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Van Gogh à Auvers-sur-Oise : les derniers moments d'un peintre immense, une exposition exceptionnelle au musée d'Orsay

S'il n'y avait qu'une exposition à voir cet automne, ce serait celle-là : le musée d'Orsay a réuni, avec le musée qui lui est dédié à Amsterdam, une grande partie des tableaux peints par Van Gogh pendant les dernières semaines de sa vie, à Auvers-sur-Oise. C'est sublime (jusqu'au 4 février 2024)
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 9min
Vincent Van Gogh (1853-1890), Champ de blé sous des nuages d’orage, mercredi 9 juillet 1890, Amsterdam, Van Gogh Museum (Vincent van Gogh Foundation) (Photo : © Van Gogh Museum, Amsterdam, Vincent van Gogh Foundation)

Le 27 juillet 1890, Vincent Van Gogh se tire une balle dans la poitrine dans un champ à Auvers-sur-Oise, où il est installé depuis le 20 mai. Le peintre néerlandais décède deux jours plus tard. Le musée d'Orsay consacre une exposition inédite à ces deux derniers mois de sa vie, une période intense de création, de questionnement et de renouvellement de son art. Une exposition organisée conjointement avec le musée Van Gogh d'Amsterdam.

Christophe Léribault, le président du musée d'Orsay, n'hésite pas à parler d'une "exposition absolument exceptionnelle". Le musée possède sept à huit tableaux de cette période, grâce au legs du fils du docteur Gachet, le médecin qui s'est occupé de Van Gogh à Auvers-sur-Oise, devenu un ami. La condition était que les tableaux ne soient jamais prêtés, sauf si la famille de Van Gogh créait un musée. "Des tableaux aussi célèbres que L'Eglise d'Auvers ou le Portrait du Docteur Gachet ne voyagent pas ", indique Christophe Léribault.

Vincent Van Gogh (1853-1890), "Ferme", mai-juin 1890, Amsterdam, Van Gogh Museum (Photo : © Van Gogh Museum, Amsterdam (Vincent van Gogh Foundation))

Des peintures jamais vues à Paris

Mais ces tableaux pouvaient aller au musée Van Gogh d'Amsterdam, fondé justement par les héritiers de Théo Van Gogh, le frère de l'artiste. Un projet commun entre le musée néerlandais, qui fête ses 50 ans cette année et possède également sept à huit tableaux d'Auvers-sur-Oise, et le musée d'Orsay a donc permis de monter cette exposition (déjà présentée à Amsterdam du 12 mai au 3 septembre). Grâce à des prêts durement négociés avec des musées du monde entier et des collectionneurs privés qui ont complété la quinzaine de toiles de leurs collections, les deux musées ont réussi à rassembler une quarantaine des 74 tableaux peints par Van Gogh les deux derniers mois de sa vie, dont certains qu'on n'avait jamais vus à Paris. L'exposition est par ailleurs le fruit de quatre ans d'une longue enquête "sur la chronologie des œuvres et leur localisation", raconte Emmanuel Coquery, le commissaire de l'exposition.

Pendant ses deux derniers mois, Van Gogh peint un tableau par jour. Il loge à l'auberge Ravoux, au centre d'Auvers-sur-Oise, où il reprend les toiles commencées sur le motif, dans la nature alentour, au bord de l'Oise ou dans le village, qu'il trouve "gravement beau". La première grande salle de l'exposition est éblouissante. On pourrait rester des heures devant les couleurs vibrantes des Maisons du musée de Boston ou les Fermes d'Helsinki au ciel étrange. Il a mis du bleu sur un fond blanc. "Il expérimente des choses très déroutantes, note le Emmanuel Coquery. Ce ciel peint sur les nuages, c'est le contraire de ce que tout le monde a fait avant lui."

Vincent Van Gogh (1853-1890), Jardin à Auvers-sur-Oise, entre le mercredi 18 et le vendredi 20 juin 1890, (Collection particulière)

"Des tableaux se présentent à ma vision"

Van Gogh s'est beaucoup exprimé sur son art, dans les nombreuses lettres qu'il écrit, surtout à son frère Théo. L'exposition est ponctuée de citations et une petite salle est consacrée à cette abondante correspondance. "Dans cette période, sa parole prend un poids d'autant plus grand que c'est la période au terme de laquelle il va mettre fin à ses jours", souligne le commissaire. Elle est importante pour tenter de "comprendre le sens de cette dernière étape", même si on ne saura jamais exactement pourquoi il a commis son geste ultime. Il s'agit donc surtout de "s'interroger sur sa vision". Une vision que l'artiste lui-même évoque dans une lettre à Théo : "Vaguement des tableaux se présentent à ma vision qu'il prendra du temps pour mettre au clair mais ça viendra peu à peu."  

"Van Gogh est un peintre du motif, il pose son chevalet, il a besoin de la réalité des choses, on sent quelque chose d'embrouillé qui se cristallise peu à peu et qui prend une forme artistique", raconte Emmanuel Coquery, qui veut voir "comment il s'empare d'une réalité visible pour en faire un motif plastique".

Un des grands thèmes de cette période, c'est le champ, vide de présence humaine, comme pour exprimer la solitude. Sous des ciels paisibles, des ballots de foin ressemblent à des danseuses, les herbes s'agitent dans des mouvements amples, parsemées de bleuets. A l'inverse, sous un ciel plus intense des coquelicots en pointillé forment un tapis serré rouge.

Vincent Van Gogh (1853-1890), Le Docteur Paul Gachet, vendredi 6 et samedi 7 juin 1890, Paris, musée d’Orsay, don de Paul et Marguerite Gachet, enfants du modèle, 1949 (© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt)

La quasi-totalité des formats panoramiques

En mai 1890, Van Gogh sort d'un an d'internement dans un asile à Saint-Rémy-de-Provence après des crises de démence. S'il a choisi de s'installer à Auvers-sur-Oise, c'est en raison de la présence rassurante de Paul Gachet, un médecin original, adepte de l'homéopathie, peintre et graveur amateur qui fréquente les artistes de passage, mais surtout spécialiste de la mélancolie. Il devient un ami et reçoit Van Gogh à déjeuner tous les dimanches. Celui-ci fait un portrait de lui génial, peint sa fille au piano, ainsi qu'Adeline, la fille de son aubergiste. "Le portrait est la chose en peinture qui m'émeut le plus profondément et me fait ressentir l'infini plus que toute autre chose", écrit Van Gogh qui y poursuit ses expérimentations, en termes de formats ou de couleurs.

L'exposition se termine en apothéose, avec la quasi-totalité (11 sur 12) des paysages de format panoramique (double carré, de 50 cm sur 1 m) que Van Gogh a réalisés entre le 20 juin et la fin de sa vie. "C'est la première fois que cette réunion est faite, et ça ne sera plus jamais fait, c'est un spectacle unique, exceptionnel", se réjouit Emmanuel Coquery. "C'est une espèce d'exercice sur une contrainte formelle qu'il s'est donnée, et qui montre que Van Gogh était au seuil d'une nouvelle peinture", au-delà du thème ou du motif. Qui montre "que la peinture, la matière et le format sont des éléments de langage en soi, qu'on n'a pas vraiment besoin d'un sujet". 

Les thèmes sont variés, champs sous une fine bande de ciel ou au contraire un grand ciel d'orage, meules en gros plan, fermes. Le célèbre Champ de blé aux corbeaux, particulièrement intense, n'était pas venu à Paris depuis 1953. Selon les mots mêmes de l'artiste, le tableau exprime "de la tristesse, de la solitude extrême". Un Paysage au crépuscule jette une puissante lumière dorée et scintillante. Dans un étonnant Sous-bois avec deux personnages un couple se perd derrière un alignement parfait de peupliers.

Vincent Van Gogh (1853-1890), Racines d’arbres, dimanche 27 juillet 1890, Amsterdam, Van Gogh Museum (Vincent van Gogh Foundation) (Photo : © Van Gogh Museum, Amsterdam (Vincent van Gogh Foundation))

"Racines d'arbres", le dernier tableau

Le dernier tableau peint par Van Gogh, le matin de son suicide, est particulièrement émouvant. Il n'avait jamais été montré à Paris. Il y représente de façon presque abstraite des racines d'arbres bleues entremêlées en plan rapproché. C'est l'expression "d'un homme en quête de racines affectives", commente Emmanuel Coquery, qui veut toutefois "tuer le mythe de l'artiste fou, maudit, pas reconnu".

"Le peintre ne peignait pas en état de crise, il n'y a aucune trace de folie dans sa peinture", même s'il y a "une crainte de la survenue de nouvelles crises qui provoque un état d'instabilité, de fragilité, d'angoisse qui influe évidemment sur sa peinture", explique le commissaire.

Et puis, au moment où il meurt, l'artiste connait une forte reconnaissance de ses pairs, qu'attestent des lettres de condoléances de Toulouse-Lautrec, Bernard, Gauguin, Eugène Carrière. Il a la faveur de certains critiques, a exposé plusieurs fois et commencé à vendre.

Vincent Van Gogh (1853-1890), Champ de blé aux corbeaux, mardi 8 juillet 1890, Amsterdam, Van Gogh Museum (Vincent van Gogh Foundation) (Photo : © Van Gogh Museum, Amsterdam (Vincent van Gogh Foundation))

Intelligence artificielle et réalité virtuelle

L'exposition veut toucher tous les publics. Parce que, dit Emmanuel Coquery, Van Gogh est "un peintre populaire" qui, lui-même, voulait "parler au public le plus large" et rêvait de faire une exposition dans un café. De petites salles documentaires, qui racontent le docteur Gachet, décrivent Auvers-sur-Oise, ou évoquent Van Gogh et le cinéma ponctuent l'exposition. Une borne d'intelligence artificielle permet d'interroger l'artiste sur la base de ses lettres, et une expérience de réalité virtuelle nous emmène dans l'univers du peintre et dans sa palette.

Van Gogh à Auvers-sur-Oise, les derniers mois
Musée d'Orsay
Esplanade Valéry Giscard d'Estaing, 75007 Paris
Tous les jours sauf le lundi, le 1er mai et le 25 décembre, 9h30-18h, nocturne le jeudi jusqu'à 21h45
16 € / 13 €
Du 3 octobre 2023 au 4 février 2024

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