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Crevettes, pieuvres et hippocampes : entre science et surréalisme, les films de Jean Painlevé à découvrir au Jeu de Paume à Paris

Scientifique passionné par les animaux du bord de mer, soucieux de pédagogie et proche des surréaliste, Jean Painlevé a réalisé plus de 200 films qui sont de petits bijoux. Le Jeu de Paume nous les présente, jusqu'au 18 septembre.

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
A gauche, Henri Manuel, Jean Painlevé dans "L’Institut dansla cave", s.d. - A droite, Jean Painlevé, La Pieuvre, 1928, Photogramme, Épreuve gélatino-argentique d’époque (Les Documents Cinématographiques / Archives Jean Painlevé)

La tête délicate d'un hippocampe, la danse d'une pieuvre, une bagarre de bernard-l'ermite : ces images sont à découvrir à Paris au Jeu de Paume, qui présente la première grande exposition de l'œuvre poétique et fascinante de Jean Painlevé. Ce dernier a filmé toute sa vie le monde marin, entre science et art, entre recherche, pédagogie et surréalisme.

Dans un article exposé au Jeu de Paume, Jean Painlevé (1902-1989) soulignait la "supériorité démonstrative de la photo animée sur la parole seule, le tableau noir, le livre, l'image fixe". Pour l'étudiant notamment, il rend "vivantes" les explications lues ou entendues, écrivait-il. Dans ces lignes, outre les avantages pour la recherche scientifique (grossissement, ralentissement de l'image) il évoquait "le côté éminemment plastique que l'on peut faire ressortir dans un film documentaire, pour peu qu'on ait quelque imagination".

Jean Painlevé assisté d’Eli Lotar, Détail de la queue de crevette encroisillon, 1929, Épreuve gélatino-argentique d’époque (Fonds photographique Bouqueret-Rémy)

Têtes de crevettes et ventouses de pieuvres

Jean Painlevé est d'abord un scientifique : entré à la faculté de médecine en 1921, il étudie la biologie et réalise son premier film, L'œuf d'épinoche, en 1927. Parallèlement, il tourne des séquences pour une pièce de théâtre d'Yvan Goll, se lie avec le cinéaste soviétique Einsenstein ou le réalisateur français Jean Vigo. Il exposera ses photos avec Brassaï, Man Ray et Roger Parry. S'il n'a jamais fait partie du mouvement surréaliste, il est proche de ses membres, qui étaient souvent fascinés par ses images. On avait pu en découvrir certaines lors de la grande exposition du Centre Pompidou sur la photographie surréaliste.

D'un côté, on découvre des photos de Jean Painlevé, une gracieuse étoile de mer qui semble suspendue dans les airs, des images difficilement reconnaissables et quasi abstraites qui confinent au fantastique, comme un détail de tête de crevette ou l'œil d'une araignée, une pince de homard qui ressemble à une caricature de Charles de Gaulle, des ventouses de pieuvres comme un gros bijou.

La pieuvre est un animal qui l'a particulièrement fasciné, dès l'enfance, disait-il, et qui l'aurait amené à étudier la zoologie. Il lui consacre un de ses premiers films, muet et en noir et blanc, en 1927. Puis un autre en couleur dans les années 1960, où il filme la démarche fascinante, la danse amoureuse et l'accouplement de l'animal, les œufs organisés en longs cordons que la femelle triture. Le tout sur une musique de Pierre Henry. Car Jean Painlevé attache une grande importance à la musique de ses films, jazz ou contemporaine, dramatique ou légère, qui participe à leur ton particulier.

Jean Painlevé, Hippocampe dans les algues, vers 1934, épreuve gélatino-argentique d’époque (Les Documents Cinématographiques / Archives Jean Painlevé)

Bagarre de bernard-l'ermite

Jean Painlevé a réalisé plus de 200 films. Il y a entre autres celui consacré au bernard-l'ermite, ce crustacé qui élit domicile dans les coquilles vides de mollusques pour protéger son abdomen exposé aux agressions. On y assiste à des scènes comiques où un individu mal logé chasse un de ses congénères de sa coquille, plus grande.

Un autre est obligé d'abandonner la belle demeure qu'il avait trouvée, trop lourde pour lui. D'autres, coiffés d'une grande toque un peu ridicule se sont incrustés dans une anémone. On assiste aussi à une bagarre générale.

Le premier champ d'exploration de Jean Painlevé a été le bord de mer, en Bretagne. Il a aussi tourné certains films en laboratoire comme le plus célèbre, celui sur l'hippocampe (1931-1934). Au milieu des algues du bassin d'Archachon, il avait du mal à filmer ces petits animaux fantastiques, seuls poissons à se mouvoir verticalement, leur démarche étrange, les mâles qui portent les œufs dans leur ventre et accouchent. Il l'a fait en aquarium, au studio de l'Institut de cinématographie scientifique à Montparnasse.

Engagé dans la Résistance

Jean Painlevé assisté d’Eli Lotar, Pince de homard ou Charles de Gaulle,vers 1929, épreuve gélatino-argentique d’époque
 (Fonds photographique Bouqueret-Rémy)

S'il était reconnu par la communauté scientifique, ses films étaient aussi largement diffusés dans les salles d'avant-garde et les ciné-clubs (il a d'ailleurs été président de la Fédération française des ciné-clubs créée à son initiative en 1946). Son engagement politique (il est membre du Comité mondial contre la guerre et le fascisme avant la guerre, puis résistant sous l'occupation), dans le cinéma et dans la science sont indissociables : il a dirigé le centre de cinéma du Conservatoire national des arts et métiers, il a été responsable de la Cinémathèque française en zone libre, puis directeur général du Cinéma français dans le gouvernement provisoire en 1944.

Il faut prévoir du temps pour visiter l'exposition du Jeu de Paume et savourer toute la poésie de la douzaine de films qui y sont projetés.

"Jean Painlevé, les pieds dans l'eau", Jeu de Paume1 place de la Concorde, Paris 1er.
Tous les jours sauf lundi. Mardi 12h-21h, mercredi à vendredi 12h-20h, week-end 11h-20h. Tarifs : 12 € / 9 € / 7,50 €. Du 8 juin au 18 septembre

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