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Jeff Wall en petit format à la Fondation Henri Cartier-Bresson

Jeff Wall est célèbre pour ses mises en scène dans des caissons lumineux de grand format. A la Fondation Henri Cartier-Bresson, le photographe canadien a choisi de montrer des images simples et de petite taille, un aspect méconnu de son œuvre et pourtant, explique-t-il, aussi important que les tableaux photographiques qui l'ont fait connaître (jusqu'au 20 décembre 2015)
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Jeff Wall à la Fondation Henri Cartier-Bresson, à Paris (8 septembre 2015)
 (Giniès / SIPA)

34 photos sont exposées à la Fondation Cartier-Bresson : au premier étage, des caissons lumineux de petite taille, au deuxième des tirages papier en noir et blanc et en couleur, de dimension modeste également. Ces images proviennent "d'orbites différentes", dit Jeff Wall. Certaines devaient faire partie de projets de grand format, d'autres ont "surgi un peu par accident".
 
Pourtant, au premier étage, l'unité est grande entre ces morceaux de lieux banals qu'il a captés, dans des couleurs riches, une valise ouverte abandonnée à la pluie, une barquette de petits pois et sauce tomate vide posée sur le bitume, une fenêtre aveugle pleine de toiles d'araignées, un seau et un balai. Des images documentaires qui pourraient sembler tombées là au hasard mais dont la composition est parfaitement étudiée.
 
Ces photos, il a commencé à les faire dans les années 1990, alors que, depuis une vingtaine d'années, il ne s'intéressait qu'au grand format : après avoir fait des études d'histoire de l'art à Londres et s'être intéressé à l'art conceptuel, il a voulu dans les années 1970 réinventer la tradition picturale en utilisant la photographie. Il faisait de grands tableaux photographiques mis en scène, qui pouvaient lui prendre des mois et qu'il qualifiait de "cinématographiques".

Jeff Wall, "Diagonal Composition" 1993 (transparent dans caisson lumineux)
 (Jeff Wall / Courtesy of the artist)


Le grand format n'était pas obligatoire

Au premier étage, une des photos est différente des autres: "The Giant", qui représente une femme nue sur le palier d'une bibliothèque, est la plus ancienne exposée ici, raconte l'artiste. Il s'agit d'un montage numérique de plusieurs prises de vues mais elle est de taille modeste. Elle date de 1992. "A l'origine, quand j'ai débuté le projet, je ne voyais pas que cette photo ne pouvait pas être très grande. Mais en la faisant, j'ai réalisé que le grand format n'était pas obligatoire, que j'étais libre de ne pas en faire."
 
Quelques mois plus tard, Jeff Wall remarque dans un coin de son studio un vieil évier et un vieux bout de savon qui étaient là depuis des années : "J'ai pensé que je pouvais en tirer une composition intéressante et j'ai vu que ce serait dans ce format." C'est devenu cette belle "Diagonal Composition" qu'il présente dans un caisson lumineux. Et c'est le début d'une évolution de sa pratique photographique vers d'autres formats et d'autres supports.
 
Les petits formats exposés, des images plus serrées que les grands tableaux, "ne sont pas séparées de mes autres travaux. Je les vois comme une autre façon d'exercer la photographie", dit l'artiste. Et si "mes grands formats ont toujours été conçus pour représenter mes sujets en taille réelle, là aussi on est aussi en grandeur nature", fait-il remarquer.
Jeff Wall, "Torso", 1997, tirage gélatino-argentique
 (Jeff Wall / courtesy of the artist)


Ne pas être seulement "le type qui fait des caissons lumineux"

Ces images "sont plus simples, plus 'directes', si on pense que la photographie peut être simple. Ce qui me semble intéressant, c'est que la photo directe, on ne peut pas y échapper". Ses grands tableaux sont un montage de plusieurs images "directes", fait-il remarquer.
 
Les caissons lumineux, Jeff Wall les a adoptés dans les années 1970 parce que ses grandes photographies étaient difficiles à réaliser techniquement et qu'il n'était pas satisfait des papiers utilisés par les labos. "Au labo, ils avaient ce matériau transparent qu'ils utilisaient pour la publicité. Un gars m'a suggéré d'essayer et j'ai aimé", raconte-t-il. "A l'époque, ça ne ressemblait pas à ce qu'on faisait en art ou en photo, ça avait un caractère vulgaire qui me plaisait. Ca ne ressemblait pas à ce que les gens trouvaient beau, ce qui me semblait intéressant."
 
Mais quinze ans plus tard, Jeff Wall s'est trouvé limité, il ne voulait pas pratiquer d'une seule façon, en couleur, être seulement "le type qui fait des caissons lumineux".

Tous les appareils et tous les formats de films

"A la fin des années 1980, j'ai fait du noir et blanc, des photos sur papier. Et je n'ai pas fait de transparences depuis huit ans", confie-t-il. Il s'en était lassé, même s'il n'exclut pas d'en refaire plus tard.
 
Au deuxième étage de la Fondation Cartier-Bresson, donc, il expose ces tirages sur papier, en couleur et en noir et blanc, plus hétérogènes. La vue d'une voiture, un garçon sur un écran de télé, une vitrine de bijoutier ou de fleuriste…
 
Jeff Wall fait des photos avec tout type d'appareil ou de format de film, et aussi avec son téléphone portable. Il expose là sa première photo faite au téléphone, une petite fille penchée dans la rue, très floue, de 2007. "Je passais, je l'ai vue, et tout ce que j'avais en main, c'est le portable, alors j'ai pris la photo comme n'importe qui l'aurait fait. Et elle était bien composée, elle avait des couleurs intéressante", donc il l'a retenue et tirée.
 
Une même photo est tirée en deux formats différents. Il s'agit d'un tronc d'arbre en gros plan, en noir et blanc. Le plus petit tirage, explique-t-il, fait partie d'une série de tirages contact de négatifs 8x10 pouces qu'il a réalisés pour saisir, en quelque sorte, l'essence du système photographique qu'il résume à la relation quasi mathématique entre trois éléments, l'objet, l'appareil ou l'objectif, et le négatif. La taille du tirage contact est comme celle du système photographique à son minimum.

Garder la mémoire de la photographie

Quelques années plus tard, en regardant ce tirage, Jeff Wall s'est dit que tout le détail qui était dans le négatif n'était pas exprimé et il a souhaité l'agrandir, montrer le tronc d'arbre grandeur nature. Et il est vrai que la texture de l'écorce semble prendre toute sa plénitude.
 
Jeff Wall travaille toujours sur film, même s'il n'oppose pas du tout le numérique et l'argentique sur le plan artistique : "Ce qui m'intéresse, c'est le moment où on capte l'image." Mais il estime qu'il faut garder la mémoire de ce qu'a été la photographie et s'inquiète de la précipitation de l'industrie à supprimer le film, s'offusque de la quantité de matériel qu'on jette. "On le regrettera", pense-t-il. "Je fais beaucoup de noir et blanc en ce moment", dit-il, en faisant l'éloge du travail en laboratoire : "C'est une expérience magnifique que les gens qui font de la photo devraient connaître. Il faut préserver ça."
 
Si ces dernières années, il a abandonné les caissons lumineux, il ne veut pas qu'on isole ses derniers travaux sur papier du reste de son œuvre. C'est important pour lui qu'on envisage les liens entre tous les aspects de son travail.

Jeff Wall, Smaller Pictures, Fondation Henri Cartier-Bresson, 2 impasse Lebouis, 75014 Paris
tous les jours sauf le lundi et les jours fériés
du mardi au dimanche : 13h-18h30
samedi : 11h-18h45
nocturne gratuite le mercredi : 18h30-20h30
tarifs : 7€ / 4€

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