Tsiganes, la fabrique des images, de l'origine de la photographie aux Gorgan de Mathieu Pernot
L'été dernier, Mathieu Pernot exposait son magnifique travail sur les Gorgan, une famille de Gitans d'Arles, avec qui il a travaillé pendant 25 ans. Les Rencontres d'Arles cherchaient un lieu pour le présenter à Paris. Bien que les Gorgan ne soient pas des étrangers, le Musée de l'histoire de l'immigration s'est laissé convaincre en raison de la "puissance" et de la "cohérence" du projet de Mathieu Pernot, selon les mots de sa directrice générale, Hélène Orain.
Le musée en a profité pour interroger de façon plus générale quelle représentation la photographie s'est faite des groupes de gens du voyage qui vivent en France. C'est donc une exposition en deux volets que propose le Palais de la Porte Dorée.
Une population "dangereuse" à contrôler
Le premier volet montre comment les gens du voyage ont été représentés depuis la naissance de la photographie. Celle-ci coïncide avec l'époque où les savants s'attachent à classer les peuples, selon des critères physiques. On photographie des individus de face et de profil pour en tirer des généralités. Mais parfois, guitares et costumes s'invitent dans l'image, venant apporter une touche culturelle au portrait. L'anthropologue Eugène Pittard fait des portraits de groupe, de face et de profil aussi, étrangement détourés, avec tambours et chevaux.De tous temps, les Gitans ont été vus comme une population criminelle et un mur entier de photographies judiciaires, visages fiers et parfois défiants, ont été tirées des archives du ministère de l'Intérieur. Une population à contrôler, donc, d'où l'instauration en 1912 d'un carnet anthropométrique.
Du pittoresque à la fascination
Une image plus folklorique puis plus "humaniste" se développe dans les premières années du XXe siècle. On photographie les gens du voyage sur les routes, avec leurs roulottes. Des cartes postales montrent les métiers des "Romanichels", artisanaux comme la vannerie ou plus pittoresques comme les montreurs d'ours. André Kertesz photographie les campements sur la zone, près de la porte de Vanves et les diseuses de bonne aventure.Du pittoresque à la fascination, il n'y a qu'un pas. L'image d'un peuple libre, aux femmes sensuelles, aux hommes rebelles, inspire les photographes. On trouve là comme l'envers, le positif en somme de l'image du peuple dangereux. On peut retrouver les deux aspects du cliché dans la presse illustrée des années 1930.
Vu de l'intérieur
Il y a eu peu de témoignages photographiques, en revanche, sur les Tsiganes dans la guerre. La Première Guerre mondiale où, en tant que Français, ils ont combattu au côté des autres. La Seconde Guerre mondiale où 6500 d'entre eux ont été internés dans des camps en France.On a aussi le monde des Tsiganes vu de l'intérieur, avec les portraits de Matéo Maximoff né en Espagne d'un père rom russe et d'une mère manouche française. Ou les photos du Belge Jan Yoors (1922-1977) qui n'était pas rom mais est tombé amoureux adolescent d'un groupe de Tsiganes avec qui ses parents l'ont laissé partir.
Mathieu Pernot, dans l'intimité de la famille Gorgan
C'est de ces photographes qu'on pourrait rapprocher Mathieu Pernot. Car s'il était complètement étranger aux Gitans qu'il a photographiés, il est devenu un peu un membre de la famille au fil des années. Il commence à travailler avec eux en 1995, alors qu'il est étudiant en photographie à Arles, d'abord avec les enfants, qu'il rencontre dans la rue, en ville. Il photographie leurs jeux en noir et blanc, les emmène faire des grimaces au photomaton de la gare.Petit à petit, il est entré dans l'intimité de la famille, même si dans le livre qui accompagne l'exposition, "Les Gorgan" (Editions Xavier Barral), il affirme qu'il n'est pas "parmi eux" mais "devant eux". Il a partagé des moments importants, de bons moments comme la naissance d'Ana en 1996 (il est son parrain) et les moments de douleur comme la mort de l'aîné des enfants, Rocky, en 2012.
Comme à Arles l'été dernier, Mathieu Pernot consacre un grand panneau de l'exposition à chacun des membres de la famille, les parents Johny et Ninaï, et les huit enfants. Pour chacun d'entre eux, une espèce de mosaïque mêle les premières photos, en noir et blanc, de grands formats en couleur, et des photos de famille prises par les Gorgan eux-mêmes.
Présence charnelle et "photogénie fière"
Ninaï, mamma imposante, magnifique et douloureuse, allongée sur un canapé, nous jette un regard intense. On la voit, en noir et blanc à la maternité, tenant sa petit Ana sur le sein, plus tard avec ses petits-enfants au supermarché.Il y a Ana, bébé au sommeil tranquille, devenue une belle jeune femme qui crève l'image. Vanessa, drôle et débordante de vie, devenue la "ministre de la famille" parce ce qu'elle seule est allée à l'école. Priscilla, l'aînée des filles, qui était la plus timide et se cachait le visage quand elle était devant l'objectif.
Les garçons sont saisis petits, dans leurs jeux, adolescents en "hurleurs", à l'extérieur de la prison où ils tentent de communiquer avec un proche incarcéré. Puis, plus tard, en pères de famille.
Mathieu Pernot a magnifiquement saisi la vitalité et l'espièglerie des enfants, la présence charnelle des adultes, la force et la sensualité des filles devenues adolescentes, l'énergie des garçons. Ce que Clément Chéroux, responsable de la photographie au San Francisco Museum of Modern Art, appelle dans le livre "Les Gorgan" une "photogénie fière". Une photogénie qu'on trouve aussi à de maintes reprises dans la première partie de l'exposition.
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