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Photo : Salgado compose "une lettre d'amour à la planète"

Pendant huit ans, le photographe brésilien a parcouru les régions les plus isolées de la planète pour révéler leur beauté cachée.

Article rédigé par Elodie Ratsimbazafy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Les femmes Mursi et Surma sont les dernières femmes à plateaux au monde. Village Mursi de Dargui, dans le parc national de Mago, près de Jinka, Ethiopie, 2007. (© SEBASTIÃO SALGADO / AMAZONAS)

L'exposition de Sebastião Salgado à la Maison européenne de la photographie, à Paris, jusqu'au 5 janvier, va en décontenancer plus d'un. Le Brésilien était surtout connu pour ses reportages photos dénonçant les conditions de vie des plus démunis, à l'image de sa série aux côtés des travailleurs de la mine d'or de Serra Pelada, par exemple. Dans son dernier projet, intitulé Genesis, les préoccupations de l'artiste sont d'ordre purement environnemental.

En compagnie de son fils Jacques et de sa femme, Lélia (également commissaire de l'exposition), le photographe est parti pendant huit ans à la découverte des rares parties du monde restées "inchangées depuis des millénaires", à la rencontre de tribus isolées et d'animaux sauvages (des lions de mer de l'Antarctique aux éléphants d'Afrique). Le résultat ? "Une lettre d'amour à la planète", à mi-chemin entre journalisme et ethnographie, se décomposant en clichés d'une beauté saisissante.

Un Eden inconnu

"Quelque 46 % de la planète vivent encore au temps de la Genèse", rappelle Salgado. L'artiste s'est évertué, au cours des 32 voyages réalisés ces dernières années, à pied, en avion, en canoë et même en ballon, à retrouver ces régions (montagnes, déserts, océans) sur lesquelles l'homme n'a pas imprimé sa marque. Exemple avec cette vue du confluent du Colorado, en Arizona.

Vue du confluent du Colorado et du petit Colorado prise depuis le territoire Navajo. Arizona, Etats-Unis, 2010. (© SEBASTIÃO SALGADO / AMAZONAS)

Ce qui frappe, dans ce cliché, c'est d'abord la maîtrise de la technique du clair-obscur. Salgado s'est très tôt imposé par son utilisation virtuose du noir et blanc, auquel il reste fidèle dans cette dernière série. Vus en plongée, vraisemblablement d'avion, les reliefs impressionnants du canyon du Colorado se détachent de l'image. Mais dans son cadrage, le photographe laisse aussi de l'espace pour la masse sombre des cumulus. Ils donnent un éclairage dramatique à cet Eden rocheux... et peuvent évoquer une présence divine, qui se manifeste souvent dans l'iconographie chrétienne par de la lumière perçant à travers les nuages.

On retrouve le même éclairage dramatique sur fond nuageux dans la photo de cet immense iceberg flottant dans la mer de Weddell (Antarctique), que le photographe a surnommé "la cathédrale".

 

Iceberg entre l’île Paulet et les îles Shetland du Sud dans la mer de Weddell. Péninsule Antarctique, 2005. (© SEBASTIÃO SALGADO / AMAZONAS)

En tirant parti des effets de contrastes entre zones sombres et lumineuses, ainsi que de la forme étrange de la glace (en fait polie par le mouvement de l'eau et de l'air), Salgado se rapproche du genre fantastique. Son glacier évoque un château hanté, à l'abri d'infranchissables herses.

Le mystère animal

Manchots, lions de mer, jaguars, léopards... sur tous les continents, Salgado s'est évertué à rassembler un bestiaire conséquent d'indomptables. Les photographes animaliers nous ont abreuvés d'images de bêtes sauvages, mais le Brésilien réussit encore à nous surprendre. La preuve avec ce "portrait" de baleine franche australe réalisé au large de l'Argentine.

Les baleines franches australes ("eubalaena australis") attirées par la péninsule Valdés et l’abri de ses deux golfes, le golfe San José et le golfe Nuevo, nagent souvent la nageoire caudale dressée hors de l’eau. Péninsule Valdés, Argentine, 2004. (© SEBASTIÃO SALGADO / AMAZONAS)

Plutôt que de montrer, de manière assez classique, la tête de l'animal, l'artiste nous laisse tout juste voir sa queue et signe une belle synecdoque visuelle. Remarquez la puissance qui se dégage du cliché. Le cadrage y est pour beaucoup : en resserrant jusqu'à couper une partie de la nageoire, le photographe met l'accent sur la taille du mammifère.

Il reprend le même procédé dans cet autre cliché représentant la patte d'un iguane marin.

Iguane marin ("Amblyrhynchus cristatus"). Galápagos, Equateur, 2004. (© SEBASTIÃO SALGADO / AMAZONAS)

Là encore, la photo frappe par sa beauté (les écailles composent un motif très graphique, que Salgado a su parfaitement exploiter). Mais aussi par sa bizarrerie : à première vue, ces cinq doigts évoquent plutôt un humain qu'un reptile, et le cadrage  laisse planer le doute sur la créature qui se trouve face à nous. Bref, l'artiste ajoute une part de mystère et de merveilleux à une faune qui, photographiée par d'autres, avait fini par lasser.

Les hommes à l'écart

La part la plus complexe du travail de Sebastião Salgado a été de retrouver des communautés totalement isolées. Mission impossible pour le photographe, qui a tout de même réussi à approcher des tribus "peu touchées par le monde extérieur", dont il tente de valoriser les costumes cérémoniels et les coutumes.

Les femmes Mursi et Surma sont les dernières femmes à plateaux au monde. Village Mursi de Dargui, dans le parc national de Mago, près de Jinka, Ethiopie, 2007. (© SEBASTIÃO SALGADO / AMAZONAS)

Les deux jeunes filles ci-dessus appartiennent à la tribu Mursi, qui vit dans le parc national de Mago, en Ethiopie, et comptent parmi les rares "femmes à plateaux" au monde. Le photographe porte moins un regard d'anthropologue que d'esthète sur son sujet, et s'est particulièrement attaché à travailler la composition de son image. Remarquez ici le jeu de miroirs entre ces deux jeunes filles : un arbre, au centre, coupe la photo en deux parties presque semblables, dans lesquelles les positions de bras se répondent parfaitement.

Dans cet autre cliché réalisé dans la région du Haut-Xingu (Brésil), la dimension artistique prend également le pas sur la dimension scientifique.

Dans la région du Haut-Xingu, un groupe d’Indiens Waura pêche dans le lac de Piyulaga, près de leur village. Le bassin du Haut-Xingu abrite une population très diversifiée. Etat du Mato Grosso, Brésil, 2005. (© SEBASTIÃO SALGADO / AMAZONAS)

De fait, le photographe ne donne pas à voir précisément ces Indiens pêchant dans le lac de Piyulaga, et ne cherche pas à documenter leur pratique. Le contre-jour, au contraire, crée un halo de mystère autour de leurs agissements. Surtout, l'artiste réussit à donner une impression de mouvement en photographiant plusieurs canots les uns derrière les autres. La même recette avait déjà été utilisée, il y a plus d'un siècle, par le peintre impressionniste Gustave Caillebotte avec ses Périssoires (conservées à la National Gallery of Art de Washington).

Informations pratiques

Sebastião Salgado, Genesis

Du 25 septembre au 5 janvier

Maison européenne de la photographie
5/7 rue de Fourcy
Paris, 4e
Tél. : 01 44 78 75 00

4,5 / 8 euros
11 heures-20 heures, du mercredi au dimanche

A lire

Vous avez aimé l'expo ? Dans un beau-livre préfacé par l'artiste, Taschen publie l'ensemble des photos de la série, réparties selon leurs zones géographiques, sur plus de 500 pages. La qualité de l'ouvrage est irréprochable, même si on regrette toujours que les grandes photos imprimées sur doubles pages soient coupées dans la pliure du livre. Dans un petit livret indépendant, des notes informatives (identiques à celles figurant sur les cartels de l'expo) permettent d'en savoir plus sur le sujet des clichés. Malheureusement, les auteurs se contentent d'annotations techniques : on aurait aimé des anecdotes plus personnelles du photographe sur son travail.

Sebastião Salgado, Genesis, éd. Taschen, 520 pages, 49,99 euros.

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