Rétrospective Cindy Sherman à la fondation Louis Vuitton : 45 ans de métamorphoses
Jeune fille sage et fragile, clown, bourgeoise botoxée, personnage de film des années 1950, Cindy Sherman a incarné tous ces personnages dans des mises en scène photographiques. La Fondation Louis Vuitton revient sur 45 ans de travail de l'artiste (jusqu'au 3 janvier 2021).
Depuis le début de sa carrière, Cindy Sherman se prend en photo, elle est son unique modèle. Les images de l'artiste américaine ne sont pourtant pas des autoportraits, elle se déguise, se maquille, se grime, se met en scène pour mettre en lumière l'imaginaire social et sexuel de son temps dont elle démonte les stéréotypes, entre réalité et fiction. La Fondation Louis Vuitton revient sur 45 ans de travail dans un rétrospective magistrale de 18 séries et 170 œuvres.
Une jeune femme à la lourde chevelure brune, vêtue de noir, allume une cigarette dans la nuit. On se croirait dans un film d'Antonioni. Quoi de commun avec cet homme entre deux âges, légèrement androgyne, qui nous regarde droit dans les yeux d'un regard un peu triste, tiré de la dernière série de Cindy Sherman, Men ? A quarante ans d'écart, les deux sont des personnages incarnés par l'artiste, née en 1954 et devenue une star mondiale de la photographie.
Les procédés techniques ont changé, elle a commencé en argentique, noir et blanc d'abord puis couleur, elle est passée dans les années 2000 au numérique, ce qui lui a permis des retouches et des multiplications de personnages (toujours elle) dans la même image. Mais la façon de faire est identique : Cindy Sherman travaille seule, sans assistant, c'est elle qui fait les maquillages, imagine la mise en scène, réalise la prise de vue.
Images de cinéma et de mode détournées
Déjà, dans un album de photos d'enfance (A Cindy Book), on voit qu'elle aimait se déguiser. Elle inscrivait sous les photos où elle apparaissait "c'est moi". Ses premières séries, au milieu des années 1970, semblent annoncer toute l'œuvre. Vingt trois pastilles, comme des photos d'identité, montrent une métamorphose progressive, depuis la jeune fille sage à la fille glamour, hyper maquillée. Dans une série très drôle, elle dessine sur son corps nu des vêtements avec le fil déclencheur de l'appareil photo qu'elle utilise pour ses prises de vue (Air Shutter Release Fashion). Dans une autre, de façon très simple et subtile, elle utilise des expressions et des coiffures pour incarner différents personnages (Untitled A-E).
Cindy Sherman fait preuve déjà d'une maîtrise totale dans sa première série importante, Untitled Film Stills (1977-1980). Les film stills, ce sont les photographies de plateau, réalisées sur les tournages de films. Elle en a inventé en noir et blanc, où elle évoque le cinéma des années 1950-1960 et tous les stéréotypes féminins qu'il véhicule, de la ménagère à la femme fatale. Et si les films évoqués sont totalement imaginaires, on se croirait vraiment avec Jeanne Moreau ou Kim Novak, dans un film d'Antonioni ou d'Hitchcock.
Au fil des années, Cindy Sherman s'est beaucoup intéressée à la mode, avec laquelle elle entretient un rapport assez ambigu. Elle s'est fait prêter des créations pour les détourner, les utilisant à contrecourant de l'image et des postures habituelles des mannequins, assise les jambes écartées, maquillée et coiffée en espèce de reine-marâtre, ou dans une pose énervée, les cheveux devant le visage.
L'étrange et l'horreur
L'univers de Cindy Sherman se fait plus sombre, plus grinçant, voire trash à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Elle introduit l'étrange, l'horreur et le grotesque dans des séries comme Fairy Tales (1985), où elle commence à utiliser des prothèses pour se transformer en animal. Ce n'est plus elle qu'elle met en scène dans les images à connotation sexuelle et même pornographique de la série Sex and surrealist pictures. Pour celle-là, elle utilise des poupées plus ou moins désarticulées, des fragments de mannequins désincarnés comme pour mettre l'accent sur une déshumanisation de la sexualité.
Et avec les Disasters (1986-1987), on sombre dans le gore, il n'y a plus de figure vivante ou presque (un reflet dans des lunettes tombées au sol, des morceaux de corps en état de décomposition). La terre est jonchée de détritus, de bouts de matière organique indéterminée.
Intimité et émotion
D'autres images semblent plus intimes, même s'il ne s'agit pas de l'intimité de l'artiste qui tient à dire qu'elle ne fait jamais d'autoportraits. Les Centerfolds (1981), par exemple, baptisées en référence aux pages centrales des magazines érotiques. Elles mettent en scène des jeunes femmes dont l'émotion est palpable. L'une est allongée sur son canapé devant son téléphone qui ne sonne pas, une autre, songeuse, sur son lit. Des photographies qui comme souvent peuvent être interprétées de diverses façons : commandées par le magazine Arforum, elles ont finalement été refusées : la revue trouvait qu'elles donnaient une image dégradante des femmes. Celle qui remonte son drap sur sa poitrine avait été vue comme la victime d'un viol. Pas du tout avait rétorqué Cindy Sherman, c'était simplement une jeune fille qui avait trop bu et avait du mal à se réveiller.
Vingt à trente ans plus tard, c'est aussi seules, et plus pathétiques, qu'apparaissent les femmes de la haute société vieillissantes qu'elle incarne dans ses Society Portraits (2008). Elles semblent bien tristes dans des décors luxueux, avec des traits dérisoirement botoxés et tirés.
Cindy Sherman ne rechigne pas à utiliser les derniers développements de la pratique photographique : elle poste sur Instagram des selfies réalisés avec son téléphone. Et elle utilise à contre-emploi les applications censées embellir le visage, créant des personnages caricaturaux et grotesques.
Cindy Sherman, une rétrospective (de 1975 à 2020)
Fondation Louis Vuitton
8, avenue du Mahatma Gandhi, bois de Boulogne, Paris
Du 23 septembre 2020 au 3 janvier 2021
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