A Douchy-les-Mines, le Centre régional de la photographie expose les inédits de son incroyable collection
En plein pays minier du Nord, Douchy-les-Mines, accueille le Centre régional de la photographie qui possède une collection de 9000 tirages d'artistes connus ou moins connus. Une belle découverte.
Installé dans l'ancienne poste de cette ville de 11 000 habitants, un joli bâtiment en brique, il recèle des trésors : 9 000 tirages acquis au fil des ans en invitant des photographes, connus et moins connus, français et étrangers, à porter un regard sur la région. Le Centre régional de la photographie (CRP) de Douchy-les-Mines (Nord), par ses actions en direction du public, oeuvre à attirer un public éloigné de la culture. Il propose, comme tous les étés, un regard sur sa collection. Cette année, la commissaire Béatrice Andrieux a décidé d'exhumer des "inédits", des pépites qui n'avaient jamais été exposées.
L'histoire du CRP de Douchy-les-Mines, près de Valenciennes, est singulière. Le Nord a un lien fort avec l'histoire de la photographie, raconte Muriel Enjalran, sa directrice depuis 2015 : la deuxième société photographique était installée à Boulogne-sur-Mer, et de loisir bourgeois, elle s'est démocratisée pour devenir un loisir populaire. "C'est de cette histoire qu'émane le CRP", qui nait dans le bassin minier et sidérurgique : il est issu en 1982 du photo-club amateur d'Usinor, "qui décide d'organiser des expositions de photographes à Denain et d'inviter de très grands noms comme Henri Cartier-Bresson".
Les photographes humanistes, proches des communistes et sensibles aux objectifs d'éducation populaire "n'hésitent pas à venir encadrer des concours et présenter leurs propres images". D'où leur forte présence dans les collections, avec par exemple Claude Dityvon ou Jean Marquis.
Une collection née des dons de photographes
En 1986 le CRP, qui ne trouve pas d'espace permanent à Denain, est accueilli par la ville de Douchy-les-Mines, dans l'ancienne poste. En 1991, il est reconnu par le ministère de la Culture comme Centre d'art national. Les centres d'art (une cinquantaine en France) ont pour vocation d'organiser des expositions, de faire émerger des artistes, d'organiser des actions artistiques, pas de faire collection. Mais les photographes invités par le CRP laissaient souvent des images et c'est ainsi qu'une collection est née, raconte Muriel Enjalran.
"C'est ce qui rend l'histoire du CRP absolument extraordinaire : on a à un moment donné les plus grands artistes du champ de la photographie dans les années 1980-1990. Pierre Devin, le directeur fondateur du centre, avait une véritable vision et a invité les plus grands. On essaie de continuer cette histoire", souligne-t-elle. Depuis son arrivée, Muriel Enjalran tente de poursuivre la collection, même si les conditions financières sont difficiles : "J'ai un budget de centre d'art mais qui doit gérer une collection. J'achète des tirages quand les prix sont abordables. Sinon, on a des artistes confirmés qui tombent amoureux du lieu et font un don d'images."
La Commande photographique Transmanche au cœur de la collection
Un grand moment fondateur du CRP, c'est la Commande photographique Transmanche, une commande territoriale de grande ampleur, lancée en 1988, sur les conséquences sociologiques et géographiques du chantier du tunnel sous la Manche : "Pierre Devin arrive à convaincre le ministère de la financer, il trouve aussi des partenariats en Angleterre. Il accueille 26 photographes, et pas des moindres."
Bernard Plossu a effectué le voyage Paris-Londres en train avec l'écrivain et poète Michel Butor. Martin Parr s'est intéressé aux Anglais qui traversaient la Manche pour acheter de la bière à Boulogne-sur-Mer. Josef Koudelka, Claude Dityvon, Lewis Baltz ont aussi participé au projet. Le CRP conserve un exemplaire de chacune des 26 séries réalisées alors, qui constituent le cœur de la collection.
Le CRP expose ses "inédits"
Le projet Transmanche est aussi au départ de l'exposition estivale, consacrée aux collections, qui vient de commencer au CRP de Douchy-les-Mines. Muriel Enjalran l'a confiée à Béatrice Andrieux. Quand celle-ci s'est plongée dans les 9000 tirages du centre, la commissaire et critique d'art a été frappée par une série du photographe belge Christian Meynen sur la route nationale 1. Commandée dans le cadre de la Mission photographique Transmanche, elle n'avait pas été retenue et jamais exposée.
Et pourtant, la rigueur du travail réalisé en noir et blanc, en partie à la chambre, au bord de la route, où défilent un centre communal, des maisons, un mur aveugle, des champs désolés, un coin de rue, convainc Béatrice Andrieux. Elle décide alors de se concentrer sur les "inédits" du CRP, des séries qui n'y ont jamais été exposées.
"J'ai trouvé des pépites", dit-elle. Elle a sélectionné neuf artistes de différents pays qui ont travaillé, en noir et blanc ou en couleur, à la fin des années 1980 ou au début des années 1990 et dont les problématiques résonnent avec celles du Nord même si leurs univers sont très différents.
De Dublin à Douchy-les-Mines
Une des plus fortes est celle de l'Irlandais Anthony Haughey, réalisée dans des familles ouvrières catholiques à Dublin. Elle raconte avec beaucoup de respect le quotidien de pauvreté et de chômage, malgré les couleurs éclatantes et la vivacité des enfants. "Ces questions du territoire, de la pauvreté, de la crise économique ne sont pas spécifiques au Nord, on les retrouve à Dublin", remarque Béatrice Andrieux. Pierre Devin avait remarqué la série d'Anthony Haughey en Angleterre et en avait fait l'acquisition pour le CRP mais elle n'y avaient jamais été présentée au public.
Deux des séries exposées, en noir et blanc, ont été réalisées selon un protocole rigoureux, "à la manière des Becher", ce couple de photographes allemands qui ont photographié systématiquement des bâtiments industriels de façon frontale, avec la même lumière et le même cadrage. Frédéric Cornu s'est intéressé à des baigneurs, saisis debout sur les plages du Nord. Philippe Timmerman, lui, a travaillé grâce à une bourse du CRP avec les étudiants et le personnel de l'université des Sciences et Technologies de Lille, photographiant les premiers devant une porte d'amphithéâtre, les seconds dans leur bureau.
Par ses choix, Béatrice Andrieux voulait refléter le fonctionnement d'acquisition du CRP : commandes, bourses, dons, workshops, échanges... La série d'Aris Georgiou, elle, témoigne des échanges entre le CRP et la Grèce, où ce professeur et photographe a créé le musée de la photographie et le festival de la photo de Thessalonique. "Invité au CRP, il a voulu photographier Douchy et il a réalisé un ensemble de façades. En remerciement de l'accueil, il a donné ces tirages", raconte la commissaire. Ses petits clichés en couleur de 1996, pleins de mélancolie, racontent la ville avec ses murs en briques, sa boucherie, ses pompes funèbres…
Le regard d'artistes étrangers sur le Nord
Le CRP aime inviter des artistes étrangers à découvrir le territoire du Nord et sa lumière. Dans le cadre de ces commandes, la Québécoise Louis Oligny a travaillé sur les familles après la fermeture des mines, livrant un univers sombre, où les enfants jouent devant un terril ou dorment dans une voiture.
Ces photos datent d'il y a plus de vingt ans. Mais Muriel Enjalran souhaite toujours, aujourd'hui, "amener des artistes étrangers sur un territoire comme les Hauts-de-France, car c'est intéressant d'avoir leur regard, nourri de leur propre expérience, chez eux, d'une paysage en mutation". Ainsi, un photographe et sociologue de Chicago, David Schaillol, est resté trois mois et a livré en 2017 "une vision très surprenante des paysages miniers, déjà très souvent photographiés, transfigurés avec une manière à l'américaine de photographier. Il a jeté un regard neuf aussi sur la manière dont les gens, de façon résiliente, se réapproprient les territoires."
A l'automne 2019, ce sont les Brésiliens de BijaRi, qui vont exposer photos et vidéos produites lors d'une résidence à Douchy-les-Mines. Muriel Enjalran a rencontré il y a dix ans à São Paulo ce collectif d'artistes, architectes et urbanistes qui s'interrogent sur l'engagement dans l'espace public en impliquant les habitants. Pendant dix jours, en mai, ils ont investi la place des Nations de Douchy où, à partir d'activités assez simples, ils ont amené les habitants à réfléchir sur les forces qui se jouent dans la ville.
Le prêt de tirages pour amener le public à la photographie
"A travers ces pratiques conviviales, il s'agit d'amener les gens à la culture et à l'art", souligne la directrice du CRP. Car un enjeu important, pour le centre, c'est d'intéresser un public assez éloigné de la culture. Il le fait grâce à des interventions hors les murs, dans des établissements scolaires, des hôpitaux, des maisons d'arrêt, des centres sociaux. Un outil privilégié est le prêt de photographies. En effet, le CRP de Douchy-les-Mines est aussi artothèque : 500 tirages originaux peuvent être empruntés pour plusieurs mois par des particuliers, des entreprises, des administrations, des écoles, à des prix très abordables. Depuis trois ans, le CRP travaille par exemple avec l'état-major de la gendarmerie de Villeneuve-d'Ascq, qui emprunte pour ses espaces collectifs.
Les particuliers, eux, peuvent, pour une adhésion de 20€ et un forfait annuel variable (20€ à 50€) accrocher chez eux tous les deux mois une à quatre photos, d'Edouard Boubat à Raymond Depardon, de Robert Doisneau à Sergio Larrain. "Les gens vont d'abord emprunter Willy Ronis, puis au fil des mois ils vont vers une photographie moins évidente, plus contemporaine", raconte Muriel Enjalran.
Inédit(s)
CRP / Centre régional de la photographie
Galerie de l'ancienne poste
Place des Nations
59282 Douchy-les-Mines
Entrée libre
Mardi-vendredi : 13h-17h
Samedi, dimanche, jours fériés : 14h18h
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