Cet article date de plus de neuf ans.

Alix Cléo Roubaud, un météore de la photographie, à la BnF

La Bibliothèque nationale de France propose une exposition exceptionnelle de l'oeuvre fulgurante, intense et singulière d'Alix Cléo Roubaud, traversée par une réflexion permanente sur l'essence de la photographie, acte de mémoire et pratique étroitement liée, chez elle, à l'écriture (jusqu'au 1er février 2015)
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Alix Cléo Roubaud - A gauche, "Sans titre", série "La Cuillère (Saint-Félix, 27 août 1980), BnF - A droite série "Correction de perspective dans ma chambre" (1980, Paris, 64 rue Vieille-du-Temple), collection particulière Jacques Roubaud
 (Jacques Roubaud/Hélène Giannecchini)

Alix Cléo Roubaud est née à Mexico en 1952. Fille d'un diplomate et d'une peintre, elle a voyagé toute son enfance avant d'étudier la psychologie, la littérature, l'architecture et la philosophie à Ottawa, puis à Aix-en-Provence. Elle pratique la photographie en amateur, de façon occasionnelle avant de progressivement se diriger, vers une vraie recherche esthétique.
 
Sa carrière photographique est très brève, l'essentiel de sa production est concentré sur quatre années, les dernières de sa vie, de 1979 à 1983, puisque, souffrant depuis son plus jeune âge de problèmes respiratoires, elle meurt à 31 ans d'une embolie pulmonaire.

Alix Cléo Roubaud, "Deux soeurs qui ne sont pas soeurs" (titré d'après un scénario de Gertrude Stein), vers 1980, épreuve argentique, Collection particulière Jacques Roubaud
 (Jacques Roubaud/Hélène Giannecchini)
 
600 tirages, souvent uniques
 
Elle a laissé 600 tirages argentiques que son mari, le poète Jacques Roubaud, à donnés à de grandes institutions, dont la BnF mais aussi la Maison européenne de la photographie, le Musée national d'art moderne, la Bibliothèque municipale de Lyon et le Musée des beaux-arts de Montréal.
 
Pour Alix Cléo Roubaud, l'important ce sont les tirages : dès qu'elle a obtenu le résultat souhaité, c'est-à-dire celui qui est en adéquation avec l'émotion ressentie, elle détruit les négatifs. Avec ces tirages, qu'elle fait elle-même, elle veut ranimer une sensation, un souvenir. "La destruction du négatif sera un garde-fou contre la tentation d'approcher à nouveau le souvenir du monde que la photographie enferme", écrit-elle.
Alix Cléo Roubaud, Sans titre, série "15 minutes la nuit au rythme de la respiration" (Saint-Félix, prise de vue 1980, tirage Paris 1981), épreuve argentique, BnF
 (Jacques Roubaud/Hélène Giannecchini)
 
Des souvenirs qui s'effacent dans le blanc du papier
 
Ces épreuves uniques, donc rares, c'est elle qui les a faites. Dans la chambre noire, elle se livre à une multitude d'expérimentations, utilisant plusieurs négatifs en surimpression, dédoublant un même personnage (souvent elle-même), dessinant des traits avec un faisceau lumineux.
 
Les contours de l'image s'estompent parfois progressivement dans le blanc, pour marquer l'effacement du souvenir, comme dans ces photos d'enfance qu'elle a rephotographiées pour les retravailler. Ailleurs, c'est dans l'obscurité que les figures s'enfoncent.
 
Faire sentir que ce n'est pas le réel
Alix Cléo Roubaud, Sans titre (Autoportrait avec Jacques Roubaud), 1980, épreuve argentique, BnF, Estampes et photographie
 (Jacques Roubaud/Hélène Giannecchini)
 
En 1980, Jean Eustache tourne "Les photos d'Alix", où elle parle de son travail au fils du réalisateur. Dans le court-métrage qui décale subrepticement les commentaires des images, Alix Cléo Roubaud explique qu'elle fait des contretypes "pour avoir une photographie plus photographique, plus éloignée de la réalité, pour bien faire sentir que c'est une photographie et pas le réel".
 
Le champ de ses explorations photographiques, c'est essentiellement l'intime, souvent la chambre, dernière chambre d'adolescente chez ses parents, ou les chambres d'hôtel où elle capte son reflet et celui de son mari dans une glace. Celui-ci, elle nous le montre sur la même image, allongé à lire et assis en reflet juste à côté, créant un climat étrange. Dans ces chambres, elle nous fait voir sa vie amoureuse, sans excès d'impudeur.
Alix Cléo Roubaud, "Si quelque chose noir 7/17" (Saint-Félix 1980), épreuve argentique, BnF, Estampes et photographie
 (Jacques Roubaud/Hélène Giannecchini)
 
Une vie en sursis
 
L'autoportrait, souvent nu, est un des thèmes récurrents de son œuvre. Son corps est malade : depuis petite elle souffre d'asthme aigu et se sent menacée par l'obscurité et la mort. Elle crée sa série "15 minutes la nuit au rythme de la respiration" allongée avec l'appareil photo sur sa poitrine souffrante. Elle y saisit des cyprès en vitesse lente, l'obturateur fixé à 15 minutes, en impliquant tout son corps dans la prise de vue.
 
Dans sa série "Si quelque chose noir" elle imagine sa mort : dans une pièce dépouillée, elle se tient nue, se dédouble, s'allonge au sol, se revoit petite fille… La série, conçue comme un haiku, est accompagnée d'un texte aussi important que les images.
Alix Cléo Roubaud, Sans titre, série "La dernière chambre" (prise de vue Ottawa 1973, tirage Paris 1979), épreuve argentique obtenue par surimpression, Collection particulière Jacques Roubaud
 (Jacques Roubaud/Hélène Giannecchini)
 
La photographie indissociable de l'écriture
 
Car l'écriture est une part importante de la création d'Alix Cléo Roubaud, elle est indissociable de sa pratique photographique. Pendant des années, elle a écrit son journal, dont une partie a été publiée par son mari après sa mort ("Journal 1979-1983", Seuil) où elle parle de la photographie. Et des textes accompagnent souvent ses images ou en font même partie, manuscrits ou tapés à la machine, photographiés et intégrés en surimpression.
 
Ses photos ont peu été montrées de son vivant et après sa mort, même si elle a participé à une importante exposition à Créteil en 1982 et si la série "Si quelque chose noir" était à Arles en 1983.

Cette exposition de la BnF est une occasion unique d'entrer dans l'univers sensible et très personnel d'une artiste disparue en plein élan créateur.
 
Alix Cléo Roubaud, photographies, "Quinze minutes la nuit au rythme de la respiration", BnF, site François Mitterrand, Quai François-Mauriac, Paris 13e
Tous les jours sauf lundi et jours fériés
Du mardi au samedi : 10h-19h, dimanche : 13h-19h
Tarifs : 9€ / 7€
Du 28 octobre 2014 au 1er février 2015

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.