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Soixante ans de photos de Raymond Depardon à la Fondation Cartier-Bresson

60 ans de photographies de Raymond Depardon dans une exposition, c'est ce que propose la Fondation Cartier-Bresson, à Paris. Une traversée sensible de l'œuvre du photographe, cinéaste et écrivain en une centaine d'images et autour de quatre thèmes. L'exposition, prévue jusqu'au 17 décembre 2017, est prolongée jusqu'au 24 décembre.
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
A gauche, Raymond Depardon, "Ferme du Garet, la chambre des parents", 1984. En médaillon, de gauche à droite, Jean et Raymond Depardon - A droite, Raymond Depardon à la Fondation Henri Cartier-Bresson
 (A gauche © Raymond Depardon / Magnum Photos - A droite © Ginies / SIPA)

L'exposition s'intitule "Traverser" : elle parcourt six décennies du travail photographique de Raymond Depardon (qui a réalisé aussi une soixantaine de films). Il ne s'agit pas vraiment d'une rétrospective mais elle donne un aperçu du travail colossal du grand photographe français. Ce n'était sûrement tâche facile, en si peu d'images.

La directrice de la Fondation Henri-Cartier Bresson Agnès Sire réussit à faire comme un portrait sensible de cet artiste qui saisit si bien l'humain, en dégageant quatre thèmes qu'elle a jugés essentiels dans son œuvre : la terre natale, le voyage, la douleur et l'enfermement.
 
De courts textes ponctuent le parcours, car l'écriture est importante pour Raymond Depardon. Dans un entretien avec Agnès Sire pour le livre-catalogue ("Traversée", éditions Xavier Barral), il dit : "Dès que j'ai un peu de temps, pour m'alléger, pour m'aérer, j'écris et ça fait du bien."
 
La traversée commence au premier étage de la Fondation Cartier-Bresson : tout part de la ferme du Garet, où Depardon a grandi. Il y a fait ses premières images, avec l'appareil de son frère, et ses premiers tirages qu'on découvre dans une vitrine. À côté de photos où on devine le jeune homme timide qui se réfugiait au grenier pour rêver, sachant qu'il ne reprendrait pas la ferme des parents.

Raymond Depardon, "Mauritanie, entre Oualata et Néma", 1986
 (Raymond Depardon / Magnum Photos)


Un grand voyageur marqué par la terre natale

Il y reviendra plus tard pour prendre des photos, à cette "terre natale" qui semble immuable : en 1984, au-dessus du lit des parents, dans deux médaillons, trônent toujours les photos de Raymond et son frère Jean, bébés. Une douce mélancolie baigne les images, un paysan, solitaire, s'appuie au mur de pierre au soleil. Depardon en a fait un livre en 1995, "La Ferme du Garet". Raymond Depardon expliquait alors : "À seize ans, j'avais devant moi une de ces fermes merveilleuses comme il n'y en a plus aujourd'hui et je suis monté à Paris faire la première de "À bout de souffle" en négligeant les photos que j'aurais pu faire chez moi." (Les Inrockuptibles, 19 avril 1995).
 
Mais entre-temps, Raymond Depardon est parti, il est monté à Paris en 1958 pour travailler comme reporter-photographe. Quelques images aux cadrages forts, un trottoir qui fuit, des fenêtres éclairées dans la nuit, une plongée radicale sur un escalier de métro, évoquent la ville qui est devenue pour lui "un lieu où j'habite, une famille, une base arrière, une retraite pour réfléchir et finir les travaux en cours".
 
De là, le photographe a parcouru sans cesse les quatre coins du monde, effectuant de nombreux reportages à l'étranger, de la Guerre d'Algérie à la Tchécoslovaquie, des nomades toubous aux paysans boliviens taiseux dont il se sent proche.
 
Dans sa sélection, Agnès Sire entend insister sur les "temps faibles", une notion que Depardon a développée par opposition à l'"instant décisif" d'Henri Cartier-Bresson dont il voulait s'affranchir : un temps où rien ne se passe de particulier. Il n'y a rien de spectaculaire ou de choc dans ces photos. Une vue des gratte-ciel de New York au-dessus de lavabos, les petites silhouettes d'une femme et d'un enfant aperçues depuis une tente en Mauritanie, une piste toute vide en Erythrée qui évoque l'immensité. Images du Nord aussi, dont Depardon aime la lumière : la solitude de deux personnages en couleur à un arrêt de bus dans la grisaille de Glasgow ou une voiture perdue dans un champ en ex-RDA.
Raymond Depardon, "Mauritanie, entre Oualata et Néma", 1986
 (Raymond Depardon / Magnum Photos)


La douleur du monde

Au deuxième étage de la fondation, on aborde des thèmes plus durs, les photos sont plus poignantes, mais toujours sobres et pleines de pudeur.
 
Depardon a couvert de nombreux conflits. Il a capté la douleur et la crainte dans les yeux d'une femme qui tente de protéger son enfant au Sud-Vietnam en 1964, la frayeur dans le regard d'enfants en Angola en 1994.
 
"Il s'agissait de donner une dimension à la douleur en photographiant un être humain. La douleur du monde était exprimée simplement en photographiant quelqu'un. Aujourd'hui cela me gêne un peu. Pour moi, la douleur est aussi dans le cadre, dans le paysage, un coin de porte ou autre chose", dira-t-il plus tard. Comme dans une rue déserte de Beyrouth, aux façades en dentelle.
 
Quand Depardon photographie des détenus au Rwanda ou la façade d'Auschwitz on est en même temps dans la douleur et l'enfermement. Le photographe a beaucoup travaillé sur ce dernier thème, à l'hôpital psychiatrique notamment (il a fait un film sur San Clemente, près de Venise), où il voit la solitude des malades.
 
C'est la solitude toujours qu'il nous livre dans une cour de prison et à l'hôpital où sa mère regarde par la fenêtre.
 
"J'ai été en colère, je suis resté trop longtemps en silence, en résistance, en lutte contre la lumière, contre l'icône qui ne venait pas et que tout le monde attendait. J'ai raté beaucoup de choses. Mes photos ne sont peut-être que des ratages mais quelle chance ! Les photos réussies, c'est terrible", écrivait Depardon dans son livre "Images politiques" (ed. La Fabrique) en 2004. Et des photos réussies comme celles-là, on veut bien en voir encore beaucoup.

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