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Les portraits de Cézanne au Musée d'Orsay

Autoportraits, représentation de ses amis, de sa femme Hortense Fiquet, Paul Cézanne a fait plus de 150 portraits, qui permettent d'apprécier son évolution stylistique. Le Musée d'Orsay en a réuni une soixantaine prêtés par des institutions du monde entier. Ces tableaux racontent le parcours du pionnier de la modernité (jusqu'au 24 septembre 2017).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6min
Paul Cézanne, A gauche, "Portrait du fils de l'artiste" (1881-1882), Paris, musée de l'Orangerie - A droite "Ambroise Vollard", Paris, Petit Palais musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
 (A gauche © RMN-Grand Palais (musée de l’Orangerie) / Franck Raux - A droite, photo © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz)

Quand on pense à Paul Cézanne (1839-1906), on pense à des natures mortes, à la Sainte-Victoire. Pourtant, toute sa vie, il a aussi expérimenté de nouvelles façons de peindre en faisant des portraits de ses proches ou en se représentant lui-même. Peu d'expositions se sont penchées sur cet aspect particulier de son oeuvre.

Le portrait le plus ancien de celle que propose cet été le Musée d'Orsay est un autoportrait : vers 1862-64, le peintre nous regarde avec des yeux intenses, voire en colère, injectés de sang. A l'époque, il doit affronter son père qui lui voit un autre avenir. Il apprend la peinture à l'Ecole gratuite de dessin d'Aix et essaie de faire son trou à Paris. Il se prendra pour modèle toute sa vie et réalisera au total 26 autoportraits. 

Paul Cézanne, "L'Homme au bonnet de coton (L'Oncle Dominique)", vers 1866, New York, The Metropolitan Museum of Art, Wolfe Fund, 1951, acquis auprès du Museum of Modern Art, Lillie P. Bliss Collection
 (Image courtesy of The Metropolitan Museum of Art, New York)

Des portraits de proches

A ses débuts, Cézanne s'entraîne au portrait avec sa famille. Et toute sa vie il privilégiera proches et amis, plutôt que des modèles professionnels. Son père, paraît tout petit dans un grand fauteuil, sous une nature morte de son fils, concentré sur la lecture du quotidien contestataire L'Evénement. Une sorte de provocation alors qu'on imaginerait plutôt le banquier devant un journal conservateur le banquier. La sœur de Cézanne, Marie, est représentée à traits larges, dans une pâte épaisse.

Sujet : V. Gaget / J-J. Buty / M. Gualandi / E. Urtado
 
A la même époque, en 1966, Cézanne réalise une série de toiles sur son oncle Dominique dans différents accoutrements. Le Musée d'Orsay en a réuni cinq. Elles sont peintes entièrement au couteau, le visage est construit avec des arêtes de pâte et des modulations de couleur. Son ami Antony Valabrègue, qui lui sert aussi de modèle, parle de "peinture de maçon". Le peintre fait alors contraster les noirs, les gris, les blancs.
Paul Cézanne, "Madame Cézanne cousant", 1877, Stockholm, Nationalmuseum
 (Erik Cornelius / Nationalmuseum Stockholm 1992)

Madame Cézanne en bleu sur un fauteuil rouge

Au milieu des années 1870, changement d'univers : ce sont les débuts du mouvement impressionniste. Et même si Cézanne, grand ami de Pissarro, n'a jamais fait partie du groupe, sa touche se fait plus fine, plus légère, et les couleurs éclatent.

Madame Cézanne, habillée de bleu, pose dans un fauteuil rouge. Nouvelle série car, on va le voir tout le long de l'exposition, il travaille en séries, variant parfois légèrement le point de vue, l'arrière-plan, l'expression. Il joue avec les bandes verticales de la jupe de son modèle et avec les motifs du papier peint, le chatoiement de l'étoffe de sa veste. Sur une autre, Madame Cézanne coud, assise sur un fauteuil rouge omniprésent dans ses portraits de membres de sa famille. Il construit un volume avec les lignes des plis du tissu qui tombe sur ses genoux et juxtapose des nuances subtiles de bleu.  
Paul Cézanne, "Portrait de l'artiste au fond rose" (vers 1875), Paris, musée d'Orsay, don de M. Philippe Meyer, 2000
 (Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt)

D'interminables séances de pose 

Cézanne a rencontré Hortense Fiquet, jeune modèle, en 1869. En 1872, ils ont un fils, Paul, qu'il reconnaît. Mais elle ne deviendra officiellement Madame Cézanne que quatorze ans plus tard, en 1886. Elle est son modèle préféré : en plus de vingt ans il fait son portrait 29 fois. Une autre série de portraits, à la fin des années 1880, la montre le regard perdu, l'air un peu triste. Est-ce Cézanne qui lui prête ces sentiments ? Ou bien est-ce l'ennui : le peintre imposait de longues séances de pose et aurait dit au marchand d'art Ambroise Vollard, qui bougeait devant son pinceau : "Il faut vous tenir comme une pomme. Est-ce que cela remue, une pomme ?" Et puis le peintre ne semble pas s'intéresser à la psychologie de ses sujets, c'est la peinture qui l'intéresse.
Paul Cézanne, "Gustave Geffroy", Paris, musée d'Orsay, don de la petite-fille d'Auguste Pellerin, 1969
 (RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski)

Un étude de formes qui annonce le cubisme

Dans les années 1890, nouveau changement, la modernité de Cézanne s'affirme. Les couleurs sont plus denses. Les tableaux deviennent plus géométriques et ses portraits sont une étude de formes qui annonce le cubisme. Le critique d'art Gustave Geffroy est peint dans sa bibliothèque : Cézanne joue avec les lignes des livres, de la cheminée, le plan du bureau penche vers l'avant, couvert de livres ouverts. Le tableau est plus fascinant pour la composition que pour la psychologie du personnage, que Cézanne avait fini par prendre en grippe et dont il n'a pas fini les mains et le visage.
 
Les dix dernières années de sa vie, Cézanne peint les gens du peuple qui l'entourent, en Provence. La "Femme à la cafetière" (vers 1895), sans doute une des employées du Jas de Bouffan (la maison familiale des Cézanne près d'Aix-en-Provence), est comme suspendue au bord de sa chaise. Sa robe bleue et les objets posés sur la table sont des assemblages de formes simplifiées qui donnent de la force à la composition.
Paul Cézanne, "Paysan assis", Paris, musée d’Orsay, accepté par l’État à titre de dation en paiement de droits de mutation, 2009
 (Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt)

Cézanne et le jardinier

Au tournant du siècle, après la vente du Jas de Bouffan, Cézanne peint les paysans qui travaillent autour de son nouvel atelier des Lauves, à Aix.
 
On quitte Cézanne sur un autoportrait de 1898-1900 et deux portraits de Vallier, un jardinier qui lui rendait divers services et a posé pour lui à la fin de la vie. Le vieil artiste porte un béret et une veste noire, habit de peintre ou d'homme du peuple. Dans un tableau de la National Gallery of Art de Washington, le vieux jardinier disparaît presque dans le noir de son vêtement et sous sa barbe. Est-ce une projection, un autoportrait déguisé de l'artiste s'identifiant à cet homme modeste qui travaille de ses mains ?

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