska-Lewandowska, est le premier ouvrage en français sur Zbigniew Dłubak.
Il reprend les séries de l'exposition avec davantage d'images, notamment de la très belle série "Asymétrie", et présente en supplément les paysages urbains du photographe, gris et désolés, sorte de pendant en extérieur des intérieurs d'"Existences", où il cherche à montrer la beauté du quotidien.
Un texte d'Eric de Chassey revient sur les années 1948-1949, moment essentiel de l'œuvre de Dłubak, et sur l'exposition historique de Cracovie, et il resitue ses créations dans le contexte des mouvements artistiques polonais de son temps.
Karolina Ziebinska-Lewandowska, elle, se penche sur l'effervescence de l'année 1970, sur les rapports de Dłubak avec l'art conceptuel, sur sa participation à la création de la galerie Permafo qui accueillait les artistes de l'avant-garde polonaise et internationale, et sur sa conviction que l'art avait un rôle social.
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