Robert Adams au Jeu de Paume : splendeur et misère de l’Ouest américain
"Comme beaucoup de photographes, j’ai commencé à prendre des photos par envie d’immortaliser des motifs d’espoir : le mystère et la beauté ineffables du monde. Mais, chemin faisant, mon objectif a aussi enregistré des motifs de désespoir et je me suis finalement dit qu’eux aussi devaient avoir leur place dans mes images si je voulais que celles-ci soient sincères et donc utiles", écrit Robert Adams dans la présentation de l’exposition.
40 livres en 45 ans de travail
"Cette rétrospective de 45 ans de travail est la première exposition d’envergure que Robert Adams a supervisée lui-même", explique Joshua Chuang, commissaire de l’exposition. "Car il a plutôt fait connaitre son travail par les livres." Le photographe, né en 1937, en a publié plus de 40, présentés sous des vitrines tout le long de l’exposition, qui présente ses travaux de façon à peu près chronologique.
Robert Adams est très exigeant sur les tirages, qu’il fait lui-même. "Les tirages de l’exposition sont ceux qu’il a conservés pendant des années, ce sont des tirages assez rares", fait remarquer Joshua Chuang. Certains sont ceux qu’il a utilisés pour l’édition de ses livres. Ils sont de petit format, il faut les regarder de près pour apprécier la richesse de détail.
Le photographe des endroits où il a vécu
"Robert Adams est considéré comme un photographe majeur du changement du paysage américain", souligne le commissaire. Et pourtant il ne cherche pas du tout à être exhaustif. Il s’est limité aux endroits où il a vécu, comme le Colorado, où il est arrivé à 15 ans et où il est resté plus de quarante ans. Puis l’Oregon, où il s’est installé en 1997. Et aussi la Californie. D’où le titre de l’exposition, "L’endroit où nous vivons".
Dans son travail, le photographe capte à la fois la splendeur de la nature et le désastre qu’on lui fait subir, "ce qu’on devrait changer et ce qu’on doit chérir et célébrer. Généralement, on trouve ces deux choses contradictoires dans chacune de ses images ", explique Joshua Chuang. L’artiste veut créer "une tension si parfaite qu’elle instaure une paix", selon les propres mots de l’artiste.
Eden, Colorado, loin du paradis
Le Jeu de Paume, septième étape de l’exposition, présente près de 270 photos, depuis les premiers paysages de la fin des années 1960, les petits villages hispaniques aux murs blancs ou les grandes plaines où une fille qui s’offre au vent, les bras ouverts, donne une idée de la beauté concrète pour ne pas dire sensuelle de cet environnement. A côté, Eden, un trou perdu au fond du Colorado, doit son nom à un responsable des chemins de fer et non à son caractère paradisiaque. On n’y voit guère qu’une pompe à essence, un café, un camion et un panneau indiquant qu’on y est.
Une rupture se produit lors d’un voyage en Europe, en 1968, remarque Joshua Chuang : Robert Adams y rencontre un équilibre différent entre passé, présent et nature et se dit qu’il est important de regarder ce qu’on construit chez lui. Il se met à photographier des quartiers de mobile homes et de maisons élevées à la va-vite, dans le Colorado. Mais s’il insiste sur le caractère éphémère et pas forcément heureux de ces constructions, il met toujours l’accent sur la beauté et la force de la nature autour, notamment de la lumière, qu’il capte parfois au moment où elle est la plus écrasante. La lumière fait la beauté formelle de l’image, elle est même pour lui la source de toute forme, rapporte le commissaire.
Denver, ses détritus et son usine nucléaire
C'est un charme tout mystérieux qui se dégage quand, la nuit, un éclairage perce à l’intérieur des préfabriqués ou quand un arbre vient projeter son ombre sur la porte d’un garage.
L'équilibre entre beauté et ravages varie selon les séries. Certaines comme celles des peupliers américains, où Robert Adams capte les variations de lumière sur un arbre, ont l’air de célébrer seulement la première. Mais dans l’ombre de branches, une chouette gît, frappée par des coups de feu. Et un peuplier longtemps observé par l’artiste est menacé par des constructions.
Dans les années 1970-1980, autour de Denver, ville déjà en déclin, Robert Adams montre les papiers et autres détritus dans l’herbe, au premier plan devant une cafétéria. Il photographie aussi des gens ordinaires sur un parking de supermarché, faisant remarquer qu’ils vivent à quelques kilomètres seulement d’une usine d’armes nucléaires.
Des ciels et des vagues immuables
Alors que dans les grands espaces du Colorado, la nature semble malgré tout l’emporter, les images les plus inquiétantes sont peut-être celles du sud de la Californie (1978-1983) : le bord d’un ancien verger s’effondre, les arbres semblent chétifs, une vilaine route en béton barre l’horizon. Violentes aussi sont les images, plus récentes (1999-2003), d’arbres centenaires coupés dans l’Oregon. Robert Adams se demande au passage s’il y a "un lien entre les coupes rases et la guerre", si "elles enseignent la violence".
Une petite route qui borde un champ a pourtant l’air immuable. Et la laideur semble disparaître quand Robert Adams étudie les variations d’ombre et de lumière, à quelques instants d’intervalle, sur un grand ciel nuageux ou sur les vagues du Pacifique, déployant alors d’infinies gammes de gris.
Robert Adams, L’endroit où nous vivons (The Place We Live), Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, 75008 Paris
Fermé le lundi et le 1er mai
Mardi : 11h-21h
Mercredi à dimanche : 11h-19h
Tarifs : 8,5€ / 5,5€ (gratuit le dernier mardi du mois de 17h à 21h pour les étudiants et les moins de 26 ans).
Du 11 février au 18 mai 2014
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