Femmes et photographie : une double exposition à Orsay et à l'Orangerie
Le premier volet de l'exposition, au Musée de l'Orangerie, consacré aux années 1839-1919, est sans doute le plus intéressant car moins souvent montré, c'est une véritable découverte. 75 femmes, connues ou pas, sont réunies. Dès les débuts de la photographie, des femmes ont investi ce nouveau medium qui n'est pas encore codifié et leur laisse une grande liberté.
Anne Atkins (1799-1871), botaniste britannique est une pionnière de la photographie qu'elle utilise pour illustrer des herbiers. Elle utilise notamment le cyanotype et son album consacré aux algues, dès 1843, est considéré comme le premier livre de photographies. La dimension scientifique de ses compositions florales est souvent dépassée par le souci esthétique.
La pratique amateur de la photographie se développe particulièrement chez les femmes de la bonne société victorienne en Angleterre, où elle est valorisée au même titre que les autres loisirs féminins de plein air comme l'aquarelle, l'astronomie, la botanique. Et la Photographic Society est ouverte aux femmes dès 1853.
En Angleterre, la famille et l'intérieur
En France, au contraire, le milieu de la photographie naissante reste très masculin. Les femmes qui la pratiquent sont souvent de la famille des premiers photographes, comme Elisabeth Disdéri (1817-1878), qui a continué à faire tourner l'atelier brestois qu'elle avait ouvert avec son mari, André-Adolphe-Eugène Disdéri quand il s'est installé à Paris, avant d'ouvrir elle-même un atelier dans la capitale.En Angleterre, les sujets que les femmes traitent restent au début étroitement liés à la sphère domestique. Lady Frances Jocelyn fait des prouesses techniques en intérieur, en photographiant son salon en 1865. Mais des sujets qui pourraient paraître conventionnels et sages, comme la famille, sont l'occasion d'une expression artistique intense et peuvent donner lieu à une transgression du genre.
Dans un intérieur typique de la haute société, Lady Clementina Hawarden photographie ses filles adolescentes, mais elle les fait poser pieds nus et en jupon, ce qui n'est pas très orthodoxe.
Du nu masculin au photojournalisme
Influencée par la peinture préraphaélite, Julia Margaret Cameron (1815-1879) nimbe de flou ses portraits serrés en clair-obscur qui annoncent l'esthétique pictorialiste. Initiée tard à la photographie, elle compose des scènes religieuses et photographie la sensualité des enfants et des relations mère-enfant, produisant des images qui pourraient faire polémique aujourd'hui. Elle a immortalisé des hommes célèbres comme Charles Darwin ou John Herschel.Deux autres noms émergent de l'ensemble des photographes présentées pour la qualité technique de leur travail et pour l'originalité de leur démarche : Imogen Cunningham et Gertrude Käsebier (1852-1934), toutes deux américaines. La première s'est mise à la photo parce qu'elle trouvait que ses enfants grandissaient trop vite. Elle s'est aussi intéressée à la cause indigène, réalisant d'intenses portraits d'Indiens dénués d'exotisme.
Les premières photographes explorent des sujets liés à l'intime inédits comme les relations père-enfant, le nu masculin (Imogen Cunningham fait scandale avec des photos de son mari). Elles interrogent le couple, leur rôle de femme (Käsebier se montre au billard, livre une allégorie du mariage en forme de bœufs sous le joug), se travestissent.
Rapidement, les femmes investissent le photojournalisme : pendant la guerre de 1914, Helen John Kirtland est sur les tranchées et Olive Edis, en 1919, photographie les champs de bataille et les paysages du nord dévastés.
A la naissance de la photographie moderne
Dans la deuxième partie de l'exposition, qui porte sur la période 1918-1945, on va voir un approfondissement des pistes lancées à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Les femmes vont en même temps participer à la naissance de la photographie moderne aux côtés de leurs collègues masculins, sur le plan formel et thématique, tout en continuant à travailler sur l'intime, l'identité, l'autoportrait, la nature morte, des genres dont elles n'hésitent pas à transgresser les codes.Ce volet de l'exposition est moins surprenant, car une bonne partie des photographes exposées au Musée d'Orsay, on avait pu les découvrir ces dernières années au Centre Pompidou (photo surréaliste, collection Christian Bouqueret) ou au Jeu de Paume, qui a présenté une série d'expositions sur les femmes photographes, de Lee Miller à Kati Horna en passant par Florence Henri, Claude Cahun, Eva Besnyö, Laure Albin-Guillot.
Mais il nous rappelle que les femmes ont été présentes dans tous les développements de la photographie dans la première partie du XXe siècle.
Couleur, nu et identité
On admirera les portraits et publicités de Madame Yevonde, pionnière de la couleur dès les années 1930, grâce au procédé Vivex ou les fleurs sensuelles ou érotisées de Tina Modotti et Lola Alvarez Bravo ("Sexe végétal", 1948).Les femmes continuent à s'intéresser au nu, masculin ou féminin, avec l'autoportrait en photographe à demi-deshabillée de Marianne Breslauer, les corps fragmentés de Laure Albin-Guillot ou Margrethe Mather, ou les surprenantes photos légères qui ont permis à un certain nombre d'artistes de gagner leur vie.
La réflexion sur l'identité se poursuit, avec l'autoportrait dédoublé de Claude Cahun, homosexuelle, juive et socialiste, Berenice Abbott qui déforme son visage, la jeune Diane Arbus qui se photographie nue et enceinte pour envoyer son autoportrait à son mari sous les drapeaux, et tous les autoportraits avec appareil photo où ces artistes s'affirment en tant que photographes.
Documenter la crise des années 1930 aux Etats-Unis
Les femmes sont présentes dans le photojournalisme : Gerda Taro en Espagne où elle est tuée par un char, Margaret Bourke-White à la libération des camps, la juive polonaise Julia Pirotte dans la Résistance marseillaise.Autre domaine journalistique investi par les femmes, celui du social, notamment lors de la crise des années 1930 aux Etats-Unis, avec le célébrissime cliché de Dorothea Lange ou ceux, moins connus, de Marion Post Wolcott. Conseuelo Kanaga est une des rares photographes de l'entre-deux guerres à photographier les noirs. Son portrait en gros plan de la jeune Annie Mae Merriweather dont le mari a été tué lors de la répression d'une grève, elle-même battue et sans doute violée, est poignant.
"Qui a peur des femmes photographes ?", Musée de l'Orangerie, Jardin des Tuileries, 75001 Paris
Tous les jours sauf le mardi et le 1er mai, 9h-18h
Tarifs : 9€ / 6,5€, gratuit les premiers dimanches du mois et les moins de 26 ans de l'UE
Et Musée d'Orsay, 1 rue de la Légion d'Honneur, 75007 Paris
Tous les jours sauf le lundi, le 25 décembre, 9h30-18h, le jeudi jusqu'à 21h45
Du 14 octobre 2015 au 24 janvier 2016
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