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Arles : les photos de famille et les cartes postales recomposées de Vik Muniz

L'artiste brésilien Vik Muniz poursuit à Arles son travail d'illusionnistes et sa réflexion sur la perception de l'image, en explorant un univers plus intime, celui de la photo de famille, et celui de la transformation du paysage, avec deux séries grand format, "Album" et "Postcards From Nowhere".
Article rédigé par franceinfo - Valérie Oddos (avec AFP)
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Vik Muniz expose sa série "Album" aux Rencontres d'Arles (été 2014)
 (Franck Pennant / AFP)
Vik Muniz, né en 1961 à São Paulo, fabrique ses œuvres avec les matériaux les plus divers qu'il photographie ensuite. En 2012, il avait exposé à la fondation Lambert à Avignon son "Musée imaginaire", des reconstitutions de chefs-d'œuvre de Van Gogh, Cézanne, Picasso, Warhol et autres maîtres de l'histoire de l'art avec des matériaux inattendus (laine, ketchup, chocolat, végétaux, déchets…).
 
Il y a quelques années, il a travaillé à Jardim Gramacho, l'immense décharge de Rio de Janeiro, réalisant des œuvres d'art avec les ramasseurs de déchets. Les bénéfices de la vente des photos leur ont été reversés.
Vik Muniz, Bain de soleil, série Album, 2014, avec l'aimable autorisation du Vik Muniz Studio, New York et Rio de Janeiro et Sikkema Jenkins & Co, New York
 (Vik Muniz / Rencontres Arles)
 
Un travail sur la nostalgie
Dans les deux séries présentées aux Rencontres d'Arles, il s'intéresse à la nostalgie et à la matérialité de la photographie et continue son exploration de la fragmentation de l'expérience visuelle.
 
"Album" réunit des grands formats en noir et blanc figurant des scènes familières qu'on pourrait trouver dans n'importe quel album de famille : un mariage, une femme qui prend un bain de soleil, un enfant, une salle de classe. Des images qui évoquent des récits à la fois intimes et universels. Il s'agit en réalité de mosaïques réalisées avec des centaines de photos de famille soigneusement découpées et ré-agencées.
 
De loin, on voit le visage d'un bébé de deux ans, "Vik". De près, on distingue des centaines de petites photos dont l'assemblage fait naître la bouille de l'artiste.
Vik Muniz, Plage, Série Postcards From Nowhere, 2014, avec l’aimable autorisation du Vik Muniz Studio, New York et Rio de Janeiro, et Xippas Galleries.
 (Vik Muniz / Rencontres Arles)
 
Les effets de la révolution numérique
"La révolution numérique a changé notre rapport à la photographie", déclare Vik Muniz à l'AFP. "Ce qui était  relativement rare est devenu surabondant".
 
"Je suis né dans une favela. Ma famille était pauvre. Nous n'avons jamais eu d'appareil photo à la maison", raconte l'artiste. "Ma tante, qui habitait  Miami, venait nous voir une fois par an et me prenait en photo; je découvrais le résultat l'année d'après seulement, lorsqu'elle revenait".
 
"J'ai à peu près neuf images de moi enfant. Je les chéris beaucoup", confie Vik Muniz. "Dès l'âge de 21 ans, lorsque je suis arrivé à New York, j'ai commencé à acheter aux puces des photos de famille. J'aimais imaginer la vie de ces gens." Depuis, Vik  Muniz  n'a pas cessé de collectionner les photos  "vernaculaires", celles des amateurs, qui saisissent les moments importants de la vie de chacun: anniversaire, communion, mariage, vacances...
 
La perte et la dissémination des images
"Depuis quinze, vingt ans - avec la révolution numérique - j'ai vu un changement radical dans la façon dont les gens voient leur mémoire familiale. Auparavant, les photos de famille argentiques se passaient de génération en  génération. Puis il y a eu une rupture."
 
"Les disponibilités de photos de famille, via les sites aux enchères, les réseaux internet, les puces, ont augmenté de façon exponentielle", poursuit le  collectionneur. Vik  Muniz possède 250.000 photos, qui alimentent son travail.
 
La deuxième série, "Postcards From Nowhere" (Cartes postales de nulle part), aborde les thèmes de la perte et de la dissémination des images. Elle met en scène des destinations populaires qui n'existent plus ou qui ont été radicalement transformées par la violence ou la technologie, comme les Twin Towers à New York ou une plage de Beyrouth autrefois magnifique.
 
Des cartes postales en mosaïque
Car Vik Muniz collectionne aussi les vieilles cartes postales. Comme les photos de famille, il les découpe et les réassemble pour faire apparaître une nouvelle carte postale en mosaïque : "La Plage", "Avion de ligne" ou un Paris rêvé.
 
Fils d'un garçon de restaurant et d'une mère standardiste, Muniz peinait à l'école mais dessinait bien. Il obtient une bourse à 14 ans pour étudier le dessin académique. Il passe deux ans à l'école de psychologie de Sao Paulo mais échoue.
 
"Je me suis dit que je pourrais réunir mon intérêt pour la psychologie et la représentation en travaillant dans la publicité." Son premier travail consiste à améliorer la visibilité des affiches de rue. "Je devais étudier ce que donnait une image selon qu'on était loin ou proche d'elle."
 
Un art qui allie un intérêt pour la psychologie et pour la perception
A 19 ans, alors qu'il se rend en smoking à une soirée pour recevoir un prix décerné par une agence de publicité, il sépare une bagarre. La victime le prend pour son agresseur, lui aussi en smoking, et lui tire dans la jambe avec un revolver.
 
"Pour compenser cet accident, il a payé mes dépenses d'hôpital et m'a donné de l'argent avec lequel je me suis payé un billet pour l'Amérique en 1982."
 
"Mon idée était de passer six mois mais je suis resté. J'habitais à New York, East Village, où fleurissaient les galeries."
 
"Ma génération était en train de restituer sous forme d'une production nouvelle tout ce qu'elle avait lu, vu à la télévision, appris", dit-il en citant les artistes Cindy Sherman et Jeff Koons. "J'ai vu la possibilité de faire un genre d'art qui appliquerait tous les intérêts que j'avais pour la psychologie, la perception, les médias."
 
Vik  Muniz  est devenu un artiste inventif internationalement reconnu. Il vit aujourd'hui entre Rio et New York, se rend souvent à Londres et Paris.

Vik Muniz, "Album" et "Postcards From Nowhere", Eglise des Trinitaires, Arles
10h-19h30
9€
du 7 juillet au 7 septembre

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