Velázquez, génie du Siècle d'or, au Grand Palais
"Les Ménines", sont restées au Prado. L'œuvre la plus connue de Diego Velázquez (1599-1660), sorte de point d'orgue de sa carrière, que Picasso a abondamment réinterprétée, est un monument, explique le commissaire de l'exposition Guillaume Kientz. Et on ne déplace pas un monument, dit-il.
Mais de celui qu'Edouard Manet considérait comme "le peintre des peintres", on peut voir au Grand Palais des tableaux représentatifs de toute sa carrière, des premières "Immaculées conceptions" au portrait de l'infante Marguerite à la somptueuse robe de velours bleu, ou au célèbre "Pape Innocent X", en rouge et dentelles blanches, au regard qui nous transperce et qui a inspiré Francis Bacon.
La cinquantaine d'œuvres exposées n'ont pas été faciles à obtenir : le musée du Prado, qui possède le plus grand nombre de Velázquez (49 toiles), n'en prête pas plus de sept à la fois. Il a fallu négocier avec les institutions qui conservent des tableaux du peintre, proposer des échanges.
Apprentissage à Séville
Les œuvres du maître sont accompagnées d'artistes de son temps, ses aînés et ceux qui l'ont suivi, même s'il n'a pas véritablement fait école. On découvrira en particulier Juan Bautista Martinez del Mazo, élève puis gendre de Velásquez qui est toujours resté dans son ombre.
Diego Rodríguez de Silva y Velázquez est né en 1599 à Séville, une ville alors importante, la plus peuplée d'Espagne, dans une famille de la petite noblesse. Il a douze ans quand son père le confie au peintre Francisco Pacheco, chez qui il effectue six ans d'apprentissage. Son maître, qui deviendra son beau-père, est impressionné par le talent du jeune homme et fera tout pour l'aider dans sa carrière. En 1617, il a à peine 18 ans, Velázquez devient officiellement peintre et peut ouvrir un atelier où il le souhaite en Espagne.
Les années de formation sont évoquées par des œuvres de son professeur et d'autres artistes qui travaillaient à Séville à l'époque. Si les premières toiles de Velázquez sont encore imparfaites, notamment en ce qui concerne l'espace dans lequel ses figures s'insèrent, il montre déjà beaucoup de virtuosité. Il peint à l'époque deux toiles sur le thème de l'Immaculée conception, dont les volumes font écho aux sculptures de Juan Martínez Montañés, avec qui Pacheco collaborait.
Le maître du "bodegón"
A ses débuts à Séville, l'art de Velázquez se caractérise par son naturalisme. Il excelle dans le genre du "bodegón", populaire en Espagne au début du XVIIe siècle, qui met en scène des gens du peuple dans des auberges et tavernes sombres, peignant des personnages à la force et à la présence frappante et se distinguant dans la représentation des objets.
Mais le peintre a d'autres ambitions et, encouragé par Pacheco, il se rend à Madrid. Si la première fois en 1622 il ne réussit pas à voir le roi, il rencontre l'entourage du souverain et fait des portraits, dont celui du poète Luis de Góngora. C'est là qu'il découvre véritablement le caravagisme même s'il avait pu être en contact avec le courant venu d'Italie plus tôt, en voyant des œuvres de Jusepe de Ribera. L'exposition confronte des apôtres peints par les deux artistes, dont le saisissant Saint Thomas de Velázquez, un des rares tableaux du peintre présents dans les collections françaises (à Orléans).
Peintre du roi Philippe IV
En 1923, Velázquez est rappelé à Madrid pour faire un portrait du jeune Philippe IV, âgé de 18 ans. Le portrait plaît et il est nommé peintre du roi. Alors que le portrait officiel dans l'Espagne de l'époque est froid et austère, le nouveau peintre de la cour doit modérer son naturalisme. Les visages de ses sujets garderont toutefois toujours leur vivacité et leur vérité. Du son portrait par Velázquez, en 1650, le pape Innocent X aurait d'ailleurs dit qu'il était "trop vrai" (troppo vero).
L'artiste va faire beaucoup de portraits de la famille royale, d'abord de l'infant Baltasar Carlos, né en 1629, comme ce surprenant tableau de 1631 où les traits de bébé contrastent avec la pose hiératique et l'habit d'apparat que le fils aîné du roi porte déjà, à côté d'un nain qui emporte, avec son hochet, l'insouciance de l'enfance.
Entretemps, en 1630, Velásquez a été autorisé par le roi à faire un voyage en Italie, où, de Venise à Rome, il découvre l'Antique et les grands peintres. Sa palette s'éclaircit et son trait s'adoucit, il abandonne le clair-obscur, travaille le paysage et se met à la peinture d'histoire, représentant des scènes profanes comme "La Forge de Vulcain" (vers 1630) ou sacrées comme l'épisode de l'Ancien testament où les frères de Joseph montrent à Jacob une tunique ensanglantée pour lui faire croire que Joseph est mort ("La Tunique de Joseph", vers 1630)
La "Toilette de Vénus", un nu rare en Espagne
Ses figures mythologiques ou religieuses ressemblent toujours à des portraits et sont criants de vérité, comme la magnifique "Sainte Rufine" (1629-1632) ou son "Démocrite" qui était à l'origine un portrait de buveur.
Velázquez poursuit ses portraits du roi et du futur roi, qu'il voit grandir. La dernière image qu'on a de Baltasar Carlos, d'une grande douceur, est peinte par son élève et gendre Juan Bautista del Mazo. Car l'infant meurt à 17 ans, laissant Philippe IV sans héritier.
Le maître semble se plaire à peindre aussi des personnages moins importants, des bouffons ou des artistes, qu'il peut représenter de façon plus libre.
La National Gallery de Londres a prêté sa très belle "Toilette de Vénus" (1647-1651), un nu rare : le genre était quasiment absent de la peinture dans l'austère Espagne et Velázquez en a peint très peu. Echo aux Vénus italiennes, elle pourrait avoir été inspirée par une sculpture romaine qu'il avait remarquée lors de son deuxième voyage en Italie et qui est exposée à ses côtés ("Hermaphrodite endormi").
De nouvelles attributions
Quand Velázquez rentre à Madrid, Philippe IV s'est remarié avec sa propre nièce, après le décès de la reine Elisabeth. Avec elle, il a de nouveaux enfants, Felipe Prospero, héritier du trône à la santé fragile, et la jolie infante Marguerite au regard triste, que Velázquez et Juan Bautista Martinez del Mazo peignent dans des robes monumentales.
Une section entière est d'ailleurs consacrée à Martínez del Mazo, que Guillaume Kientz voulait mettre en avant à l'occasion de cette rétrospective. Il se distingue de son maître par des couleurs plus claires, des traits plus doux. "Les Petits Cavaliers" du Louvre, que Manet aimait beaucoup, ont été attribués à Martínez del Mazo, alors qu'on les pensait de la main de Velázquez. Le portrait d'une femme inconnue du Louvre aussi.
Le grand musée parisien ne possède finalement aucun Velázquez, puisque les six œuvres tournant autour de lui ont été attribuées à son atelier ou à son gendre. Raison de plus pour se précipiter au Grand Palais. Velázquez au Grand Palais, entrée square Jean Perrin, Paris 8e
Tous les jours sauf mardi
Dimanche et lundi : 10h-20h
Du mercredi au samedi : 10h-22h
Tarifs : 13€ / 9€
Du 25 mars au 13 juillet
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