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La peinture de paysage, expression de la spiritualité au Musée d'Orsay

Nombre d'expositions célèbrent les jardins et la nature cette année. Au Musée d'Orsay, c'est à une promenade dans la peinture de paysage qu'on est invité, avec une exposition qui en propose une nouvelle lecture et qui se demande comment les peintres, au début du XXe siècle, l'ont utilisée pour exprimer une quête mystique, comment elle leur a servi à dire la spiritualité (jusqu'au 25 juin 2017).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
A gauche, Claude Monet, "La cathédrale de Rouen. Le portail vu de face (harmonie brune)", 1892, Paris, musée d’Orsay - A droite, Vincent van Gogh, "La Nuit étoilée", 1888, Paris, musée d’Orsay
	 
 (A droite © Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt - A gauche © RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski)

L'exposition "Au-delà des étoiles, le paysage mystique" du Musée d'Orsay propose une bonne centaine de peintures de paysages d'artistes du tournant du XXe siècle. Il y a d'abord ceux qu'on connait bien, de Monet à Mondrian, de Van Gogh à Odilon Redon, des oeuvres vues sous un angle spirituel plus ou moins explicite : simple aspiration à l'infini et à l'absolu, recherche intérieure, théosophie, symbolisme ou foi catholique plus classique. Mais elle nous fait surtout découvrir des peintres du nord, nord de l'Amérique et nord de l'Europe, fascinés par la nature grandiose qui les entoure.
 
On est en terrain familier, donc, au début de l'exposition avec plusieurs toiles des séries des "Meules" et des "Cathédrales" de Claude Monet, peintes sous toutes les lumières, à différents moments de l'année ou de la journée. S'il n'y a aucune revendication mystique chez l'artiste de Giverny, on peut voir dans ces séries une métaphore de la vie qui passe. Sous la neige, léchées par un doux rayon de soleil hivernal, les meules semblent s'effacer. Et dans ses "Peupliers", Clémenceau a vu un "poème panthéiste".

Emile Bernard, "Madeleine au Bois d’Amour", 1888, musée d’Orsay
 (Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Tony Querrec)


Les aspirations à l'infini de Van Gogh

Chez Piet Mondrian, au contraire, la démarche spirituelle est assumée. Adepte de la théosophie, il propose une représentation de la nature de plus en plus épurée, il abandonne les traces du visible au profit d'un ordre supérieur. Avant l'abstraction totale à laquelle il arrivera dans quelques années, son "Pommier, version pointilliste" (1908-1909) du musée de Dallas commence à s'émanciper du réel : l'objet disparaît un peu plus que chez Monet, l'arbre ressemble à un œil, entouré de rayons turquoise sur fond or.
 
Odilon Redon aussi affirme une dimension spirituelle quand il représente le Bouddha au pied d'un arbre, illuminé par le soleil.
 
Dans les paysages de Van Gogh, on peut voir l'expression d'un état intérieur : avec ses "Oliviers" (1889), tableau peint à l'asile à Saint-Rémy, il écrit dans une lettre qu'il cherche à réaliser une peinture "plus consolante" (lettres). Du "Semeur" (1888) noyé dans le soleil prêté par le Musée Van Gogh d'Amsterdam, il dit lui-même la valeur symbolique quand il évoque les "aspirations vers cet infini" que le tableau représente pour lui.
Odilon Redon, "Le Bouddha", 1906-1907, Paris, musée d’Orsay
 (RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski)


Les Scandinaves et les Canadiens peintres du grand Nord

Pour les nabis et d'autres post-impressionnistes, la forêt est le lieu d'une quête mystique, dans l'esprit de la "forêt de symboles" des "Correspondances" de Charles Baudelaire où "La Nature est un temple". Sous les arbres, Maurice Denis, qui était un fervent catholique, imagine une procession, Emile Bernard peint sa sœur Madeleine allongée devant un bois, en pleine rêverie ("Madeleine au Bois d'amour", 1888).
 
L'exposition est organisée en collaboration avec l'Art Gallery of Ontario de Toronto. Et c'est du côté du Nord que vient la surprise : des peintres scandinaves, August Strindberg (Suède, 1849-1912), Jens Ferdinand Willumsem (Danemark, 1863-1958), Gustaf Fjaestad (Suède, 1868-1948), dont on peut rapprocher le Suisse Ferdinand Hodler peignent une nature sauvage et extrême, la montagne, la neige, l'immensité sans présence humaine. Un groupe de jeunes peintres, au Canada, les découvre en 1913 lors d'une exposition à Buffalo et se sent proche de leur façon de représenter ces paysages du Nord. Ils se constituent en "Groupe des sept" (Lawren Harris, J.E.H. MacDonald, Arthur Lismer, Frederick Varley, Franklin Carmichael, Frank Johnston, A. Y. Jackson).
Lawren Stewart Harris (Brantford, Canada, 1885 - Vancouver, Canada, 1970), "Isolation Peak", vers 1929 - Toronto, Hart House Art Collection, Université de Toronto, acquis par the Art Committee avec the Harold and Murray Wrong Memorial Fund, 1946,
 (Photo: Toni Hafkenscheid © The Estate of Lawren S. Harris)


Des paysages quasi abstraits

Frederick Varley ouvre une fenêtre sur une étendue vide, vert pâle, au fond de laquelle une cime enneigée est caressée par les rayons rasants et orange du soleil ("The Open Window"). Entre une montagne rouge et un nuage, un ciel d'un bleu violent contraste avec les deux ("The Cloud, Red Mountain"), le paysage est réduit à l'essentiel, dans des couleurs intenses.
 
Le paysage est aussi très stylisé chez Lawren Stewart Harris quand des arbres dépouillés lancent leurs troncs au premier plan, devant un fond montagneux ("Au-dessus du lac Supérieur"). Il s'approche de l'abstraction dans un tableau comme "Isolation Peak" où il ne reste que quelques ondulations surmontées d'une arête. Sa peinture de la nature est pour lui une façon de représenter la nation canadienne.
 
Proche des Sept, Tom Thomson est décédé avant de pouvoir faire partie du groupe. Fasciné par le parc de l'Algonquin, au nord de Toronto, il fait de longs séjours dans la nature sauvage et peint des aurores boréales ou les effets du vent sur l'eau et un pin torturé.
William Degouve de Nuncques, "Nocturne au Parc Royal de Bruxelles", 1897, Paris, musée d’Orsay 
 (RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski)

Des peintres de la nuit et du crépuscule

Aux Etats-Unis, d'autres peintres adoptent le même type de démarche, comme Arthur Dove ("Lever de soleil"), qui simplifie la nature à l'extrême, imaginant un ciel quasi abstrait en bandes de couleurs vives.
 
La tombée du jour et la nuit, avec leur atmosphère silencieuse et recueillie, symbole de mort ou de solitude, sont des sujets qui intéressent les artistes. Retour en Europe, en Suède, avec les "Rêves d'une nuit d'été" d'Eugene Jansson qui peint une nuit bleu marine parsemée de petites lumières, une toile accrochée à côté de la "Nuit étoilée" de Van Gogh du Musée d'Orsay. Le Français Henri le Sidaner, lui, représente la place Saint-Marc de Venise presque déserte, avec des reflets étranges du couchant dans les fenêtres, ou un jardin tout vide blanc et irréel au crépuscule.
 
Pour terminer ce beau voyage dans les paysages mystiques, le cosmos est une autre source d'inspiration féconde, entre aspiration à la connaissance et spiritisme : le fascinant et explosif "Soleil" d'Edvard Munch qui irradie tout côtoie la lune mystérieuse d'Arthur Dove et les collines rouges baignées d'une lueur irréelle de l'Américaine Georgia O'Keefe, qui pourraient venir d'une autre planète.

Il ne faut pas rater cette réunion de chef-d'oeuvres, des deux sublimes Van Gogh
Arthur Garfield Dove (Canandaigua, États-Unis, 1880 – Huntington, États-Unis, 1946), "Lever de soleil" (Sunrise), 1924,
	Milwaukee, Art Museum, don de Mme Edward R. Wehr
 (Photo John Nienhuis, Dedra Walls)

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