La peinture d'Hervé Télémaque au Centre Pompidou
Hervé Télémaque est né à Port-au-Prince dans une famille cultivée et francophile. Son père est un poète reconnu et sa tante est pianiste et compositeur. Il quitte Haïti en 1957 pour New York. New York, c'est "le premier voyage que fait tout Haïtien", explique Hervé Télémaque. Il y découvre les artistes expressionnistes abstraits et néo-dada, s'oriente vers le surréalisme.
On est accueilli dans l'exposition par quatre toiles de cette période new-yorkaise, qui présentent déjà certains traits de son œuvre à venir : l'importance du langage et du texte (ses toiles sont toujours parsemées de mots, et aussi de symboles), la portée politique, l'importance de la sexualité ("Histoire sexuelle").
Reportage : P.Sorgues, A.Joudi, N.Gallet
"A New York, Hervé Télémaque est un artiste déraciné en butte au racisme", souligne le commissaire de l'exposition Christian Briend. "Ces toiles témoignent d'une certaine gestualité" mais il se démarque des expressionnistes abstraits "en intégrant des éléments de la réalité et des éléments oniriques." Il rejette l'abstraction, "considérant qu'elle conduit un jour ou l'autre au décoratif". La peinture doit dire quelque chose, pense-t-il.
Une peinture autobiographique
"Toussaint Louverture à New York" (1960) évoque un voyage imaginaire de cette figure de l'émancipation des noirs. C'est en réalité un autoportrait caché qui témoigne du malaise du jeune Haïtien exilé dans la métropole américaine. Une boite aux lettres aux couleurs d'Haïti fait allusion à son déracinement. Car "une des grandes caractéristiques de son travail, c'est que c'est une peinture autobiographique", ajoute Christian Briend.
Hervé Télémaque s'approche aussi du langage du pop art, mais refuse le formalisme des artistes américains, qu'il ne trouve pas assez porteurs de sens non plus. Il s'installe en 1961 à Paris, "qui lui paraît une scène plus active et plus tournée vers la politique".
Paris, une scène plus politique
A Paris il rencontre des membres du groupe surréaliste et participe à la fameuse exposition Mythologies quotidiennes (1964) qui lance la figuration narrative, même si au terme narration, il préfère celui de "fiction".
Hervé Télémaque conteste les formats traditionnels de la peinture en découpant les cadres, comme dans "My Darling Clementine" (1963). Il emprunte au langage des comics, se représente en "nègre flibustier", fait allusion à l'oppression des noirs en reprenant des pubs pour des produits qui lissent les cheveux. Il met la peinture à l'horizontale, au ras du sol, ou se met à y introduire des objets, comme Robert Rauschenberg dans ses "combines".
Haïti, le vaudou, la sexualité
Autre tableau essentiel, "Convergence" (1966) est parsemé de références autobiographiques pas toutes évidentes à déchiffrer, de la chauve-souris à André Breton ou à sa mère. D'ailleurs il ne veut pas donner trop de clés.
En 1968-69, la peinture disparaît de l'œuvre d'Hervé Télémaque qui se met à produire des objets, assez indéchiffrables aussi. Des voiles sur des bâtons, des clous, des pelles qui sont autant de références à son histoire, à celle d'Haïti, au vaudou, à la sexualité. Puisqu'il ne vend pas grand-chose, autant produire des objets carrément invendables, pense-t-il. C'est une période difficile à laquelle fait allusion une voile qui s'appelle "Vaches maigres".
Retour à la peinture dans les années 1970 avec des aplats délimités par un trait extrêmement précis, en référence à Hergé, qu'il admire. Et des œuvres en hommage à de grandes figures de l'art : son "Caca-Soleil !" est une parodie du "Grand Verre" de Duchamp, où la mariée est représentée par une dinette, le célibataire par ses déjections, autour d'un grand vide provocateur.
Collages
Dans "Objets usuels, pour Vincent van Gogh ?" (1970), les oreilles du peintre néerlandais renvoient au drame de l'artiste, en opposition à la quête perpétuelle de consommation et de vacances, évoquée par une chaise longue.
Hervé Télémaque expérimente des peintures rondes ou ovales, dans des formats qui "évitent la répétition", explique l'artiste. "En modifiant le format, je m'obligeais à aller dans une autre direction." Il fait des collages avec du papier Canson de couleur, comme sa série des maisons. En cherchant une maison à la campagne il est frappé par la beauté des maisons paysannes. Il les représente en collage, auquel il adjoint le dessin préparatoire. Dans sa série, il confronte les maisons françaises à des cases africaines ou des cabanes haïtiennes.
Il réalise aussi une série de "selles", dans lesquelles il faut voir une allusion une fois de plus à la domination, à l'esclavage, au culte vaudou, à la sexualité.
Marc de café, fusain et toujours la peinture
Hervé Télémaque dit qu'il s'ennuie vite. Il éprouve souvent le besoin d'expérimenter de nouvelles techniques. Dans les années 1990 il assemble du bois découpé à la scie sauteuse sur lequel il applique, clin d'œil à l'économie de son pays natal, de la peinture mélangée à du marc de café, ce qui lui donne une texture épaisse. Il fait aussi des fusains, où il écrase la matière en grandes masses noires, parlant de sexualité, de racisme, d'art.
Peinture, à nouveau, pour clore l'exposition, avec un très grand format, seul tableau lié directement à l'actualité politique française, et inspiré par la réélection de Jacques Chirac en 2002 avec un score digne d'une république bananière : il y rend hommage aux dessinateurs Plantu et Pancho, autour d'une table de ping-pong.
Et puis le dernier tableau peint l'an dernier par Hervé Télémaque, le "Moine comblé", un hommage plein de couleurs au "Black Monk", d'Arshile Gorky. Souffrant d'hémiplégie, il l'a réalisé de la main gauche. "Mais j'étais un gaucher contrarié", précise-t-il dans un clin d'œil.
Hervé Télémaque, Centre Pompidou, Paris 4e, Galerie du musée et galerie d'art graphique, niveau 4
Tous les jours sauf le mardi, 11h-21h
Tarifs : 11 à 13 € / 9 à 10€
Du 25 février au 18 mai 2015
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