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La magie de Sergio Larrain à la Fondation Cartier-Bresson

L’exposition Sergio Larrain a été un des événements des Rencontres d’Arles cet été. Les très belles images du photographe chilien sont à Paris, à la Fondation Cartier-Bresson, pour une rétrospective attendue. Après une carrière fulgurante, il s’était retiré et refusait qu’on expose ses photos.
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
L'exposition Sergio Larrain à la Fondation Cartier-Bresson à Paris (septembre 2013)
 (Ginies / SIPA)

L’exposition de Paris, intitulée "Vagabondages", présente essentiellement des tirages d’époque. Elle retrace la courte carrière de Sergio Larrain (1931-2012), photographe devenu mythique, qui a fui le monde dès la fin des années 1960 pour méditer et faire du yoga.
 
Sergio Larrain, né dans une famille de la grande bourgeoisie chilienne, se sent à l’étroit dans son milieu. Il part étudier aux Etats-Unis, achète un Leica, voyage en Europe et au Moyen-Orient et devient petit à petit photographe professionnel, travaillant un temps pour la revue brésilienne O Cruzeiro.

Sergio Larrain, Ile de Chiloé, Chili, 1957
 (Sergio Larrain / Magnum Photos)
Des photos au ras du sol
Dès le début, ses images frappent fort, puisque le MoMA, dont le directeur de la photographie est à l’époque Edward Steichen, lui achète quatre tirages en 1956.
 
Sergio Larrain s’intéresse aux enfants et aux chiens des rues, aux marins et aux prostituées.
Ses images en noir et blanc frappent par la particularité de leurs cadrages, souvent verticaux, construits sur de fortes diagonales. Elles regardent vers le haut, vers le bas, au ras du sol, elles sont penchées, de travers.
 
Il n’hésite pas à couper les têtes, les mains, les pieds, à ne montrer que la moitié d’un visage, il y a toujours quelque chose qui entre ou sort du cadre dans un coin.

Les enfants abandonnés de Santiago
Sur l’île chilienne de Chiloé, où la vocation de photographe lui est venue après un service militaire traumatisant, une femme tient un long poisson verticalement. On ne voit que sa jambe et la tête du poisson, appuyée sur son pied. Dans une autre image, quatre poissons sont parfaitement alignés au bord de l’eau au premier plan. Derrière, dans l’eau, un pêcheur dans une barque, une petite fille et un garçon coupé en deux et un cheval dont on ne voit que la tête fait irruption dans le cadre.
 
Larrain pensait qu’on réussissait ses photos si on s’intéressait vraiment à son sujet, qu’on y passait du temps. A Santiago du Chili, il a suivi les enfants des rues ("Los Abandonados", 1957-1963) avec sympathie. Il les a photographiés en train de jouer, de fumer, de dormir en tas pour se tenir chaud, parfois avec des chiens. Il a saisi la crasse sur leur visage, la morve au nez, les yeux intenses qui le regardent bien en face, il a isolé des pieds nus, une main qui se serre sur quelques pièces.
 
Ce sont ces images d’enfants abandonnés qui frapperont Henri Cartier-Bresson.
Sergio Larrain, Passage Bavestrello, Valparaiso, Chili, 1952
 (Sergio Larrain/Magnum Photos)
 
A Londres, dans les pas de Bill Brandt
Sergio Larrain voyage en Bolivie et au Pérou, où il photographie les Indiens. A Pisac, dans la région de Cuzco, une petite fille est assise à contrejour sur les pavés du trottoir, au coin d’une rue qui se perd au loin, baignée de lumière. Là encore, un chien traverse.
 
En 1958, Larrain reçoit une bourse du British Council qui lui permet de passer l’hiver à Londres, sur les traces de Bill Brandt et de ses atmosphères brumeuses. Hormis celles de l’"Underground", au ras du quai ou en bas des grands escalators, ses photos londoniennes sont moins puissantes. Ou est-ce l’accrochage très serré de la Fondation Cartier-Bresson qui n’aide pas à les mettre en valeur ?
 
Lors de ce voyage en Europe le photographe chilien rencontre Henri-Cartier qui lui propose d’entrer à Magnum. Il passe alors deux ans à Paris où il saisit la rue au ras du pavé ou du haut de l’Arc de Triomphe.
 
Retour à Valparaiso
Depuis la capitale française, il va en Algérie, en Iran. De sa vie de photojournaliste, on ne voit à la Fondation Cartier-Bresson que quelques images d’un reportage sur la mafia en Sicile. Très rapidement, il déteste ce travail de commande qui, selon lui, ne produit pas de vraies bonnes photos.
 
Sergio Larrain retourne au Chili pour arpenter Valparaiso, ses ruelles, son port, ses escaliers. Déjà, en 1952, il avait réalisé sa célèbre photo du "Passage Bavestrello".
 
"C’est à Valparaiso que j’ai commencé à photographier en arpentant les collines. Les petites filles descendant un escalier fut la première photo magique qui vint vers moi", dira-t-il. C’est en effet l’image magique qu’il cherchait. "Il se mettait dans un état de totale réceptivité. A un moment, il appuyait sur le déclencheur et la magie opérait", a raconté sa fille Gregoria Larrain début juillet à Arles.
 
Organiser le rectangle
"Une bonne image résulte d’un état de grâce. La grâce s’exprime quand elle est libérée des conventions, comme pour un enfant qui découvre la réalité. Le jeu consiste alors à organiser le rectangle", disait-il lui-même.
 
Et c’est bien un effet magique qu’on ressent devant une ruelle mal pavée et abrupte où grimpe un chien.
 
"Il faut aller là où tu le sens… Peu à peu tu vas rencontrer des choses. Et des images vont te parvenir, comme des apparitions. Prends-les", disait-il, bien loin de la pression du monde journalistique qui, pour lui, "détruit mon amour et ma concentration".
 
Larrain a traîné avec les marins et les filles, au bar Los Siete Espejos. Les grands miroirs aux cadres dorés, légèrement inclinés s’y renvoyaient les reflets comme un caléidoscope. Dans l’obscurité du port où quelques hommes flous passaient au premier plan, une enseigne indiquait une "entrada" (entrée) qui ne semblait aller nulle part.
 
Les images de "Valparaiso" ont été publiées avec un texte de Pablo Neruda dans un magazine suisse en 1966.
 
Méditation et dessin loin du monde
Dès le début des années 1950, Larrain s’était intéressé aux philosophies orientales et avait pratiqué la méditation. En 1969, il rejoint la communauté d’Arica, au nord du Chili, pour suivre l’enseignement du gourou bolivien Oscar Ichazo, avant de poursuivre seul sa quête spirituelle. Il s’installe définitivement à la montagne, à Tulahuén, en 1978, pour méditer et faire du yoga. Il y passera presque 35 ans, jusqu’à sa mort en 2012. Les seules photos qu’il y fait encore sont des images minimalistes du quotidien accompagnant des dessins et des lettres qu’il envoie à ses amis. Car s’il est retiré du monde il correspond beaucoup, espérant convaincre ses amis qu’il faut changer le monde.
 
Quand elle a commencé à travailler chez Magnum en 1982, Agnès Sire, aujourd’hui commissaire de l’exposition et directrice de la Fondation Henri Cartier-Bresson, a découvert les photos du mystérieux photographe chilien et a voulu entrer en contact avec lui. Elle lui a écrit à une boite postale, il lui a répondu. Pendant trente ans, elle a échangé des lettres avec lui sans jamais le rencontrer. Hormis une exposition à Valence en 1999, il ne voulait pas qu’on montre son travail, craignant d’être importuné par les journalistes.
 
Une "météorite" de la photo
Agnès Sire a tout de même obtenu de lui la republication de "Valparaiso" en 1991 et celle de ses photos de Londres en 1998.
 
Et quand sa santé a commencé à décliner en 2011, il a demandé à sa fille de s’occuper de son œuvre. Agnès Sire a choisi avec lui plusieurs centaines de photos qu’il aimait, parmi lesquelles ont été sélectionnées celles de la rétrospective.
 
"Larrain a traversé la planète photographique telle une météorite dont il a eu la sagesse d’interrompre la course", résumait Agnès Sire à Arles.

Sergio Larrain, Vagabondages, Fondation Henri Cartier-Bresson, 2 impasse Lebouis, 75014 Paris
du mardi au dimanche 13h-18h30 (fermé le lundi)
samedi 11h-18h45, nocturne gratuite le mercredi de 18h30 à 20h30
tarifs : 6€ / 4€
du 11 septembre au 22 décembre 2013
 
 

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