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Le Musée national d'art ancien de Lisbonne exporte ses merveilles de la Renaissance portugaise, à découvrir au Louvre

Une très belle petite exposition au Louvre nous fait découvrir la peinture portugaise du début du 16e siècle, une époque où Lisbonne était au carrefour des routes commerciales et artistiques, entre Flandre et Nouveau Monde (jusqu'au 10 octobre 2022)

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5 min
Cristóvão de Figueiredo, Le Mariage de sainte Ursula de Cologne, Lisbonne, MNAA (© DGPC / ADF, Luísa Oliveira / José Paulo Ruas)

C'est une véritable merveille. Pas besoin de centaines de tableaux venus des quatre coins du monde pour en prendre plein la vue. L'exposition est petite, treize peintures prêtées par le Museu Nacional de Arte Antiga  (Musée national d'art ancien) de Lisbonne, présentées dans une petite salle du département des peintures du musée du Louvre, dans le cadre de la saison France-Portugal. On y découvre l'art de la Renaissance portugaise, tout à fait méconnu dans l'Hexagone, un art raffiné, sorte d'assimilation de l'art flamand dans le contexte particulier de la cour du Portugal au tournant du 16e siècle, marqué par le découverte du Nouveau monde.

"De la peinture portugaise, on en voit très peu en France, pour ne dire jamais", souligne Charlotte Chastel-Rousseau, conservatrice au département des peintures du musée du Louvre et co-commissaire de l'exposition qui salue "une peinture très soignée, avec une technique raffinée et parfaitement maîtrisée de l'huile, avec des effets de glacis et de transparence et des coloris magnifiques".

Il y a plusieurs raisons à cet oubli : le grand tremblement de terre de 1755 a fait disparaître des œuvres et de nombreuses archives qui ont rendu difficile l'étude de l'histoire de l'art portugais, explique la commissaire. Et puis avec la sécularisation des couvents au XIXe siècle, les œuvres religieuses sont allées directement à l'Académie des beaux-arts, puis dans les musées portugais. Très peu ont circulé à l'étranger ou sont passées par le marché de l'art.

Frei Carlos, Le Bon Pasteur, Lisbonne, MNAA  (© DGPC / ADF, José Paulo Ruas)

Des artistes de cour

"On a eu envie de faire découvrir cette peinture de haut niveau et on a choisi un moment d'excellence, un moment fondateur pour l'histoire de la peinture européenne, la première moitié du 16e siècle, où les artistes portugais évoluent, se forment au contact des artistes flamands", souligne-t-elle. A ce moment, "Lisbonne est vraiment un carrefour du monde, à la croisée des axes commerciaux qui montent vers la Flandre et aussi bien sûr vers le Brésil, la côte ouest de l'Afrique et de l'Asie".

Les peintres portugais de la Renaissance sont pour la plupart des artistes de cour. Ils vivent à la cour, où ils ont des relations professionnelles et même familiales entre eux. Ils y ont un rôle et des charges importantes. "Le roi Manuel Ier (1495-1521) trouve dans le mécénat et la création artistique un moyen pour son affirmation politique, à l'intérieur du Portugal et aussi pour montrer le nouveau rôle de son pays dans le contexte des nations", explique Joaquim Oliveira Caeteno, directeur du Museu Nacional de Arte Antiga de Lisbonne et co-commissaire de l'exposition. Une lettre du roi réclamant des lits pour les peintres montre l'attention qu'il accordait aux artistes.

Certains de ces peintres sont flamands, comme Francisco Henriques, un des plus importants, dont on peut admirer une Dernière Cène, somptueuse de coloris et de détails. Ou bien Frei Carlos dont on remarquera le Bon Pasteur à la spiritualité contenue et intense, représenté devant une magnifique tenture brodée derrière laquelle on devine un paysage. Des Flamands, les Portugais ont appris leur technique de la peinture à l'huile.

Gregório Lopes, La Vierge et l’Enfant Jésus entourés d’anges et de musiciens, Lisbonne, MNAA  (© DGPC / ADF, Luísa Oliveira / José Paulo Ruas)

Une peinture qui mélange actualité et thèmes sacrés

La peinture de la Renaissance portugaise mêle souvent personnages profanes et figures religieuses, comme dans La Visitation de Gregorio Lopes, où le luxe des costumes et des bijoux ou l'architecture évoquent les fastes de la cour.

Les sublimes panneaux peints recto-verso par Cristovão de Figueiredo pour les portes d'un cabinet de reliques décrivent des nobles portugais richement vêtus et des figures bibliques, introduisant dans le décor des caravelles de l'époque et des édifices manuélins. Dans un coin du panneau décrivant le mariage de sainte Ursule avec le prince Conan, on remarque un groupe de musiciens noirs, "le premier jazz band de la peinture occidentale", s'amuse Joaquim Oliveira Caeteno. Le roi Manuel 1er avait auprès de lui des artistes africains, explique-t-il. "C'est une peinture qui mélange sans problème l'actualité et les thèmes sacrés."

Le tableau le plus extraordinaire est L'Enfer, une peinture anonyme qui proviendrait d'un couvent de moines. Son thème est unique dans l'art portugais, et les figures nues, hommes comme femmes, sont inédites aussi. Il représente les péchés qu'il faudrait payer après la mort. Nombreux sont les personnages tonsurés, comme deux de ceux qui cuisent dans le chaudron central. Le tableau pourrait être une critique du monde monacal. Un damné coupable d'avarice est condamné à ingérer des pièces, trois jeunes femmes sont suspendues par les pieds. La scène fourmille de monstres hybrides, mi-animal mi-humain, mi-homme mi-femme. Lucifer est habillé de plumes, comme un indigène du Brésil. Son sac et sa corne sont des objets africains.

Peintre anonyme, L’Enfer, Lisbonne, MNAA  (© DGPC/ADF, Luísa Oliveira / José Paulo Ruas)

"L'Enfer", une scène jamais exposée avant 1940

"La présence du monde extra-européen est vu comme quelque chose de diabolique", souligne Joaquim Oliveria Caetano. C'est nouveau car dans les premières représentations, les indigènes "étaient décrits comme très beaux, aimables et pacifiques". Ce changement fait suite aux récits de voyage d'Amerigo Vespucci, publiés pour la première fois en 1504.

Le tableau est tellement choquant pour les hommes du XIXe siècle qu'il ne sera exposé qu'en 1940, alors qu'il a été une des premières œuvres à entrer à l'Académie des beaux-arts en 1835.

La Vierge à l'Enfant qui clôt le parcours, a été peinte par le même Gregorio Lopes à la fin de sa vie. "Vous percevez l'évolution et l'arrivée de la pensée maniériste, avec ces drapés froissés et ces couleurs plus acides", décrit Charlotte Chastel-Rousseau. Mais on est toujours "dans la même atmosphère de cour". La Vierge et l'Enfant sont installés dans un jardin, distraits par des chanteurs. De petits anges jouent avec un chien, offrent un oiseau à l'enfant Jésus ou font de la musique. "C'est à la fois une Vierge à l'Enfant et un portrait de la vie de la noblesse tel qu'on peut en lire dans les descriptions littéraires", remarque Joaquim Oliveira Caeteno.

"Il y a de nombreux artistes portugais importants au 17e, au 18e et au 19e mais nous avons choisi cette période de la Renaissance parce que c'est un moment particulièrement brillant, un moment de transfert artistique, d'échange et de globalisation d'une grande actualité", raconte Charlotte Chastel-Rousseau.

L'Âge d'or de la renaissance portugaise
Musée du Louvre, salle d'actualité du département des peintures, aile Richelieu, 2e étage, salle 831
Tous les jours sauf le mardi, 9h-18h
Tarifs : 17 € en ligne / 15 € sur place, gratuit pour les moins de 18 ans et les moins de 26 ans citoyens de l'Union européenne
Du 29 avril au 10 octobre 2022

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