Lewis Baltz, ou le paysage après le désastre, au Bal
Lewis Baltz est né en 1945 à Newport Beach, dans le sud de la Californie. "C'était alors une bourgade qui vivait du commerce des agrumes", explique Diane Dufour, la directrice du Bal et co-commissaire de l'exposition. Le désert autour a fait sous ses yeux l'objet d'une urbanisation galopante après la guerre. "Ca a été pour Lewis Baltz, terrifié, le premier choc visuel", dit-elle. Il commence, à onze ans, à photographier autour de lui.
Un regard critique sur la paysage
Ses premières œuvres sont les "Prototype works". Il s'agit de vues frontales en gros plan de façades opaques de bâtiments commerciaux ou industriels, isolées de leur contexte. Et les "Tract Houses", photos de maisons de lotissements qui ont poussé comme des champignons dans les périphéries urbaines. Vides de toute présence humaine, ces tirages virtuoses exposés dans un carré serré sont quasi abstraits. Pour cette dernière série, Lewis Baltz souligne le bord des photos à l'encre noire, leur donnant du relief et tendant à les transformer en objet.
Au côté de Robert Adams, Stephen Shore et les Becher, Lewis Baltz participe en 1975 à la fameuse exposition "New Topographics : Photographs of a Man Altered Landscape" à la George Eastman House à Rochester, qui s'attache à démystifier le paysage américain en changement, portant dessus un regard critique.
Son propos ne sera pas de s'inscrire dans l'histoire de la photographie, selon Diane Dufour. La photographie pour lui est un instrument d'enquête sur le rapport de l'homme à son environnement, un médium qui interroge l'esthétique et le politique.
Des photos influencées par Antonioni, Godard et Hitchcok
La directrice du Bal a imaginé l'exposition des séries les plus marquantes de Lewis Baltz avec Dominique Païni, ancien directeur de la Cinémathèque française, à la lumière des liens entre le photographe et le cinéma européen d'avant-garde. Car, selon les mots de Lewis Baltz, quand il était jeune, "les musées d'art contemporain n'existaient pas sur la Côte Ouest, Warhol n'était pas l'icône qu'il est devenu et la Grande culture, c'était le cinéma. Nous ne rations pas un film d'Hitchcock, Antonioni ou Godard". Il affirme donc que ses influences viennent davantage de ce côté-là.
Importance du hors-champ et apparences trompeuses chez Hitchcock, détachement et sentiment de perte chez Antonioni, les deux commissaires ont choisi d'installer au cœur de l'exposition une projection d'extraits de films de ces réalisateurs qui font écho aux œuvres du photographe américain.
La société civile américaine dissoute dans le paysage
La série de Baltz la plus forte est peut-être "Nevada" (1977), avec ses espaces désolés où les bâtiments frappés d'une lumière et une ombre violentes sont minéraux, abstraits. Dominique Païni veut y voir "une série menacée par l'ombre". Il voit dans les débris d'un néon au sol "le geste d'écraser un objet qui produit de la lumière". Et il semble n'y avoir aucune place, dans ces paysages vides, pour vivre ensemble.
Car pour Lewis Baltz, "de la même façon que le paysage est détruit par la prolifération galopante des banlieues, les valeurs traditionnelles associées à la ville (donc à la civilisation) sont menacées. La culture civile américaine, qui n'a jamais été très profonde, se dissout si on l'éparpille trop finement sur un territoire".
De l'autre côté de la grande salle du sous-sol du Bal, disposées en ligne également, les images de la série "Near Reno" (1986-1987) : le désert où on ne distingue rien au premier abord se met à être habité par des rebuts métalliques criblés de balle, un mouton mort plein de mouches, des fils électriques surgis de nulle part.
Après le désastre
Réalisée à la même époque dans une décharge sauvage près de San Francisco, la grande série "Candlestick Point", constituée de 84 tirages, occupe tout un pan de mur. Parfois un vide apparait entre deux images d'un paysage plat où les seuls reliefs sont des tas de détritus ou de gravats. Alors que chez Robert Adams, "on a encore une sorte de lyrisme, chez Lewis Baltz, le désastre a eu lieu, il n'y a plus de paysage", estime Diane Dufour.
Quelques vues en couleur s'introduisent comme par effraction dans un ensemble en noir et blanc. "Candlestick Point" marque en effet le passage à la couleur chez Lewis Baltz qui, comme tous les photographes de sa génération, a commencé par travailler en noir et blanc. Le mélange des deux renvoie à la notion de temps, le noir et blanc ayant tendance à indiquer le passé.
La représentation en crise
Pour Lewis Baltz, à la fin des années 1980, la photographie est en crise. Il parle de "fatigue de la représentation". Il se met à emprunter des images. L'exposition reprend "Ronde de nuit", une installation de 12 mètre de long présentée en 1992 au Centre Pompidou, qui interroge l'apparition de la société de surveillance. C'est pour lui "une tentative pour créer une métaphore du cercle que composent voyeurisme, surveillance et spectacle". Y alternent des images de caméras de surveillance un peu floues, des enchevêtrements de fils, des machines.
Avec les images de "Sites of Technology" (1989-1991), glanées dans des entreprises de Sophia Antipolis, elles insinuent que, à l'ère de l'hégémonie de l'informatique, quand les ordinateurs de La Redoute ressemblent comme deux gouttes d'eau à ceux de l'industrie nucléaire, le visible ne permet plus d'appréhender le réel.
Lewis Baltz, Common Objects, Le Bal, 6 impasse de la Défense, 75018 Paris
Tous les jours sauf lundi et mardi
Mercredi à vendredi : 12h-20h (jeudi jusqu'à 22h)
Samedi : 11h-20h
Dimanche : 11h-19h
Tariffs : 5€ / 4 €
Du 23 mai au 24 août 2014
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