Les figures et paysages de Soutine et De Kooning dialoguent au musée de l'Orangerie à Paris
Le musée de l'Orangerie confronte le peintre russe émigré en France Chaïm Soutine et l'artiste américain Willem De Kooning dans un dialogue inédit.
Willem de Kooning est plus connu pour son oeuvre abstraite. Mais toute sa vie il a aussi produit des tableaux à la frontière de l'abstraction et de la figuration. Le musée de l'Orangerie les confronte à des oeuvres de Chaïm Soutine, un artiste dont la force expressive et la lumière ont durablement marqué le peintre américain. Constituée d'une sélection resserrée d'une cinquantaine d'œuvres, l'exposition est petite mais éblouissante.
Elle est organisée avec la fondation Barnes de Philadelphie qui, comme l'Orangerie, a une importante collection d'œuvres de Soutine. Car très tôt, dès 1922, le Dr. Albert Barnes a acheté des dizaines d'œuvres de Soutine, contribuant à le faire connaître outre-Atlantique
De Kooning, "fou de Soutine"
"Vous avez la chance de voir ici réunis les plus beaux Soutine, des Soutine rares comme Le bœuf écorché ou La Femme entrant dans l'eau. Et puis ça fait plusieurs décennies qu'on n'a pas réuni autant d'œuvres de De Kooning à Paris", souligne Cécile Debray, la directrice du musée de l'Orangerie.
Si la peinture expressive aux couleurs puissantes et à la pâte épaisse de Chaïm Soutine (1893-1943) a marqué toute une génération d'artistes américains d'après-guerre, elle a particulièrement impressionné Willem De Kooning (1904-1997), figure de l'expressionnisme abstrait. Dans une interview de 1970, celui-ci, à qui on demandait quel artiste avait le plus compté pour lui, répondait : "J'ai toujours été fou de Soutine – de toutes ses peintures", évoquant la luxuriance de ses œuvres.
"Nous nous sommes attachés à analyser et à démontrer par les tableaux cette fameuse phrase de De Kooning. Ça a été l'occasion de revenir sur un moment très peu connu et étudié, celui de la réception de Soutine aux Etats-Unis, et plus particulièrement par De Kooning", explique Cécile Debray.
La figure féminine au centre de la peinture de De Kooning
Dès les années 1930, des toiles de Soutine, peintre d'origine russe émigré à Paris en 1913, sont exposées à New York, comme les figures puissantes présentes dans la première salle de l'exposition. De Kooning les a certainement vues dans les galeries qu'il fréquente assidument quand il arrive en 1926 des Pays-Bas.
Elles sont accrochées en face de figures féminines de De Kooning un peu grotesques peintes au début des années 1940. "Il s'agit de montrer à quel point, dès cette époque, la figure humaine et féminine en particulier est au centre de la peinture de De Kooning", souligne Claire Bernardi, la commissaire de l'exposition. Et cela alors qu'il peint en même temps des œuvres complètement abstraites.
Il n'y a qu'une dizaine d'années qui séparent les naissances de Soutine et de De Kooning. Pourtant ils ne se sont jamais rencontrés. Il ne s'agit pas de parler "d'influence", souligne Claire Bernardi, la commissaire de l'exposition, mais de "dialogue" sur une longue période.
Soutine au MoMA en 1950
Un moment essentiel de la réception de l'œuvre de Soutine aux Etats-Unis est la rétrospective de plus de 70 œuvres organisée au Museum of Modern Art de New York en 1950 que De Kooning a certainement vue. Une exposition évoquée ici, avec les extraordinaires paysages torturés de Céret et de nouvelles figures allongées aux grandes mains expressives dont un Homme au manteau vert particulièrement frappant, avec une tête et une main sur laquelle elle s'appuie, complètement démesurées.
Dans le catalogue de l'exposition du MoMA, son commissaire Monroe Wheeler se demandait : "Soutine était-il à l'époque ce qu'on pourrait appeler un expressionniste abstrait ?". "Une des questions qui se posent à ce moment-là, c'est la façon dont les critiques de l'époque et les artistes ont pu regarder l'œuvre de Soutine en la confrontant à la peinture qu'ils essayaient de développer", remarque Claire Bernardi.
Deuxième moment important, en 1952, De Kooning bénéficie d'une visite privée de la fondation Barnes, qui n'est pas ouverte au public à l'époque. Il dira bien plus tard à quel point cette visite l'a marquée. "Il parle de la lumière qui se dégage des œuvres de Soutine, en la comparant à celle de Matisse", raconte Claire Bernardi. C'est l'époque où il peint ses Woman, des figures entre abstraction et figuration, où la femme au visage déformé et le fond se mêlent. A l'époque, il commence à se faire connaître comme artiste abstrait "et ça fait quelques remous dans le monde de l'art américain" quand il les montre, raconte la commissaire. Mais "cette figure de femme lui colle à la peau et reste dans la suite de sa peinture, jusque dans des œuvres des années 1970", ajoute-t-elle.
Femmes dans l'eau
Dans les années 1960 De Kooning produit des Femme-Paysage (Woman as Landscape) où la figure féminine se dilue dans l'eau, comme un reflet. Ces œuvres évoquent son nouvel environnement, celui d'East Hampton, au bout de Long Island, près de New York, où il vient de déménager et où l'eau est omniprésente. Elles sont accrochées en regard de la sublime Femme entrant dans l'eau (1931) de Soutine, inspirée de Rembrandt.
Les toiles de Soutine, nombreuses au début de l'exposition, sont plus rares à mesure qu'on avance, mais d'une puissance rare, comme cette dernière. Et comme La Colline à Céret (1921), dont le motif exprimé à coups de pinceaux énergiques et quasi hallucinés est à peine identifiable. Autour d'elle, pour finir, est réuni un feu d'artifice de grandes toiles presque abstraites du peintre américain dont les traits et surfaces lumineuses de couleurs évoquent l'eau, son sujet de prédilection dans les années 1970.
"Chaïm Soutine / Willem de Kooning, la peinture incarnée"
Musée de l'Orangerie,
Jardin des Tuileries (côté Seine), place la Concorde, 75001 Paris
Tous les jours sauf le mardi et le 25 décembre, 9h-18h
Tarifs : 12,50€ /10€
Du 15 septembre 2021 au 10 janvier 2022
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