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Bamako : à la 11e Biennale, les photographes imaginent le futur de l'Afrique

La 11e Biennale africaine de la photographie ouvre ses portes le 2 décembre à Bamako. Dans un contexte sécuritaire toujours fragile, c'est un événement important pour un pays qui veut regagner une image de normalité. Et à un moment où la création africaine est à la mode en Occident, c'est un lieu de réappropriation par les Africains de leur création. Pour réfléchir notamment au futur du continent.
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
L'affiche des Rencontres photo de Bamako et Rahima Gambo, "Education is Forbidden", 2015 (Nigéria)
 (A droite ©Rahima Gambo)

Créées en 1994, les Rencontres de Bamako ont révélé au monde plusieurs générations de photographes : Seydou Keita et Malick Sidibé étaient à la première édition. Elles ont servi de tremplin depuis à Samuel Fosso, Pieter Hugo, Baudouin Mouanda, Kiripi Katembo ou Omar Victor Diop, entre autres.
 
Annulées en 2013 en raison des événements politico-militaires, elles ont repris en 2015 et comportent pour ses organisateurs un enjeu politique : elles "constituent pour le Mali un événement d'une extrême importance", soulignait Samuel Sidibé, le directeur du Musée national du Mali et délégué général de cette Biennale, début octobre à Paris, lors d'une conférence de presse. "Dans une situation sécuritaire qui continue d'être difficile, nous pensons que la biennale peut servir à ouvrir le Mali. Elle devient une sorte de façon de résister à l'intolérance, à ceux qui sont contre l'expression artistique, contre la liberté", estime-t-il.

Baudouin Mouanda, "Les fantômes des Corniches", 2017 (République démocratique du Congo)
 (Baudouin Mouanda)

Déconstruire les fantasmes exotiques

Mais l'enjeu, bien sûr, est d'abord artistique. Seydou Keïta en 2016 au Grand Palais à Paris, Malick Sidibé en ce moment à la Fondation Cartier, les photographes africains au festival de La Gacilly l'été dernier, la photographie africaine est à la mode chez nous.

"Nous parlons tous en leur nom et beaucoup d'artistes de ce continent se sentent dépossédés : dès qu'ils réussissent, leurs œuvres sont vendues en dehors de l'Afrique", faisait remarquer Marie-Ann Yemsi, la commissaire de la 11e édition des Rencontres. "On se passionne pour eux mais je voulais qu'on puisse entendre ce qu'ils ont à nous dire de ce continent, de ce qu'il est, de la façon dont ils le vivent. Ils vont peut-être un peu contribuer à déconstruire nos fantasmes et nos projections qui restent encore assez exotiques", ajoute-t-elle.
Zied Ben Romdhane, "West of Life", 2014-2016 (Tunisie)
 (Zied Ben Romdhane)

L'exposition panafricaine, au cœur de la Biennale

Au cœur des Rencontres, l'"exposition panafricaine", installée au Musée national, rassemble les projets de quarante artistes (ou collectifs d'artistes) choisis parmi 350 dossiers sur le thème des transformations du monde africain et ses développements possibles (la 11e édition a été baptisée Afrotopia). "Une grande majorité d'artistes qui n'ont jamais été exposés, n'ont jamais eu de tirages d'exposition, ou bien qu'on a peu vus", précise Marie-Ann Yemsi.
 
Quelques-uns y avaient déjà été exposés mais ont été sélectionnés parce qu'ils avaient évolué dans leur travail. Ainsi le Congolais Baudouin Mouanda qui avait présenté des séries sur les séquelles de la guerre et sur la sape à Brazzaville en 2009 est de nouveau présent avec un travail sur "Les fantômes des corniches", les écoliers qui étudient dans la rue sous les réverbères faute d'électricité chez eux.
 
Les femmes sont bien présentes dans la sélection, avec par exemple le travail en noir et blanc de Zied Ben Romdhane dans une ville minière de Tunisie qui pose le problème de l'écologie. Ou le collectif de femmes Cairo Bats qui interrogent l'espace des toits du Caire, entre public et privé, et le seul que peuvent investir les femmes. Ou encore le travail de Rahima Gambo ("Education is Forbidden"), revenue sur les lieux d'attentats dans le nord du Nigeria où les étudiants ont dû partir et où ils sont revenus. Elle les a suivis au jour le jour pour voir comment on peut se reconstruire.
James Barnor,"Une assistante de la boutique Sick-Hagemeyer", 1971
 (James Barnor, courtesy galerie Clémentine de la Féronnière, Paris)

Une monographie de James Barnor

Certains artistes sont très jeunes comme le Sud-Africain Sibusiso Bheka qui travaille sur l'idée du mur, érigé dans les townships pour se protéger des agressions. Ou la Sud-Africaine Phumzile Khanyile qui s'est photographiée avec les vêtements de sa grand-mère dans l'espace intime de la famille où cohabitent plusieurs générations.
 
Eric Gyamfi avec sa série-installation "Just Like Us", nous plonge dans la réalité des communautés LGBT au Ghana et pose la question de la différence et de la liberté de choix problématique dans bien des pays, mettant en regard photos et coupures de presse diffamatoires.
 
Une monographie de James Barnor est présentée au musée du District. Né en 1929, le photographe ghanéen est un des rares photographes de la période des indépendances encore vivant. Dans les années 1950 il a photographié les Ghanéens en noir et blanc dans son studio d'Accra et travaillé pour la presse, puis il photographié la diaspora africaine à Londres. Rentré au Ghana, il y a installé le premier laboratoire couleur. L'exposition met en avant ses dernières photos des années 1970-1980, moins connues. Présent à Bamako, James Barnor doit y animer une master class.
Sibusiso Bheka, "Stop Nonsens", 2017 (Afrique du Sud)
 (Sibusiso Bheka, avec le soutien du fonds culturel Rubis Mécenat)

Pochettes de vinyls en plein air

Le village des Rencontres est installé au Musée national du Mali et la manifestation investit aussi le grand parc qui l'entoure, avec notamment l'exposition Independence Remixed qui explore la musique du continent africain depuis les indépendances à travers les pochettes de disques vinyles, présentées à l'extérieur.
 
Pour Samuel Sidibé, "il ne faut pas faire une biennale qui reste entre artistes et professionnels, il faut qu'elle soit largement partagée", et les accrochages dans le parc doivent permettre que "le public puisse participer à la fête".
Musa N. Nxumalo - Anthology of Youth Series - 2016-2017
 (Musa N. Nxumalo)

A la rencontre du public des quartiers et des écoles

Dans le même esprit, un programme baptisé Ciné Photo Mobile va diffuser la Biennale dans les différents quartiers de Bamako : avec l'appui des associations de quartier, il projettera sur les places publiques une sélection de travaux des différentes expositions de la Biennale, avec un accompagnement musical par des DJ ou des musiciens locaux.
 
Et puis la Biennale est l'occasion d'un travail avec les écoles. "Depuis de nombreuses années nous développons un programme avec les enfants autour d'ateliers de photographie. Des photographes maliens travaillent avec les écoles et y font des ateliers. Parallèlement, nous développons un programme pédagogique qui permet à un nombre important d'écoliers de venir découvrir les images, de voir ce que les artistes africains sont capables de faire aujourd'hui", explique Samuel Sidibé. "Nous pensons que la création est un outil d'émancipation, de développement du sens de la liberté, du sens aussi de l'altérité", ajoute-t-il.

Les journées professionnelles réunissent du 2 au 5 décembre 2017 les artistes, les partenaires, des professionnels du monde entier et la presse africaine et internationale. Les expositions se poursuivent jusqu'au 31 janvier 2018.

Les lauréats des 11e Rencontres de Bamako

Quatre prix ont été annoncés par le jury de la Biennale :

Athi-Patra Ruga, "Miss Azania, Exile Is Waiting", 2015 (Afrique du Sud)
 (Athi-Patra Ruga and WHATIFTHEWORLD Gallery, Cape Town/Johannesburg)


Athi-Patra Ruga (Afrique du Sud) a reçu le Prix Seydou Keïta, Grand prix des Rencontres de Bamako. Il présente "Miss Azania, Exile is Waiting", un projet coloré et kitsch autour d'un personnage flamboyant, qui renoue avec la tradition de production de mythes.

Julien Creuzet, né en Ile-de-France, reçoit le Prix de l'Organisation internationale de la francophonie. Poète et plasticien, il questionne la mémoire et l'héritage caribéen avec des installations utilisant la vidéo et la photographie. A Bamako, il présente une vidéo autour de la danse.

Fethi Sahraoui (Algérie) a reçu le Prix Léon l'Africain, pour sa série en noir et blanc autour de son cousin atteint de maladie mentale, entre documentaire et narration intime.

Gabrielle Goliath a reçu le Prix de l'Institut français / Afrique en créations / Prix du jury. Cette artiste sud-africaine, dont le pays est, avec le Congo, celui où il y a le plus de viols en Afrique, travaille sur les violences faites aux femmes. Elle présentait à Bamako une installation de six écrans portant la voix muette de femmes.

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