Garry Winogrand au Jeu de Paume : les Etats-Unis entre frénésie et désillusion
Né dans le Bronx en 1928, Garry Winogrand a photographié en noir et blanc l'effervescence de New York après la guerre, ses scènes de rue et ses soirées mondaines. Ses photos semblent chaotiques, prises au hasard, parfois penchées, pleines de personnages, sur plusieurs plans dont le premier est très serré. Des filles rient, discutent sur un banc, des hommes d'affaires en costume courent. Il voit la vie comme un spectacle et cherche à savoir "à quoi ressemblent les choses quand elles sont photographiées".
"On peut sentir dans son travail qu'il avait un énorme appétit, une énergie phénoménale, un enthousiasme incroyable", souligne Leo Rubinfien, un photographe qui l'a connu les dix dernières années de sa vie et qui est un des commissaires de l'exposition.
Le photographe de l'Amérique
La première partie de l'exposition est consacrée à cette période new-yorkaise des débuts. Plus tard, il a beaucoup voyagé à travers les Etats-Unis et s'est installé en Californie. D'ailleurs, il aime photographier les aéroports. Il s'intéresse aux cow-boys du Texas, leurs foires et leurs rodéos, les piscines, figeant un plongeon, des filles en maillot de bain à une table de café de Malibu. Ou encore les manifestations pour la paix des années 1960.
Et c'est sa fine perception des Etats-Unis qui distingue Winogrand aux yeux de Leo Rubinfien : "Il est le seul photographe qui ait vraiment saisi de façon très ambitieuse l'esprit et l'essence des Etats-Unis pendant trois des plus importantes décennies de son histoire. Il se désignait comme un étudiant de l'Amérique", se demandant ainsi, au-delà de l'histoire, "qui sommes-nous ?"
Garry Winogrand aimait photographier et s'occupait peu de l'édition
Garry Winogrand photographiait avec frénésie et se préoccupait peu de l'édition de son travail. Il la confiait souvent à d'autres. Et, les six ou sept dernières années de sa vie, il n'a même pas regardé ou trié ses images laissant, derrière lui une œuvre inachevée de plus de 6600 films, soit 25% de sa production totale. 2500 pellicules n'avaient même pas été développées. Le reste était développé mais il n'y avait pas de planches contact.
Un des objectifs de cette exposition, coréalisée avec le San Francisco Museum of Modern Art, était de donner une vue complète de l'œuvre de Winogrand, au vu de cette somme d'images que personne n'avait vues, pas même l'artiste. "J'ai examiné toutes les planches que Winogrand avait laissées, soit 22.000, un total de 800.000 ou 900.000 photos", raconte Leo Rubinfien. "Souvent, il avait marqué celles qui l'intéressaient, et souvent non."
Pour chaque photo de l'exposition, le cartel indique s'il s'agit d'un tirage d'époque ou du tirage moderne d'une image marquée ou non par l'artiste sur la planche contact.
Une œuvre en pagaille, à l'image du monde
Ce type de tirage posthume pose un problème moral. Fallait-il exhumer toutes ces images ? "Nous y avons beaucoup réfléchi, et pendant longtemps. Nous en avons discuté avec sa famille, ses amis et d'autres photographes. Mais dans le cas de Winogrand, nous avons pensé que c'était la bonne décision à prendre", raconte Erin O'Toole, conservateur au SFMOMA et également commissaire de l'exposition. Winogrand a été emporté par un cancer en l'espace de quelques semaines, en 1984, sans avoir eu le temps de trier son travail. Et il avait exprimé le souhait de revenir dessus.
Erin O'Toole souligne un autre aspect de la démarche de Winogrand : "Contrairement à beaucoup d'autres photographes, il ne travaillait pas en série. Il ne partait pas avec une idée définie en tête, pour en tirer un livre." C'est pourquoi, selon elle, la présentation de son œuvre a été jusque-là très limitée, axée sur des sujets précis qui ne rendaient pas compte de l'aspect foisonnant de son travail. "Il voulait revenir dessus et faire un livre rétrospectif, mais il n'a pas eu le temps de le faire." L'exposition entend aussi montrer ce foisonnement. "Le monde n'est pas bien rangé, c'est une pagaille. Je n'essaie pas de l'ordonner", disait-il.
Des photos qui n'avaient jamais été vues
Si Winogrand a été le témoin de l'espoir et de l'entrain de la classe moyenne américaine dans les vingt ans qui ont suivi la guerre, il y a aussi un côté sombre dans son œuvre, qui capte les travers de l'Amérique, la déliquescence et la solitude.
Et ce caractère s'est accentué dans les années 1970 et 1980. Les personnages rient moins, sont souvent isolés, perdus dans la foule.
La dernière salle de l'exposition est constituée, à l'exception d'une image, de photos des dernières années, que Winogrand n'avait pas vues et qui n'avaient jamais été exposées. Une fille est tombée dans la rue, sur la chaussée, sans que personne ne semble s'en soucier. Le visage d'une autre fille, rongé par l'angoisse, exprime toute la douleur du monde. Cela est-il le reflet des transformations qu'ont subies les Etats-Unis ou d'un état dépressif du photographe ? On ne le saura jamais, répond Leo Rubinfien : "Il parlait vraiment très peu de lui."
Garry Winogrand, Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, Paris 8e
Tous les jours sauf lundi
Mardi : 11h-21h
Mercredi à dimanche : 11h-19h
Tarifs : 10€ / 7,50€
Du 14 octobre 2014 au 8 février 2015
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