"Our Lives and Our Children": Robert Adams et la fragilité de la vie à la Fondation Cartier-Bresson
Robert Adams a expliqué que, un jour, dans les années 1970, alors qu'il vivait près de Denver (Colorado), il a vu s'élever une colonne de fumée au-dessus de l'usine de production d'armes nucléaires de Rocky Flats, installée à une quinzaine de kilomètres de la ville. Convaincu qu'une catastrophe nucléaire était inéluctable en l'absence de "gouvernance mondiale juste", il s'est demandé ce qu'une telle catastrophe anéantirait.
Le photographe américain, amoureux de la nature et particulièrement sensible aux questions de l'environnement et de sa destruction par l'homme, a pensé que pour "trouver en nous-même la volonté d'interroger inlassablement les politiciens, nous (devions) d'abord chérir les individus avec lesquels nous vivons (…) découvrir ce que chacun de ces êtres recèle d'absolu mystérieux".
Et cela peut sembler étrange mais il s'est alors posté devant des supermarchés, ou en centre ville, cachant son appareil moyen format Hasselblad derrière un sac de courses. Ce photographe du paysage américain (et surtout de son changement) s'est mis à photographier les gens, et de la même manière qu'il montre la beauté de grands paysages dépeuplés et les ravages qu'on leur fait subir, il a saisi la banalité de ces êtres humains et en même temps leur grâce et le miracle de la vie.
Des instants fugaces de la vie
De cette série réalisée entre 1979 et 1982, Robert Adams a fait un livre, "Our Lives and Our Children" (nos vies et nos enfants), publié en 1983 chez Aperture. On en avait vu quelques images en 2014 dans la très belle rétrospective du Jeu de Paume. C'est toute la série et rien que cette série (si ce n'est quelques photos d'intérieurs) qui est présentée à la Fondation Henri Cartier-Bresson. Avec en plus quelques inédits ajoutés dans la nouvelle édition de l'ouvrage chez Steidl.Au premier abord, on peut être surpris par ces figures anonymes presque interchangeables saisies sur un parking, sortant de leur voiture, avec un caddie, parfois floues, par des cadrages un peu hasardeux, souvent sous la lumière crue du milieu de journée dans laquelle il aime représenter ses paysages de l'Ouest américain. Et puis si on regarde bien, on distingue des instants fugaces de la vie, avec ses joies et ses angoisses, le blanc et le noir, le mouvement et l'immobilité, la tendresse et la solitude.
Deux gars en chemise à carreaux presque identiques marchent côte à côte, la même jambe levée, comme des jumeaux (on marche beaucoup dans cette série). Des couples de vieux se tiennent par la main (on se tient aussi beaucoup par la main ou par le bras), de jeunes mères serrent leur bébé sur leur cœur. Une petite vieille a l'air perdu entre deux belles voitures américaines. Mais la solitude frappe aussi chez ceux qui sont deux ou plusieurs, comme cette fille qui tire par la main son enfant (les parents emmènent beaucoup leurs enfants au supermarché), le regard au loin. Ou ce couple qui regarde dans des directions opposées.
Bannir toute ironie
On rit aussi, comme cette toute petite fille debout sur le capot d'une voiture, qui s'apprête à sauter dans les bras de son grand-père. Ou ce couple âgé qui se promène, hilare, dans ce qu'on peut imaginer comme un premier soleil de printemps.Il y a une légère étrangeté dans le point de vue, pour un adulte du moins, puisque Robert Adams a saisi ses images au niveau de la taille, à hauteur d'enfant. Une étrangeté qui pourrait bien exprimer le péril menaçant toutes ces vies fragiles et magnifiques. "Quand nous rencontrons l'innocence, la beauté, l'affection, la joie ou le courage, même en des lieux perdus, ne sommes-nous pas obligés de les reconnaître en tant que tels et de bannir toute ironie ?", a écrit Robert Adams.
Il s'agit de la dernière exposition de la Fondation Henri Cartier-Bresson dans ses murs de l'hôtel particulier de l'impasse Lebouis dans le 14e arrondissement de Paris. En octobre, la prochaine sera accrochée dans de nouveaux locaux, plus grands, rue des Archives dans le Marais.
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