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Le musée d'Orsay rouvre avec James Tissot, peintre dandy inclassable et moderne

Le musée d'Orsay ouvre de nouveau ses portes avec l'exposition James Tissot, qui revient sur l'oeuvre d'un peintre cosmopolite et inclassable, amoureux des étoffes, et auteur d'une oeuvre quasi documentaire sur la vie du Christ

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
James Tissot : à gauche, "Portrait de Mlle L. L." 1864, Paris, musée d’Orsay, à droite, "Le Cercle de la rue Royale", 1868,  (A gauche © RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski - A droite © Musée d'Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt)

Le musée d'Orsay rouvre ses portes mardi 23 juin avec une belle rétrospective de James Tissot (1836-1902), la première depuis 1985 consacrée à ce peintre français du XIXe siècle à l'oeuvre atypique. Avec trois mois de retard, on va pouvoir découvrir tout le parcours d'un artiste inclassable, parti pour Londres puis revenu à Paris, un peu oublié car il n'a pas pris le chemin de l'impressionnisme, et pourtant moderne à d'autres égards (jusqu'au 13 septembre 2020).

Vous connaissiez sans doute ses scènes de la haute société française et anglaise, le musée d'Orsay vous présente aussi un artiste plus intimiste et un peintre religieux étonnant, à travers une centaine d'oeuvres dont soixante tableaux. "Depuis 1985 on connait mieux l'oeuvre de James Tissot, des tableaux sont réapparus, il y a eu des recherches", raconte Paul Perrin, conservateur au musée d'Orsay et co-commissaire de l'exposition. "Et lors de la préparation de l'exposition on a fait beaucoup de découvertes", comme son livre de raison, où il notait toutes ses ventes avec le montant et le nom de l'acquéreur. "Il était temps de proposer une nouvelle présentation de son œuvre", estime-t-il.

James Tissot, "Japonaise au bain", 1864, France, Dijon, Musée des Beaux-Arts de Dijon  (© Musée des Beaux-Arts de Dijon/François Jay)

Un cosmopolite et un esprit changeant

L'exposition a pour titre L'Ambigu moderne. Ambigu car "il est inclassable, il est impressionniste et pas impressonniste", explique Cyrille Sciama, directeur général du musée des impressionnismes de Giverny, également commissaire de l'exposition. "Il est très proche de Degas", dont un portrait de Tissot ouvre l'exposition, "mais il refuse d'exposer avec les impressionnistes".

Et Tissot est moderne, mais pas comme les impressionnistes : "La modernité de Tissot n'est pas une modernité de la matière, de la touche, du plein air. Ce n'est pas la modernité de la grande histoire traditionnelle de l'art moderne en France qui va vers l'abstraction", remarque Paul Perrin. "Il est moderne parce qu'il a compris que ses images pouvaient être reproduites. Le style même qu'il adopte, très lisible, très dessiné, efficace, va lui permettre de faire reproduire ses tableaux par la photographie, de les diffuser par la gravure, par le livre."

James Tissot est "un cosmopolite, un dandy, un esprit changeant et un homme qui s'est refusé aux 'ismes. Est-il naturaliste, académique, impressionniste ? La réponse est dans la nuance et c'est ce que le parcours de l'exposition essaie de vous montrer. Tissot se refuse aux catégorisations et c'est pour ça qu'il est intéressant", résume Marine Kisiel, conservatrice au musée d'Orsay et commissaire de l'exposition.

James Tissot, "La galerie du HMS Calcutta (Portsmouth)", vers 1876, Royaume-Uni, Londres, Tate Collection (© Tate, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / Tate Photography)

Le goût des étoffes

Jacques Joseph Tissot est né à Nantes en 1836, son père a un magasin de tissus et sa mère est modistes, d'où sans doute sa fascination pour les étoffes, les tapis, les costumes qu'il représentera toujours avec une jubilation certaine. James, le prénom sous lequel il se fera connaître, n'est pas lié à son histoire avec l'Angleterre : on a découvert qu'à l'âge de onze ans déjà, c'est sous ce nom qu'il avait été inscrit dans un collège.

Arrivé à Paris à vingt ans, il étudie dans l'atelier de Flandrin et de Lamothe, des disciples d'Ingres qui lui donnent le goût du dessin, il s'intéresse aux Allemands de la fin du Moyen Âge, Cranach, Dürer et Holbein, aux Italiens du Quattrocento, Carpaccio et Bellini, aux préraphaélites anglais. Il voyage en Belgique, en Allemagne, en Suisse et en Italie. Très vite, il expose au Salon, se fait remarquer pour ses œuvres au dessin précis et aux couleurs contrastées. Il entame une belle carrière et devient le peintre d'une élite, celle du Second Empire, avec ses portraits d'hommes, de femmes ou de familles de la bourgeoisie de son temps aux belles toilettes, dont il rend l'univers dans de grandes toiles pleines de détails et d'objets.

James Tissot, "On the Thames", 1876, Angleterre, Wakefield, The Wakefield Permanent Art Collection  (Photo © Jerry Hardman-Jones)

La société victorienne et la Tamise

Tissot veut réussir et sait se vendre -autre trait de sa modernité. Il diffuse ses œuvres à Paris et aussi à Londres ou aux Etats-Unis, notamment grâce à la photographie. Il se fait construire un hôtel particulier aux Champs-Elysées où il représente des jeunes femmes venues voir sa collection d'art japonais. Car il en un des premiers admirateurs de cet art qui sera bientôt à la mode.

La guerre de 1870 vient bouleverser la vie de Tissot. Patriote, il s'engage dans la Garde nationale pour défendre la capitale lors du siège de Paris. Il y reste pendant la Commune et même s'il est peu probable qu'il ait été communard, le peintre fuit à Londres en septembre 1871, de peur d'être compromis. Bien introduit, il y poursuit une carrière remarquée et prospère.

Dans ses tableaux l'élite victorienne prend la place de l'élite parisienne, il peint des scènes souvent pleines d'ironie : arrivés trop tôt à un bal mondain on est un peu ridicules, des dames en belles robes s'ennuient sur le pont d'un bateau... Tissot se passionne aussi pour l'ambiance de la Tamise et le monde des docks où il remarque la fracture sociale. Il fait scandale avec On the Thames où deux filles sont sur un bateau en compagnie d'un officier, au milieu des fumées des navires.

James Tissot, "Octobre", 1877
, Canada, Musée des beaux-arts de Montréal, don de Lord Strathcona et de la famille  (Photo © MBAM, Christine Guest)

Kathleen Newton, l'amour de sa vie

Et puis en 1876 le peintre rencontre l'amour de sa vie, Kathleen Newton, une rousse irlandaise qu'il ne peut pas épouser car elle est divorcée et mère de deux enfants illégitimes. Sa peinture se fait plus intime, plus impressionniste, les étoffes, les belles robes sont toujours là, dans une touche plus allusive. Il représente des scènes de jeux d'enfants, Kathleen allongée. Car elle est malade et la tuberculose l'emporte le 9 novembre 1882. Cinq jours plus tard, c'est la fin de la période londonienne : Tissot est de retour à Paris.

Il tente de retrouver sa place sur la scène artistique française avec un grand cycle de quinze peintures sur La Femme à Paris (1883-1885) , des Demoiselles de province à la Demoiselle de magasin. Ce projet ambitieux qu'il veut transposer en livre, en en tirant lui-même des gravures, est mal reçu par la critique.

James Tissot, "Le Tremblement de terre", vers 1886-1894, gouache et graphite sur papier vergé gris, Etats-Unis, New York, Brooklyn Museum  (Photo © Brooklyn Museum)

La vie du Christ

A la même époque, une expérience de spiritisme où il croit retrouver Kathleen lui inspire une scène d'Apparition mediumnique qu'il décline en peinture et en gravure. Et il se consacre finalement à des œuvres religieuses sur La Vie de Jésus et l'Ancien testament pour lesquels il se rend en Terre Sainte à trois reprises dans une démarche documentaire. Il en tire des images aux cadrages et aux points de vue étonnants, audacieux, où on contemple le spectacle que le Christ pouvait avoir du haut de sa croix, ou au contraire, au ras du sol, avec les pieds seulement des crucifiés dans le cadre. L'ouvrage qu'il en tire est un succès. Pour son projet d'illustration de la Bible, qui sera publié après sa mort, il imagine des mises en scène qu'il photographie (ou fait photographier).

"Ce qui est apparu parfois comme une sorte de pas en arrière réactionnaire, rétrograde s'insère dans un contexte particulièrement moderne des débats de la société française à la fin du XIXe sur la question religieuse, et la volonté qu'a Tissot de donner vie à une vision archéologiquement, ethnographiquement juste des temps de la Bible, c'est un projet extrêmement novateur et moderne dans le paysage artistique européen à ce moment-là", commente Paul Perrin.

Nombre de visiteurs limité (il faut réserver en ligne des billets horodatés), peu de touristes, vous allez pouvoir découvrir toute l'oeuvre de James Tissot dans des conditions idéales cet été. Le musée d'Orsay prévoit d'accueillir 4 000 à 5 000 visiteurs par jour contre 12 000 à 13 000 l'été dernier.

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