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Le portrait, arme culturelle et politique des Médicis, au musée Jacquemart-André

Comment peignait-on des portraits au XVIe siècle à Florence et qu'est-ce que ces peintures disent de la société de l'époque, c'est ce que raconte une exposition au Musée Jacquemart-André, avec 40 tableaux des plus grands peintres de la période dite "maniériste", empruntés à des grands musées ou à des collections particulières. Jusqu'au 25 janvier 2016.
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Agnolo Bronzino, Portrait d'Eléonore de Tolède, 1522 (détail), Prague, Narodni Galerie
 (National Gallery of Prague 2014)

Le XVIe siècle est un moment où l'art du portrait se répand parmi les élites florentines qui s'en servent pour s'affirmer socialement et pour passer à la postérité. Et les dirigeants s'en servent comme instrument de communication.
 
"J'ai choisi de donner comme fil rouge de l'exposition l'histoire de Florence, c'est-à-dire les changements politiques majeurs et ce qui a changé la ville pendant le siècle. Car c'est l'histoire et pas seulement le style qui change", explique Carlo Falciani, le commissaire de l'exposition, professeur d'histoire de l'art à l'Accademia di Belle Arti de Florence et spécialiste de ces peintres raffinés de la Renaissance tardive, qu'on a appelés "maniéristes" et qui innovent en allongeant et en tordant les corps, en faisant crier les couleurs.
 
Carlo Faciani récuse le terme de maniérisme, qu'il juge péjoratif, lui préférant celui de "manière moderne", employé par l'artiste et critique d'art du XVIe siècle, Giorgio Vasari.

Ridolfo del Ghirlandaio, "Dame au voile (la Monaca)", 1510, Florence, Galerie des Offices
 (SSPSAE et per il Polo Museale della Città di Firenze)


Après le portrait austère de la République

Le parcours de l'exposition commence au moment où les Médicis, famille de riches marchands chassés de la ville en 1494 par la République de Savonarole, tentent de revenir. Le portrait est alors austère, le plus souvent sur fond uni ou sur fond de paysage. L'exposition s'ouvre sur un portrait sombre aux traits sévères de Savonarole de profil, peint par Fra Bartolomeo à la fin du XVe, deux ans après que le prédicateur dominicain a été brûlé. "Ce portrait donne le style des vingt premières années" du siècle, "l'austérité du style de vie dans la ville", résume Carlo Falciani.
 
En même temps, c'est une époque où l'art du portrait peut célébrer des choses intimes, comme le montre la "Dame au voile" ("La monaca"), attribuée à Ghirlandaio, avec son masque qui, superposé au tableau, venait cacher ses traits. Un très beau "Portrait de femme en jaune" inachevé d'Andrea del Sarto, qui nous regarde avec gravité, appuie cette idée d'irruption de l'intime.
Andrea del Sarto, "Portrait d'une femme en jaune", vers 1529-1530, Londres, Windsor Royal Collection
 (Royal Collection Trust © Her Majesty Queen Elizabeth II 2015)


Les Médicis en armes

Quand Alexandre de Médicis reprend Florence pour de bon en 1530, au terme d'une année de siège, les hommes de la famille se font représenter en armes. Sous le pinceau de Giorgio Vassari, Alexandre triomphe en armure devant la ville, assis sur un drap rouge qui symbolise le sang versé par les Florentins, dans un tableau plein de symboles. Alexandre sera assassiné en 1937, laissant la place à Cosme Ier, immortalisé par Bronzino. Il y a aussi le beau-père de Cosme, Jean des bandes noires, peint par Francesco Salviati.
 
Le portrait se démilitarise avec la consolidation du régime des Médicis. Bronzino, artiste phare de la cour, peint de grands portraits élégants des membres de la famille qui sont largement copiés et diffusés, comme cette image d'Eléonore de Tolède, l'épouse de Cosme, dans une somptueuse robe de satin rouge garnie d'or. Le portrait de celui-ci à l'âge de 40 ans, larges épaules et riche costume, est conçu comme un portrait d'Etat, qu'il envoie partout pour montrer le style de la ville.
Agnolo Bronzino et atelier, Portrait de Côme Ier de Médicis à l'âge de 40 ans, 1560, The Alana Collection, Newark, USA
 (The Alana Collection, Newark, USA)


Peintres et courtisans

"Le projet de Cosme est d'utiliser les arts, la poésie, la langue florentine comme un instrument politique", souligne Carlo Falciani. Et les peintres du régime, Bronzino, Salviati, Pontormo, ne sont plus des artisans, ce sont des intellectuels de la cour qui ont un rôle important, reconnu. Pas seulement peintre, Bronzino est un poète qui connaît tout Pétrarque et tout Dante et publie des livres, précise le commissaire.
 
Les courtisans, personnages qui ont également leur rôle dans le système de pouvoir, affichent leur statut social à travers des portraits savamment étudiés.
Francesco Salviati, "Portrait d'un joueur de luth", 1529, Paris, Musée Jacquemart-André - Institut de France
 (Paris, Musée Jacquemart-André - Institut de France / Studio Sébert Photographes)


Le portrait, miroir des arts

Sous les Médicis, le portrait devient aussi un miroir des arts, comme ce portrait d'un joueur de luth de Francesco Salviati. Réservé à un public érudit, l'instrument est lié aux expériences de musique polyphonique.
 
Un dialogue s'instaure dans les portraits entre peinture et poésie de Dante, Pétrarque et Boccace, fondatrice de l'identité et de la culture florentines : on y brandit des textes, comme la "Jeune femme au livre" d'Andrea del Sarto qui cache des vers de Pétrarque chantant l'amour, ou le portrait de la poétesse Laura Battiferri par Bronzino, qui évoque Dante dans son profil et toujours Pétrarque dont elle tient le "Canzoniere" entre ses mains.
Agnolo Bronzino, Portrait d'Eléonore de Tolède, 1522, Prague, Narodni Galerie
 (National Gallery of Prague 2014)

Florence, Portraits à la cour des Médicis, Musée Jacquemart-André, 158 boulevard Haussmann, 75008 Paris
tous les jours de 10h à 18h, nocturne le lundi jusqu'à 20h30
du 11 septembre 2015 au 25 janvier 2016

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