Photographie : les armes de meurtres de femmes exposées à la gare de l'Est
Couteau, cutter, tournevis, fer à repasser, ceinture de peignoir, oreiller... Ces objets du quotidien sont des armes qui ont servi à tuer des femmes. Ce sont les sujets des photographies de Camille Gharbi, exposées sur le parvis de la gare de l'Est à Paris jusqu'au 30 juin.
Camille Gharbi, 35 ans, est l'auteure de ce projet baptisé "Preuves d'amour" exposé dans le cadre du festival Circulations organisé par SNCF Gares et Connexions "C'est censé être inoffensif, de l'ordre du foyer, et cela devient des armes du crime, ce que les spécialistes appellent des armes d'opportunité", explique la jeune photographe .
Les photographies sont accompagnées des prénoms des victimes, de leur âge, avec la date du féminicide. Zenash, 27 ans, a été étouffée le 27 novembre 2017 avec un coussin à Neuilly-sur-Marne. Nicole, 81 ans, à Grenoble le 29 octobre 2015 et Yvette, 91 ans, à Amiens la même année.
L'arme à feu et le couteau sont de loin les armes les plus utilisées. Sur la photo des balles figurant les crimes par arme à feu, de longues listes de noms. Parfois, seulement la mention "femme", lorsque la victime n'a pas été identifiée dans l'article de presse qui a servi au recensement. Il n'y a pas d'âge ni de milieu social épargné. Les femmes sont le plus souvent victimes d'un ex-conjoint ou petit ami.
43 féminicides depuis le début de l'année
Camille Gharbi s'est basée sur le relevé scrupuleux du site féministe "Féminicides par compagnon ou ex", qui relève déjà 43 victimes depuis le début de l'année. "J'ai calculé, cela fait une femme tous les 2,4 jours, c'est fou!", dit la jeune photographe. Des histoires de violences dans le couple parmi ses amies l'ont poussée à s'intéresser au sujet. "J'ai retenu 180 meurtres sur 253 féminicides commis en 2016 et 2017, et quelques-uns datant de 2015.
"Un article que j'ai lu à Noël 2017 a été le déclencheur. Un magazine qui traînait chez ma grand-mère parlait d'une jeune femme qui s'était fait tuer à coups de cutter par son ex-copain. Pour moi, qui suis architecte avant d'être photographe, le cutter est un instrument familier, ça m'a frappé encore plus violemment". "Le cutter a été la porte d'entrée pour aborder le sujet avec la distance nécessaire, à travers la banalité des objets du quotidien", poursuit-elle. "Je ne voulais pas tomber dans l'écueil de la violence littérale, visuelle, ou dans la victimisation".
Que montrer? Fallait-il représenter les coups, les mains, les tremblements? Les défenestrations, strangulations, asphyxies?
Camille GharbiPhotographe
Des clichés chirurgicaux, sans pathos
"Il y a souvent une image romanesque attachée à l'homicide conjugal, comme s'il s'agissait de passion", observe-t-elle. Les objets, froidement posés sur un fond blanc, tuent toute romance dans l'oeuf. C'est bien de meurtre qu'il s'agit.
Architecte de formation, Camille Gharbi s'intéresse depuis plusieurs années à des sujets "sociétaux". A coté de la photo d'architecture, elle développe ses projets personnels. Ses photos détourées des "cabanes" de la jungle de Calais ont été exposées à Venise, New York, au festival de photo de Montpellier, à Reims, Albi.
"La résilience m'intéresse, ces cabanes très inventives, parfois drôles, ont été construites par des gens qui ont tout perdu et qui trouvent la force d'ouvrir un commerce, une boulangerie".
Les photos de "Preuves d'amour" sont exposées simultanément gare de l'Est et à Clermont-Ferrand du 20 avril au 20 juin, ainsi qu'au festival "Photographie mon amour" à Metz à partir d'avril et en septembre au festival Manifesto de Toulouse. Elles seront aussi projetées début juillet lors des Rencontres de la photographie d'Arles.
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