"L'urbex me permet de créer des photographies aux ambiances atypiques, assez singulières et sombres" : Vincent Jarroux capture les vestiges de notre société

L’exploration urbaine, abrégée en urbex (de l'anglais urban exploration), consiste à visiter et photographier des lieux construits et abandonnés par l’homme ou inaccessibles au public. Un principe : ne rien casser, ne rien ouvrir de force pour obtenir ces clichés post apocalyptiques à la poésie moderne. Émouvant.
Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Photo d'exploration urbaine : "Enfance". (VINCENT JARROUX)

De formation ingénieur en informatique, Vincent Jarroux s'est investi dans la photographie, il y a plus de 15 ans, en amateur car "cela permet de n'imposer aucune limite à ma créativité. J'ai démarré par la photographie nature, que je pratique encore, mais j'ai un attrait tout particulier pour l'exploration urbaine qui m'autorise la création d'ambiances singulières, sombres".

Ses références : des films de John Carpenter, Dario Argento, George A. Romero en passant par les jeux vidéo cultes des années 2000 comme Resident Evil ou Silent Hill. Des ambiances qui ont influencé sa sensibilité. Rencontre avec Vincent Jarroux qui nous raconte son expérience d'urbex.

Photo d'exploration urbaine : "Fatalité". (VINCENT JARROUX)

Franceinfo culture : quelle a été votre première rencontre avec l'urbex ?
Vincent Jarroux : je faisais de la photographie bien avant de faire de l'urbex. C'est vrai que l'urbex permet de créer des photographies aux ambiances atypiques, assez singulières et sombres que j'affectionne : toutes mes créations – je fais un peu de musique à côté – sont, en effet, assez sombres.

J'ai commencé en 2015. À l’époque, j'étais à Montpellier et j'avais un collègue de travail qui faisait de la photo et de l'urbex. Je suis manager de projets chez Orange et je ne vis pas de la photographie, ni de l'urbex, c'est un hobby. Cela m'avait toujours attiré, mais la complexité de trouver des lieux m'avait un peu refroidi. Il m'a indiqué des lieux et cela m'a mis le pied à l'étrier. J'ai commencé à appeler les archives à Béziers pour avoir des renseignements sur ces lieux abandonnés et, de fil en aiguille, j'ai rencontré des gens, j'ai échangé sur des lieux et des liens de confiance se sont établis, mais pas avec tout le monde !

Pourquoi ? Est-ce un milieu particulier ? 
C'est, en effet, un milieu assez particulier : il y a des gens qui misent leur existence sur le nombre de spots qu'ils ont et sur leur rareté. Il y a une communauté de petits groupes qui se retrouvent et échangent sur les réseaux sociaux, mais la mentalité n'est pas très ouverte. Cela reste, quand même, très jalousé et les gens prêts à l'entraide se comptent sur les doigts d'une main ! Vu la mentalité, j'en fais un peu moins désormais.

La pratique s'est démocratisée. Je connais, par exemple, très bien Romain Thierry, un urbexeur spécialisé dans les photos de pianos abandonnés. Il essaie d'en vivre avec des livres et des expositions photographiques, mais peu arrivent à en vivre : certains font des vidéos sur YouTube. Moi, j'ai choisi d'avoir mon travail sécuritaire à côté !

Quels sont les codes de conduite de l'urbexeur ?
Chacun adapte son code de conduite, mais à titre personnel, je ne rentre que dans des lieux ouverts aux quatre vents : souvent, ils sont très abîmés par le temps, par exemple la chute d'un arbre qui a cassé un mur. Sur place, il ne faut rien toucher, ne rien voler, juste passer et prendre des photos. Mais comme l'aspect photographique est très important pour moi, je me permets, parfois, de faire des mises en scène selon l'orientation de la lumière. Je suis plus photographe qu'urbexeur !

Pourquoi faut-il dissimuler les adresses de ces lieux abandonnés ?
Je les préserve vraiment au maximum, je n'ai jamais indiqué les lieux sur mes photos : c'est juste la création d'une image, d'une ambiance. En 2015, c'était encore confidentiel comme pratique puis cela a commencé à se démocratiser en 2017-2018. Après la pandémie, par exemple, des personnes se sont lancées dans l'activité de référencer des spots sur internet et de les vendre à l'unité, voire des cartes complètes de lieux.

Que risque un urbexeur ?
Le fait d'aller sur des propriétés peut, effectivement, poser problème. Il peut y avoir violation de la propriété privée. Il ne faut donc pas inciter les gens à aller dans des lieux qui ne sont pas abandonnés : certaines vidéos ont été tournées dans des châteaux dans lesquels il y avait encore tout le mobilier dedans. J'ai ainsi rencontré des propriétaires en pleurs qui voyaient leur bien en train de mourir, via des vidéos YouTube qui montraient comment rentrer dans leur château. L'aspect discrétion se perd. Il y a des urbexeurs qui aiment le fait de crocheter, d'aller dans des lieux soi-disant abandonnés, mais qui ne le sont pas. Certains sont rentrés sur des terrains militaires pour prendre des photos de tanks et d'avions abandonnés et se sont fait attraper par des gendarmes. Globalement, cela se solde souvent par de grosses amendes.

C’est mieux d'y aller au minimum à deux, car il y a une certaine dangerosité à l'activité, si un plancher un peu limite cède, par exemple. Je me souviens que sur certains planchers, j'avais l'impression de marcher sur de la mousse.

Quels types de lieux avez-vous visités ?
Depuis 2015, j'ai dû visiter environ 200 lieux principalement en France et en Italie et j'ai fait entre 350 et 400 photos. J'oriente mes recherches plus particulièrement vers les manoirs, les châteaux, les maisons individuelles, mais pas les sites industriels. J'aime bien les épaves de voitures, de bateaux. Ma thématique, c'est l'oubli.

Comment se prépare-t-on à la visite d'un lieu ?
Généralement, la recherche des lieux se prépare en avance. J'en identifie certains mais cela nécessite une énergie et un temps hallucinant. Souvent, je les trouve aussi grâce à un article sur internet qui donne des indices, par exemple, en signalant que c'était un pensionnat. Il y a aussi Google Maps et Google Earth, des outils excellents pour les identifier et constater, par exemple, que la toiture est abîmée et qu'autour, il n'y a pas d'activité !

Quel lieu abandonné vous a le plus marqué ?
C'est un pensionnat catholique dans une région française au climat assez dur que j'ai visité à mes débuts. Il y avait des trous dans les murs et la toiture, il était bien abîmé. Cela a été une grosse claque, il y avait une ambiance qui m'a vraiment marquée lors de cette exploration qui a duré toute la journée. Cela a été un lieu gorgé d’histoire où forcément plein de choses se sont passées. Abandonné depuis les années 1980, il y avait encore dans le garde-manger des bouteilles de Teisseire et des conserves de quenelles. J'y suis retourné l'année dernière et le lieu est méconnaissable, le temps a fait son œuvre. En 2015, il y avait peu de passages, donc peu de graffs et de tags : j'essaie de trouver des lieux qui sont préservés de cela maintenant !

Une photo prise là-bas est affichée chez moi : c'est une photo de la table d'écolier avec le soleil qui tape dessus. C'est vraiment une belle photo que j'aime.

Photo d'exploration urbaine : "Éducation". (VINCENT JARROUX)

Que cherchez-vous à exprimer dans vos photos ?
Je privilégie les prises de vues d'octobre à mars. L'été, la lumière est trop dure et cela ne correspond pas à mon état d'esprit. Je cherche une certaine homogénéité par rapport à mon travail d'ensemble : l'idée conductrice est la création d'ambiance. Je trouve mes photos sombres, mais elles offrent une part d'imaginaire pour se questionner. La prise de vue en lumière naturelle guide mes choix, mais je profite du numérique pour travailler le traitement de la photo, pour désaturer les couleurs.

Votre projet Fatalité a été exposé à la Galerie Rastoll à Paris en mai 2023 puis a été sélectionné pour le festival Phot'Aubrac en septembre 2023 à l'église Notre-Dame-des-Pauvres. Une nouvelle exposition est en préparation ?
Oui, peut-être pour 2024 ou 2025. Ce ne sera pas forcément que de l'urbex. L'exposition devait s'appeler Solitude.

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